Comment le Maroc pourrait-il attirer les fortunes africaines ?

Les banques marocaines et certaines sociétés de gestion de fortune internationales implantées au Maroc veulent se positionner sur une nouvelle niche au niveau de Casablanca Finance City. En effet, à partir de cette plateforme offshore, elles ambitionnent d’attirer les fortunes africaines. Farid Mezouar, banquier d’affaires et directeur exécutif de la société FL Markets, revient sur l’opportunité du Maroc dans la gestion des fortunes africaines.

Al Bayane : A votre avis, s’agit-il d’un bon créneau ?

Farid Mezouar : Oui, la gestion des fortunes africaines est une excellente opportunité car selon plusieurs statistiques, l’Afrique compterait une centaine de milliers de millionnaires en dollars. Un pays comme la Côte d’Ivoire par exemple, recenserait près de 2000 millionnaires. Par ailleurs, avant l’émergence de banques d’affaires panafricaines, les fortunés africains n’avaient comme solutions que les produits bancaires classiques ou l’exil dans les centres financiers occidentaux. Enfin, les institutionnels africains (ex : Fonds sud-africains) ont déjà investi à la Bourse de Casablanca et ont le marché financier marocain dans leur radar.

Comment pensez-vous qu’elles vont s’y prendre ?

Pour les sociétés sans réseau bancaire, la prospection pourrait passer par l’événementiel à forte valeur ajoutée (ex : conférences économiques) ainsi que par une forte présence sur le net. Naturellement, au préalable des études marketing doivent être menées pour cerner les besoins par pays et par catégorie de riches. Surtout, en amont des produits doivent être préparés pour répondre à la demande des africains fortunés. En effet, il faut rappeler que la concurrence occidentale dispose déjà de produits sophistiqués et performants ayant l’Afrique comme benchmark ou comme thématique.

La plupart des banques marocaines disposent déjà d’un réseau africain via leurs filiales subsahariennes. Est-ce qu’il s’agit d’un avantage concurrentiel ?

Tout à fait, c’est un avantage concurrentiel indéniable vu que l’information de base est déjà recensée au niveau du réseau bancaire. De même, la relation de confiance avec le prospect est souvent largement solide. Toutefois, il s’agit d’une arme à double tranchant, car une simple négligence du réseau (ex : rejet d’un chèque) peut amener le client fortuné à changer de banque et de conseiller de fortune.

Comment et de quelle manière ces banques devront profiter de leurs réseaux bancaires ?

En plus du recensement des clients fortunés, les réseaux bancaires peuvent offrir aux gestionnaires la possibilité de capitaliser sur les produits d’appels que la concurrence ne peut offrir. A titre d’exemple, un richissime homme d’affaires qui voit la banque financer ses sociétés, pourra difficilement repousser l’offre de services des gérants de fortune affiliés au même groupe bancaire. Par ailleurs, les synergies peuvent être aussi physiques et logistiques, le gérant de fortune pouvant baser son bureau dans les locaux de la filiale et/ou y recevoir les prospects et les clients.

Quels sont les arguments dont disposent les banques et les gestionnaires de fortunes pour vendre la destination Maroc auprès des milliardaires ?

Probablement, il faudra distinguer les fortunés souhaitant investir tout ou partie au Maroc de ceux qui veulent y baser la gestion de leur fortune tout en investissant à l’international. Dans les deux cas, l’exemple de l’affaire Obiang (biens saisis en France) peut placer le Maroc comme une destination moins politisée. La présence de sociétés marocaines cotées, impliquées en Afrique (ex : Attijariwafa, IAM…) est aussi un argument de plus pour ceux qui souhaitent demeurer exposés à la thématique africaine. Aussi, le coût peut être un argument en comparaison avec les tarifs en Suisse, au Luxembourg ou à Londres. De même, la proximité physique (déplacement chez le client ou invitation au Maroc pour les pays dispensés de visa) peut être un atout. Enfin, rien ne vaut mieux qu’un bon historique de performances des produits proposés, pour convaincre les prospects.

Est-ce que la conjoncture internationale joue à leur faveur notamment par rapport aux autres centres d’affaires internationaux ?

Le chemin ne sera pas facile car la concurrence au Sud est rude, notamment avec l’Afrique du Sud ou l’Ile Maurice sans parler de Dubaï ou de Singapour. Aussi, dans l’absolu, le timing n’est pas encore approprié car la performance est davantage au niveau des marchés développés que dans les EmergingMarkets ou dans les Frontier Markets, sans parler de la dégringolade de certaines monnaies BRICS (ex : -20% pour le Real brésilien). Toutefois, l’excès de zèle de transparence dans certains pays occidentaux et la levée attendue du secret bancaire suisse, créent une opportunité de redistribution des flux, que les centres financiers du Sud peuvent saisir.

Kaoutar Khennach

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