Il était une fois….le cinéma : Wechma de Hamid Bennani (1970)

C’est le premier film marocain à s’inscrire dans la catégorie très fermée de «film culte ». Pour les cinéphiles, il inaugure la tendance du cinéma d’auteur dans son sens originel. C’est le premier long métrage de Hamid Bennani après une solide formation professionnelle et académique (l’IDHEC, séminaire de Barthes…). «Wechma» est produit grâce à une société de production collective. Sorti en 1970, il décroche plusieurs prix dont Le Tanit de bronze à Carthage.

Le film revient régulièrement aux premiers rangs du classement des meilleurs films marocains établi par les journalistes et les critiques marocains. Cependant, il n’a jamais bénéficié d’une sortie commerciale à la hauteur de sa renommée. Il développe en effet une grammaire narrative aux antipodes du cinéma dominant de l’époque. Il trouva une première issue dans le cercle des ciné-clubs très en vogue dans les années 1970. Il continue ainsi à étaler sa riche rhétorique dans notre mémoire cinéphile et visuelle. C’est le récit d’une tragédie, celle de Messaoud, orphelin, recueilli par un père adoptif et qui va très vite se confronter à un environnement auquel il ne s’habitue pas,  verser dans la délinquance jusqu’à commettre l’irréparable et connaître une fin qui vient comme clôture d’une impasse.

La séquence d’ouverture offre des indices qui renvoient à un dispositif symbolique qui constitue le choix esthétique fondateur de la démarche de Hamid Bennani. On découvre une cour d’école  – en fait un orphelinat- où des enfants sont regroupés autour du drapeau pour chanter l’hymne national. Un travail de l’image ouvre sur un horizon de lecture qui convoque des figures de rhétorique comme l’antiphrase ou la métonymie. Le titre du film apparaît en surimpression sur le drapeau…le son est amplifié par un hautparleur et les enfants sont en rang qu’un panoramique présente comme une troupe militaire au garde à vous. En trois plans le film nous dit une philosophie de l’éducation qui relève de l’embrigadement. Un modèle qui porte en lui sa propre contradiction puisque dès la fin du chant, les enfants explosent de joie et s’en vont courir et s’amuser. L’image du tourne-disque qui ouvre la scène du bureau de directeur de l’orphelinat accentue cette l’artificialité et le côté mécanique de ce rituel. Le personnage principal, l’objet du discours pédagogique que prononce le directeur, apparaît comme une fiche, un dossier, un cas avant que la caméra ne revienne dans la cour pour découvrir le jeu des enfants, notamment un groupe qui joue à une variante de colin maillard avec celui dont on saura très vite qu’il s’agit de Messaoud. On le découvre les yeux bandés et on le voit dans un laps de temps rapide se diriger vers le mur. Un mur qui renvoie à la muraille qui fonctionnera comme symbole futur dans la période Messaoud jeune homme.

WechmaL’autre moment fort me semble être l’arrivée de l’enfant à la maison de sa famille adoptive. Le père, ancien militaire reconverti en riche paysan ayant une belle épouse mais sans enfant. Pour Messaoud il a concocté un programme ambitieux ; hygiène, propreté et apprentissage du coran. De retour à la maison après un double parcours initiatique (le rituel adressé aux saints protecteurs et la visite moulin à huile)…), on les retrouve à la maison. La mère prépare Messaoud à la rencontre décisive avec le père qui  va dicter son programme. L’enfant, rendu propre par les soins doublement significatifs de la mère (Œdipe n’est pas loin) va rejoindre la pièce où il va retrouver son nouveau père. Il découvre la pièce comme on entre dans un nouvel univers. Les plans sont filmés en regard subjectif ; l’enfant est subjugué par l’accumulation des objets sacrés et profanes (imagerie populaire de la religion ; armes à feu…) : le sentiment d’insécurité symbolique chez le jeune enfant est accentué par l’irruption du père. On ne peut ne pas revenir au plan du moulin à huile où une immense roue à pierre broie les olives pour en extraire le suc. Tout le destin de Messaoud est ainsi tracé.

Mohammed Bakrim

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