Le monde de l’art musical, en particulier celui de Aïta populaire est endeuillé par la disparition de l’une de ses divas les plus emblématiques des annales de la mélomanie nationale.
Feue Hamdaouia qui vient de passer de vie à trépas, après de longs soubresauts fatals, scellait un parcours empreint de vicissitudes tantôt affligeants, tantôt fringants, durant son existence mouvementée. Issue du «petit peuple» dans le quartier casablancais de Karlouti d’espèce néophyte, cette brave nonagénaire eut le mérite de se rallier tôt au rang du patriotisme, aux côtés de ses pareils du mouvement national, à l’aune du joug colonial.
Ses métaphores instinctives qui ornent les sérénades du mythe traditionnel des aïeux, faisaient frémir de liesse et de rébellion les foules acquises à la libération de la patrie. «Ô frères de l’Islam, marchons de l’avant, brandissons le fanion, espérons que la vie s’embellira!», tonnait-elle dans l’un de ses refrains les plus saisissants de son répertoire nationaliste. Cette vaillante icône aux élans mobilisateurs encourait la fureur des colons dont la rhétorique et la tonalité malicieusement veloutées faisaient tirer les cheveux.
De ce fait, elle fut constamment interpelée dans les locaux de la police fortement irritée, alors que les populations en jubilation arboraient massivement dans les rues, les propos tonifiants de la cantatrice héroïque. Elle mettait alors du tonus dans les veines de la vague des combattants par ce vocable combien simpliste, mais quel effet dans le cœur des citoyens de tous bords ! Au-delà du caractère engagé de son legs de musique qu’elle cumulait, des décennies durant, la regrettée chantre de manèges aussi aisés que modestes, égrenait un chapelet de récitals dont le creuset fut viscéral et pathétique.
De son vivant, la défunte incarnait le prototype de l’art populaire des chioukh et chikhate dont regorge le patrimoine immatériel de l’expression musicale nationale inédite, à travers les anciennes générations. Elle traduit aussi le leitmotiv dépositaire de l’originalité marocaine enfouie dans les tréfonds de diversité patrimoniale que ni les tentatives d’étouffement ni les vagues de mutation contagieuse, encore moins les tentations de «modernisme» n’ont pu occulter ni faire disparaître. Il est donc bien clair que la soprano à la voix à la fois suave et rebelle a contribué à la subsistance de cet héritage suscitant la curiosité critique des divers experts et chercheurs de l’anthropologie et de la sociologie marocaines en matière d’art populaire.
La défunte aura si gravé son nom dans la simplicité du verbe usité dans le vécu quotidien aussi anodin soit-il, mais limpide et virtuose à souhait. En ces moments douloureux de cette perte tragique de l’une des sommités avérées de la prodigalité marocaine, on ne peut que réitérer les condoléances attristées à sa famille, ses proches et l’ensemble des artistes de la chanson nationale, toutes mouvances confondues!