Approche globalisante de l’œuvre de Moha Souag
Par Mohamed Agoujil
Le suivi des publications de Moha Souag, pendant des années, nous a mis devant une œuvre qui a su tracer son propre itinéraire. C’est une écriture qui a mûri au petit feu d’une expérience longue et riche, appuyée sur une grande volonté de défier les obstacles, et sur des efforts de recherche soutenus depuis plus de 40 ans. À présent, il serait très intéressant de la lire dans sa globalité pour déceler, dans la mesure du possible, les secrets de son évolution.
Ce que nous avancerons est, en effet, un ressenti, ou des impressions doublées d’un regard plus au moins positif, mais objectif, qui ne prétend à aucune scientificité. Notre approche se veut plutôt pédagogique que scientifique. Nous nous sommes ressourcés quand même des articles journalistiques, des interventions de l’auteur dans différentes rencontres ou média. Notre but est d’animer le débat autour d’une œuvre qui, d’un texte à l’autre, s’est imposée sur la scène culturelle nationale et internationale.
En effet, Moha Souag en est à une vingtaine de recueils de nouvelles et romans. Ses textes ont conquis les pays d’Afrique, obtenu des prix et sont traduits en arabe, en turc et s’ouvrent ainsi à l’universalisme qui demeure le but légitime de tout écrivain. Il est donc d’un grand intérêt de retracer, ne serait-ce que sommairement, l’évolution de cette œuvre, d’en comprendre les caractéristiques, et d’en révéler les secrets esthétiques.
De prime abord, nous tenons à préciser qu’Il est incontestable que Moha Souag est un précurseur en matière de l’écriture en français dans la région du Sud-est marocain, à une époque où la situation des libertés d’expression était critique et précaire. Encore lycéens, fin des années soixante, ses textes, étaient déjà publiés dans différents quotidiens sous forme de reportages ou dans courrier des lecteurs. Il est aussi, le seul qui maintient encore le souffle d’écrivain, un roman ou recueil tous les deux ans à peu près, et depuis 40 ans. Même si sa vocation de journaliste, s’est malheureusement vue entravée, après le baccalauréat, faute de bourse, au CPR, il eut pourtant la chance d’adhérer à une cellule cinématographique où il avait côtoyé des techniciens et surtout le réalisateur détaché à l’Institut de Coopération Pédagogique (ICP).
Professeur de français à Goulmima, muni d’une caméra super 8, et une petite table de montage, il réalisa ses premiers documentaires dont l’un avait obtenu le prix de l’image au festival du cinéma amateur à Rabat et à Tétouan en 1986. Toutefois, faute de moyens et de soutien, il renonça à l’idée de réaliser de courts métrages, abandonna ainsi le rêve de cinéaste, comme celui de journaliste, et se consacra à l’écriture créative pour pallier à une formation académique de journaliste et aux exigences techniques et matérielles d’une carrière cinématographique.
Le fruit de toute cette confrontation au quotidien avec l’art de dire et se dire au moyen des mots, ou de l’image et du son a été à l’origine d’une formation d’autodidacte, de bricoleur si j’ose dire. Moha Souag s’est, en effet, essayé à tous les moyens et tous les genres (le cinéma, le journalisme, le récit, la poésie, le conte, le roman), armé en cela de la ténacité des enfants du désert.
C’est ainsi que le premier produit a été « l’Année de la chienne », un recueil de 11 nouvelles publiées à compte d’auteur en 1979 et dont l’une a obtenu le prix de RFI. Ce recueil a été décisif dans l’orientation de l’écriture chez Moha Souag et c’est lui-même qui a affirmé dans une interview accordée à RFI, que «l’Année de la chienne était une école». Il est son propre modèle.
C’était, pourtant, l’époque des vétérans de la littérature maghrébine d’expression française : Abdelletif. LAABI, T. B. JELLOUN, Driss Chraibi, Rachid Boujedra, Mouloud Maamri, Albert Memmi et autres édités en France, épaulés par les grandes maisons d’édition telle Maspero et Gallimard. Ces romanciers qui nous parlaient du haut des grandes maisons d’édition françaises de nous-mêmes, de notre culture et de notre vie, ici-bas, avait produit ainsi une littérature idéologique, ethnographique, d’où est banni le quotidien du marocain soumis à la tutelle de l’ignorance et de la misère dans toutes ses facettes. Les plumes en herbe à l’époque, surtout dans les régions marginalisées, et le Sud-Est en est l’exemple éclatant, soucieuses de leur quotidien et de la réalité qui les écrasent n’avaient pas les mêmes moyens ni les mêmes chances, ni non plus, le même souci de plaire à l’autre, l’ancien colon, qui ne légitime un texte que quand il reproduit une littérature carte postale. « Ainsi l’écriture chez Moha Souag est un acte par lequel, l’écrivain brise les silences qu’on veut imposer au désert et comble le vide qui le caractérise d’une autre signifiance différente de celle que lui impose la littérature ethnographique, folklorique et idéologique des années soixante. « .
Par ce descriptif très concis, à caractère historique et biographique nous voulons rappeler qu’au Sud-Est surtout, on ne nait pas avec une cuillère dans la bouche, même en plastique, ni avec un pinceau ou un stylo entre les doigts, mais on devient peintre ou écrivain ou poète à force de forger ; et à force de polir, la pierre devient stèle. C’est dire que l’atmosphère qui a entouré les débuts de Moha Souag, en tant qu’originaire du Sud Est, n’était pas favorable, surtout dans une société renfermée, très conservatrice, proie à une marginalisation économique et sociale étouffante, et à un climat aride et sec. Écrire était donc un défi pour s’émanciper et se faire une place dans la société, la sienne, en s’exprimant dans une langue étrangère, qu’est le français.
Moha Souag fait donc partie de la génération des années 80 des écrivains maghrébins de langue française. Une génération qui pose un regard lucide sur la complexité de la réalité sociale.
Pour Moha Souag, issu d’une région soumise au vide du désert, il s’agit de remplir ce vide d’une autre signifiance pour échapper à l’absurdité de l’existence.
Ces écrivains, comme on le perçoit bien chez Moha Souag, sont allés chercher leurs personnages, non dans les mythes et les légendes, et dans l’imaginaire populaire mais dans la réalité des gens, dans leur quotidienneté et dans les détails de leur manière d’exister. Moha Souag a ainsi fait descendre l’écriture du roman marocain d’expression française de sa tour d’ivoire constituée de mythes, au niveau du commun des mortels qui rêve seulement d’un pan d’ombre sous le jujubier du désert. C’est pourquoi le cadre spatial des récits de Souag renvoie à des lieux concrets et à des personnages de la région à qui il souhaite restituer la parole.
«J’ai choisi de prendre cette région et ses habitants comme thème central de mes écrits. Je l’ai fait en connaissance de cause. Si les romans de John Steinbeck se déroulent dans des petits villages paumés de Californie, ou ceux de Dostoïevski en Sibérie et que cela donne de la littérature universelle ; il me semble que l’être humain, ses aspirations, ses joies et ses peines sont identiques partout. » Moha Souag jaadaliyya.
A ce propos, Brahim el Guabli dit justement : « Moha s’inspire de la rudesse de la vie oasienne pour produire une littérature qui fera justice aux délaissés, aux oubliés et à ceux qui ont besoin d’un porte-parole pour sublimer leur vie et l’immortaliser dans la littérature. » En somme, ces personnages sont les enfants légitimes de leur existence et en même temps les parents du récit de leur vie. Moha Souag leur a restitué la parole. À notre avis, le parcours de notre romancier peut être reparti en trois étapes.