Entretien avec le professeur Mohamed Ameziane, président du Centre des études juridiques et sociales d’Al Hoceima
Propos recueillis par Azzelarab Moumeni (MAP)
Le professeur Mohamed Ameziane, président du Centre des études juridiques et sociales d’Al Hoceima, présente, dans un entretien accordé à la MAP, sa vision quant aux mesures nécessaires pour la gestion de la phase post-pandémie et les outils pour la transition du confinement à «la vie normale».
Selon vous, quels sont les secteurs prioritaires à cibler durant la phase transitionnelle post-pandémie?
Il est d’abord
nécessaire d’évoquer les principaux secteurs économiques qui ont poursuivi
leurs activités durant ces circonstances et qui fournissent le marché marocain
en produits. Le gouvernement assure la régulation de ces secteurs compte tenu
de leur contribution à l’économie nationale, notamment en cette conjoncture
difficile. Il faut prioriser ces secteurs en leur garantissant les avantages
nécessaires pour atténuer l’impact potentiel qu’ils ont accusé durant cette
pandémie.
Il est également nécessaire de revoir et d’accorder énormément d’importance au
secteur informel en le structurant de façon à l’intégrer progressivement à
l’économie marocaine, tout en oeuvrant pour l’indépendance de l’économie
nationale en encourageant les jeunes ainsi que les petites et les moyennes
entreprises à investir dans leurs pays, outre la mise en oeuvre de programmes
de promotion de l’auto-entrepreneuriat, de manière à ce que l’économie du
Royaume de dépende pas entièrement de l’économie internationale.
Les banques doivent, dans ce sens, contribuer à la mise en oeuvre de projets de
développement, et ce compte tenu des grands bénéfices qu’elles réalisent.
Dans ce cadre, et étant donné que le secteur de la santé demeure prioritaire,
il est nécessaire de le revoir de manière complète et radicale, en le dotant
des ressources financières et humaines nécessaires. Tout le monde s’est rendu
compte que la continuité des pays demeure tributaire d’un secteur de santé
solide capable de faire face aux défis et crises telles que la pandémie que
l’on vit actuellement.
C’est d’ailleurs le même cas pour les universités et la recherche scientifique,
puisque l’Etat, et plus précisément le gouvernement, se doit de promouvoir la
recherche scientifique, pilier du développement.
Quelles sont les mesures à prendre par les autorités pour garantir une transition «fluide» entre le confinement et la «vie normale»?
Il est clair que
l’évolution de la propagation du coronavirus ainsi que les taux de
contamination enregistrés par le Maroc, que ce soit au niveau national ou au
sein de chaque région, sont des indicateurs essentiels qui permettent de
déduire un scénario éventuel à prendre en compte pour parler de transition vers
«la vie normale».
Néanmoins, en se référant au décret-loi n°2.20.292 du 24 mars 2020 relatif à
l’état d’urgence sanitaire et aux procédures de sa déclaration, notamment
l’article 1, «les autorités sont autorisées à prendre toutes les dispositions
utiles et nécessaires et également à décréter l’état d’urgence sanitaire dans
n’importe quelle région, préfecture, province ou commune, ainsi que sur
l’ensemble du territoire national en cas de besoin». Cela signifie que même
après la fin de cette période, la même approche peut être adoptée. Si les
autorités publiques compétentes voient que des zones, préfectures, régions ou
communes n’ont enregistré aucun cas de contamination au coronavirus ou que le
virus s’est propagé, mais a été contenu, il est possible de lever les
restrictions, permettant petit à petit de revenir à la vie normale.
Je pense que cela nécessite, sans aucun doute, une planification temporelle
prenant en compte l’aspect territorial durant les prochaines semaines, car il
est difficile de parler d’un retour à la normale compte tenu de la situation
actuelle. Dans tous les cas, il est nécessaire d’élaborer un plan précis pour
la réouverture progressive des usines et entreprises, de manière à instaurer un
travail rotatif et limiter le nombre d’ouvriers à la moitié en un premier
temps, tout en veillant au respect de la distance de sécurité et au port des
masques de protection dans les entreprises, les usines et les espaces publics.
