Rien ne va plus entre la Turquie et la Grèce depuis que, le 29 Février dernier, le président Recep Tayyip Erdogan a annoncé que son pays se désengage de l’accord conclu avec l’UE en mars 2016 en vertu duquel Ankara avait accepté de fermer les portes de l’Europe aux migrants et à les maintenir sur son territoire en contrepartie d’une compensation financière européenne mais qui s’est révélé insuffisante aux yeux d’Ankara obligé de faire face au coût particulièrement élevé qu’a nécessité, ces dernières années, l’accueil de 4 millions de migrants et de réfugiés principalement syriens.
Cette situation a empirée avec l’offensive du régime de Bachar Al Assad contre la Province d’Idleb, dernier bastion rebelle en Syrie, qui a provoqué une catastrophe humanitaire en obligeant près d’un millions de syriens à fuir la zone des combats et à chercher refuge en Turquie. Aussi, en proposant à Ankara une aide complémentaire d’un milliard d’euros, l’Europe a essuyé un refus ; ce qui a été assimilé par l’UE à un chantage politique par lequel la Turquie essaie d’arracher à l’Europe un soutien aux opérations qu’elle mène en Syrie.
Dès l’annonce faite par Ankara, ce sont des milliers de migrants – syriens, afghans et même turcs – qui ont immédiatement cherché à entrer en Grèce soit en empruntant la frontière terrestre entre les deux pays soit en passant par les îles de la Mer Egée ; ce qui a ravivé le douloureux souvenir de la crise migratoire de 2015.
Mais, changement de ton samedi 7 mars, lorsque, après l’entretien téléphonique qu’il avait eu la veille avec la chancelière allemande Angela Merkel qui avait piloté les négociations qui avaient précédé l’accord de 2016 et la signature jeudi avec le président russe, d’un cessez-le-feu dans la province d’Idlib au nord de la Syrie, le président turc a fait dire à son service des garde-côtes qu’«aucune autorisation ne sera donnée aux migrants de traverser la Mer Egée en raison des dangers que cela comporte».
Assez surprenante en soi et ressemblant à une détente avec l’UE, cette annonce n’en constitue pas moins un léger revirement quand bien même il est précisé, par ailleurs, que «l’approche consistant à ne pas intervenir pour empêcher les migrants de quitter la Turquie reste valable sauf pour ce qui concerne les départs par la mer, en raison des dangers». Il n’en fallait pas plus, néanmoins, pour que le torchon brûle entre Ankara et Athènes alors que quelques 1.700 réfugiés sont venus s’ajouter, ces derniers jours, aux 38.000 déjà présents dans le pays et regroupés dans des conditions très précaires dans divers camps de réfugiés.
Dénonçant la brutalité des grecs à l’égard des migrants, la Turquie a assuré que ses garde-côtes ont sauvé, ce jeudi, d’une mort certaine, 97 migrants après que les autorités portuaires grecques aient dégonflé les trois bateaux pneumatiques à bord desquels ils se trouvaient et accusé la police grecque d’avoir repoussé, samedi, à l’aide de gaz lacrymogènes et de canons à eau ceux qui tentaient de franchir les grilles du poste-frontière de Pazarkule.
Des photos circulant sur les réseaux sociaux montrent une vingtaine d’hommes en caleçons agglutinés autour d’un feu après que la police grecque leur ait confisqué leurs vêtements et obligés à retraverser le fleuve Evros.
Au vu de tout cela, Marc Pierini, chercheur associé au Centre Carnegie Europe à Bruxelles, estime que «le vrai problème – celui des déplacés syriens dans la province d’Idlib – doit être traité dès que possible, lorsque les détails du cessez-le-feu auront été finalisés» et rappelle, par ailleurs, que l’U.E. risque d’éprouver de sérieuses difficultés pour «aider substantiellement les 960.000 déplacés syriens actuellement installés le long de la frontière turque» alors qu’il lui faudra l’aval de la Russie. Comment les choses vont-elles évoluer ? Attendons pour voir…
Nabil El Bousaadi