(1770-1831). Sur le fronton de l’autel (ou «Mihrab») pour une telle prière, serait donc gravé le mot magique : «Vérité», seule raison d’existence du journal, du journalisme.
Dans la sphère arabe (monde virtuellement désigné ainsi de par la langue, alors qu’il regorge d’autres langues minorées, dont l’Amazigh chez nous), on se plait, comme culture de l’excessif et du superlatif, à proclamer tantôt « Sa Majesté la presse » (« صاحبة الجلالة »), tantôt « le métier de toutes les peines» ( » مهنة المتاعب ») !!! Il est vrai que n’exagère que l’ignorant ou celui qui n’est ni l’auteur ni le maître d’œuvre de l’ouvrage…
La presse est née ailleurs, bien loin de chez nous, loin de notre sphère dite arabe…Ni le médecin et journaliste français Théophraste Renaudot (1586/1653, fondateur en 1631 du 1er journal «La Gazette», après avoir créé en 1628 un «Bureau d’adresses», premier bureau d’offres d’emploi, soit le 1er ancêtre de nos «ANPE» ou «Pôle d’emploi» et qu’il dota en 1633 du premier journal d’annonces d’emplois et de petites annonces de vente et d’achat «La feuille des annonces»..!) ; ni l’orfèvre allemand Johannes Gutenberg (1395/1468, inventeur de l’imprimerie typographique en 1440), ni l’énuque, fabricant d’épées, de l’empereur Han de Chine, Cai Lun (prononcez : Ts’ai Lun, 50/121 ap.J.-C), inventeur, en l’an 105 ap.J.-C, du papier pour écriture à partir de fibres et lamelles de mûrier (se substituant au lin, au bambou, au chanvre, filets de pêche ou soie), ne sont natifs de nos contrées, de notre aire dite arabe…de notre ère journalistique au Maroc qui a débuté il y a à peine un peu plus d’un siècle…
Chez nous, au Maroc, si Abdallah Laroui nous rapporte que l’imprimerie typographique a été introduite à Tanger en 1880, un autre compatriote, Zine Al Abidine Al Kattani, révèle que dès 1870 une imprimerie a été installée, dans la même ville, pour imprimer «L’Œil de Tanger», un hebdomadaire de langue française et ce, dit-il, après l’échec d’une première expérience d’installation d’imprimerie par un éditeur venu d’Oran en 1868…Pour l’historien marocain, Germain Ayache, l’imprimerie débarqua du fait de l’État ou «Makhzen», par nécessité, après la défaite du Maroc face à l’Espagne coloniale à Tétouan en 1860, quand le Sultan Mohammed IV Ben Abderrahmane (1810/1873) décida de «relever son pays en le modernisant, et avec d’autres entreprises fondées par lui en différents secteurs de la vie nationale, l’imprimerie contribuait à ce dessein». Bref, nos différents historiens nous annoncent l’entrée du Maroc dans la « galaxie Gutenberg » autour de la moitié du XIXème siècle, il y a donc à peine un siècle et demi. Al Kattani parle d’une imprimerie ramenée de France par une mission diplomatique conduite en 1859 par Al Haj Driss Ben Mohamed Ben Driss; Laroui évoque un «obscur cadi de Taroudant» qui aurait acheté du matériel d’imprimerie en Égypte pour en faire don au Sultan Mohammed IV…Alors qu’un historien italien, Manfredo Macioti, nous rassure bien généreusement en nous rapportant que le Maroc vit débarquer la première imprimerie de son histoire (en hébreu) dès 1516, à Melilia, grâce à «des imprimeurs juifs» originaires de Mayence…ville natale de Gutenberg!.. On aurait été donc réellement contemporains des débuts d’éclosion de la «Galaxie Gutenberg»… Comme on l’a été avec le «Cinématographe» des frères Lumière qui, juste après leur première projection publique à Paris (devant 33 spectateurs), le 28 Décembre 1895, débarquèrent au Maroc en 1896 pour tourner une série de petits films, dont «Vues animées au Maroc» et organisèrent, en 1897, des projections du «Cinématographe» au palais Royal de Fès, avant que leur fameux opérateur, l’algérois Félix Mesguich, ne filme, dix ans plus tard, en 1907, les premiers mouvements des troupes de l’armée coloniale française sur le «territoire chérifien»…Mais ça, c’est une autre histoire de notre «ciel médiatique». Revenons plutôt au monde de Gutenberg pour retenir que nous accédâmes à la contemporanéité de ce monde par la porte – close à présent – de Melilia…
L’évidence donc, est que l’imprimerie et le journal nous conquirent, voilà un siècle et demi, comme armes modernes des puissances coloniales, puissances qui ne se faisaient pas de cadeau, diplomatiquement et militairement (et se surveillaient par le renseignement à Tanger), avec l’objectif âprement disputé d’emporter cette « proie bénie » : l’ «empire chérifien», autrefois prospère et puissant sur les terres (Andalousie, Maghreb et contrées du «Grand Soudan», ville de Tombouctou comprise) comme sur les mers (période des corsaires entre le 17ème et le 19ème siècle, depuis Salé et Rabat notamment, en plus d’Alger et autres ports de l’Atlantique). Cet empire allait donc, avec sa violente occupation par les armées espagnole et française (avec compensations de butins aux anglais et allemands), accéder à ce moyen d’expression moderne, la prière matinale de Hegel, le journal, comme s’il subissait un dommage collatéral de l’occupation militaire (nombre d’imprimeries françaises et espagnoles étaient d’ailleurs acheminées à dos de mulet avec les troupes d’occupation!).
Ce moyen d’expression, charrié ainsi dans la genèse même du colonialisme, était, en ces débuts du 20ème siècle, bien inconnu pour nos poètes, nos exégètes et oulémas, nos auteurs, nos chanteurs, nos conteurs, nos libraires…Bref, un phénomène tout nouveau pour nos « médias » de l’époque, bien de chez nous, en ces contrées visitées par les Grecs, les Phéniciens, les Romains, les Carthaginois, les Wisigoths, les Bani Hilal et Bani Soulaym et autres Vikings (qui pillèrent Nador en 858)…Avant que ne débarquent les Espagnols et les Français. Nous étions, avant ces premières pages imprimées sur notre terre, soit aux débuts du 19ème siècle, un peuple de Chaires à Al Karaouine, dans diverses Médersas et Mosquées séculaires, dans les Zaouias du sud saharien, du nord montagneux et des plaines du plateau atlantique. Peuple aussi de «Halqas», de «Berrahs», de «Reqqas», de greffiers ou «Adouls»…