Quel accompagnement psychologique faut-il garantir aux enfants après la pandémie pour les aider à dépasser la situation qu’ils vivent actuellement?
Pour moi, il
faut consacrer des émissions au profit des enfants sur la télévision et les
radios avec des spécialistes en soutien et accompagnement psychologique afin de
limiter la pression que vivent les enfants confinés, qui avaient l’habitude de
sortir pour aller dans leurs écoles, dans les parcs de jeux et les espaces
publics, avant de se retrouver devant une nouvelle réalité inconnue pour eux
jusque là.
Partant de cette idée, il est nécessaire d’assurer l’accompagnement des enfants
via des spécialistes du domaine, tout en veillant à leur garantir d’autres
alternatives pour les sortir de l’état d’isolement qu’ils ressentent. Les
secteurs gouvernementaux chargés de la culture, de la jeunesse, des sports et
de l’enseignement doivent également veiller à organiser des compétitions
culturelles et des ateliers d’art au profit des générations montantes.
Par ailleurs, le gouvernement et les parties compétentes sont appelés à prendre
davantage soin des familles démunies et des enfants issus de milieux défavorisés
en leur permettant de profiter des colonies de vacances, compte tenu de leur
rôle important dans le divertissement des enfants, outre l’accompagnement
scolaire des enfants en milieu rural durant l’été pour qu’ils puissent
rattraper le retard accusé durant le confinement.
Il est aussi primordial d’adopter les méthodes préconisées par l’Unicef dans ce
domaine et qui consistent principalement à surveiller le comportement quotidien
des enfants, à leur garantir des conditions optimales au sein des domiciles, à
ne pas les effrayer quant au coronavirus et à veiller à les faire sortir pour
des balades dans les lieux adéquats en respectant la distance sociale
nécessaire.
Compte tenu de l’importance du secteur culturel, quelles sont les mesures à prendre par les autorités compétentes pour assurer un retour à la normale dans ce domaine?
J’estime qu’il
est temps de réaffecter des dépenses et budgets de certaines activités vers les
activités culturelles au profit des enfants et des jeunes à l’instar des universités
d’été, les colloques culturels et scientifiques, outre les rencontres de
communication et de sensibilisation, tout en allouant un budget conséquent pour
le soutien des associations qui oeuvrent dans le domaine de l’animation
culturelle et artistique.
Il est actuellement difficile de prévoir la manière avec laquelle nous
retrouverons une vie normale après la pandémie du Covid-19, notamment dans les
domaines culturels.
Les contraintes imposées par la pandémie du coronavirus pourraient constituer des opportunités sur lesquelles il est possible de capitaliser. Selon vous, quels sont les enseignements à tirer de cette situation?
Le premier point
qui mérite notre attention est que le peuple marocain a réellement saisi la
gravité de la pandémie, et a fait preuve de valeurs exceptionnelles, notamment
celles de la responsabilité, de la solidarité et d’autodiscipline, tout en
collaborant avec les autorités publiques pour organiser des campagnes de
sensibilisation et appeler à se conformer aux mesures préconisées durant cette
période. En effet, le peuple est conscient qu’il faut veiller à dépasser cette
pandémie avec le minimum de pertes.
Il est également nécessaire de souligner que nous avons réellement besoin
d’outils pour la gestion des risques et des crises. La gestion immédiate de ces
circonstances a révélé un ensemble de contraintes sur lesquelles il faut
travailler à l’avenir afin de mieux les appréhender.
Par ailleurs, l’instauration d’une société numérique est devenue une réalité
indéniable. Il est temps de mettre en place un gouvernement électronique,
revoir les systèmes de travail de tous les secteurs et mettre en oeuvre
rapidement les outils de nouvelle technologie pour garantir la continuité des
services publics.
Dans ce sens, la numérisation de l’accès aux services s’impose comme une
nécessité actuellement, non seulement durant cette période exceptionnelle
marquée par l’adoption de l’enseignement à distance ainsi que la possibilité de
déposer les plantes en ligne auprès des parquets et des administrations, mais
également durant les circonstances «normales» pour permettre à tous de
travailler via les outils électroniques. Cet objectif ne sera atteint qu’après
révision de l’arsenal juridique afin qu’il puisse accompagner la réalité
actuelle.