Il faut qu’Adam vive et que la littérature prospère !

Par Guiliz Mustapha

On peut croire ou non aux métempsychoses, mais ce qui est certain est que celles-ci se réalisent par les vertus de la littérature pour faire rêver encore une fois de façon jouissive.

C’est le choix de l’écrivain Jean Zaganiaris dans son dernier roman Adam Bofary paru aux éditions Onze. L’auteur conçoitune intrigue originale qui s’inspire du roman de Flaubert, Madame Bovary, pour en épouser l’univers et en revoir les fondements.

Ce désir, on s’en souvient, apparaît déjà dans le dernier roman de l’auteurUn cœur marocain, mais il devient motif  et choix littéraire pour ce roman de Flaubert qui continue toujours de fasciner.

Le héros de ce récit, Adam Bofary, serait la réincarnation de Madame Bovary dans la ville de Marrakech en plein siècle de la technologie numérique. Et de perte de repères. Il est tout rivé non à un roman à l’eau de rose comme l’héroïne de Flaubert, mais à son smartphone avec en toile de fond un ennui incommensurable qu’il traîne tout au long du roman comme une fatalité, un «mal qui lui vient de loin» selon le mot de Phèdre.

Dès l’entame du roman, Adam entend cette phrase proférée par sa femme : «Qu’est-ce que tu as l’air con avec ce truc dans les mains !» Cette formule à l’emporte-pièce achève de le transporter irréversiblement dans un univers de chimères où il vit comme dans une fuite, comme dans un deuil sur lui-même.

Il endure le mal du siècle, le chômage, qui le pousse dans une recherche tous azimuts aussi effrénée qu’insensée des plaisirs de l’amour ou ce qu’il croit être de l’amour, de la consommation de la drogue, de l’idéal béat illustré par l’histoire tout aussi tragique que loufoque d’Issam qui débouche sur une amputation de la jambe, illustrant, si  tant est besoin, la faillite sans appel de tout idéal humanitaire dans un société bouchée à l’émeri à l’action généreuse et désintéressée.

Dans l’euphorie des drogues et de l’amertume d’une introspection à forte teneur auto dévalorisante, Adam emprunte la voie de l’autodestruction faisant peu de cas des liens affectifs qui se délitent l’un après l’autre autour de lui, en lui. Sans rémission aucune. Peut-être n’était-elle pas souhaitable pour la personne d’Adam devenu un personnage de son monde virtuel au point de ne pas reconnaître sa propre femme qui, dans son désespoir têtu, tente de toutes les fibres de son corps de l’arracher à ses chimères.

Elle s’irise à cet effet des couleurs les plus séduisantes de l’amour pour tenter de recoller les morceaux d’un univers, le leur, parti en miettes. Mais en vain. Reste l’écriture attendrie et nostalgique de son désir de parler à ce personnage lointain qu’est devenu Adam, et qu’elle exprime comme un refrain obsédant à la fin des chapitres. Une prière sans lendemain.

Cette fiction ourdie sur fond des scènes principales du roman flaubertien, telle la première entrée de Charles enfant en classe et qui débouche sur la description de ses chaussures, trouve son point d’orgue dans la scène finale où Adam se saisit de la bouteille du liquide mortellement rose ( !) et fluorescent pour en siroter le contenu.

L’épreuve est vécue comme une traversée, une métaphore de la mort et non la mort elle-même. Pourquoi tuer un personnage, ce serait demander l’écrivain Jean Zaganiaris, qui traduirait notre identité commune, notre réalité complexe, nos phantasmes, nos appréhensions, nos idéaux et leur lamentable échec… ? Pour parler comme Flaubert, «Adam Bofary, c’est moi».

Ce qu’il faut peut-être achever, c’est le monde de Flaubert avec sa vision de la littérature comme le produit de l’épreuve du «gueuloir» où l’intensité dramatique du style est vécue de manière si tragique. Le style d’Adam Bofary est scintillant et frais, la phrase est précise et le mot aigu témoigne d’un effort heureux dans ce roman d’une profondeur tendre, honnête et sincère. Une félicité à lire!

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