« La fille devrait être l’origine et la finalité »

Lamia Bazir, Fondatrice de l’initiative Empowering Women in the Atlas

Dossier réalisé par Kaoutar Khennach et Fairouz El Mouden

Figure engagée du développement humain et du leadership féminin, Lamia Bazir incarne une nouvelle génération de femmes influentes œuvrant pour le changement social. Fondatrice de l’initiative Empowering Women in the Atlas, elle consacre son action à l’autonomisation des femmes et des filles rurales et à la promotion de leurs droits. Son engagement l’a menée aussi bien sur le terrain que dans les sphères institutionnelles, où elle a occupé des postes clés, notamment en tant que Directrice Exécutive de l’Observatoire National des Droits de l’Enfant. Lauréate de distinctions prestigieuses, elle figure parmi les femmes les plus influentes d’Afrique. Dans cet entretien, Lamia Bazir revient sur sa vision de l’égalité des chances et les défis à relever pour une inclusion accrue des femmes dans la société.

Al Bayane : Pourquoi l’éducation des filles est-elle cruciale pour le développement économique et social ?

Lamia Bazir : L’éducation des filles est un droit fondamental de chaque enfant. Mais au delà de l’impératif moral, l’éducation des filles est une nécessité économique, sociale et politique.

Actuellement, plus de 130 millions de filles dans le monde n’ont pas accès à l’éducation, ce qui limite leur contribution à l’économie et à la société. L’éducation des filles permet de lutter contre la pauvreté, d’améliorer le capital humain et de stimuler la croissance économique. Selon l’UNESCO, si toutes les filles terminaient le secondaire, l’économie mondiale pourrait augmenter de 30 000 milliards de dollars. En somme, l’éducation des filles n’est pas seulement une question d’égalité des sexes, mais aussi un investissement stratégique pour l’avenir !

La fille représente l’agent fondamental pour briser ou maintenir les cercles vicieux de pauvreté. La fille devrait être l’origine et la finalité de toute politique publique, pour s’attaquer aux problèmes de développement par une approche préventive et non corrective.

Quels sont les principaux obstacles à l’éducation des filles dans certaines régions du Maroc ?

Au Maroc, bien que des progrès aient été réalisés, des disparités subsistent, surtout en milieu rural où 44% des filles terminent le secondaire, contre 70% en milieu urbain. Les obstacles incluent la pauvreté, le travail domestique, le mariage précoce, ainsi que les difficultés d’accès aux écoles, telles que les longues distances et les infrastructures insuffisantes. De plus, des mentalités conservatrices et un manque de sensibilisation renforcent ces barrières.

«  L’éducation des filles n’est pas seulement une question d’égalité des sexes, c’est un investissement stratégique pour l’avenir du Maroc ».

L’éducation doit non seulement préparer les filles à réussir leurs parcours académiques, mais aussi les doter des connaissances, des outils, et des valeurs nécessaires pour défendre leurs droits et intérêts, naviguer dans la société, créer et diriger. 

Justement, comment lutter contre les mariages précoces et les abandons scolaires, qui restent des freins majeurs à l’éducation des filles ?

Pour lutter contre les mariages précoces et les abandons scolaires, il faut garantir l’accès des filles à l’éducation en améliorant les infrastructures, en offrant des bourses et des internats, et en supprimant les barrières financières. Il est également crucial de renforcer les lois contre le mariage des enfants et de mener des campagnes de sensibilisation. L’implication directe des communautés locales et des leaders est essentielle pour changer les mentalités. Pour l’éducation des filles- comme toute problématique sociale-, nous avons impérativement besoin d’une approche territoriale de proximité qui renforce l’adhésion et l’appropriation.

Quel impact les bourses d’études et les programmes de mentorat ont-ils sur l’inclusion des femmes dans la vie publique, et quelles politiques et financements doivent être mis en place pour renforcer l’accès des filles à l’éducation ?

Les bourses d’études et les programmes de mentorat sont des leviers importants pour inspirer, soutenir, et permettre aux filles de construire leurs projets personnels et professionnels. Ils leur offrent des opportunités de formation, d’accompagnement et de mise en réseau, leur permettant d’aspirer à des rôles de leadership et de s’impliquer activement dans la vie publique. Pour garantir un accès équitable à l’éducation, il est essentiel de renforcer l’éducation obligatoire jusqu’au secondaire et d’interdire le mariage des mineures. Il faut également investir dans les infrastructures scolaires, notamment en milieu rural, en construisant des écoles proches des communautés, en fournissant sanitaires et transports et en proposant des internats sécurisés. L’extension des bourses et aides aux familles, l’intégration des technologies dans l’éducation et la formation des enseignants à des méthodes inclusives sont aussi indispensables pour assurer une éducation de qualité pour toutes.

Quelles compétences et valeurs doivent être inculquées aux jeunes filles dès l’école pour renforcer leur rôle futur dans la société ? Quel rôle jouent les enseignants, les familles et les institutions éducatives dans la construction de modèles féminins inspirants ?

Les enseignants doivent inspirer et encourager les filles en mettant en avant des modèles féminins dans les matières scolaires. Les familles jouent un rôle clé en soutenant les ambitions des filles et en leur permettant de poursuivre des études et des carrières ambitieuses. Les établissements éducatifs doivent offrir un environnement propice à l’épanouissement des filles et promouvoir des programmes de mentorat avec des femmes leaders.

L’éducation des filles doit les préparer à réussir académiquement, mais aussi à défendre leurs droits. Il est important de leur enseigner des compétences personnelles et entrepreneuriales telles que la confiance en soi, le leadership, et la prise de parole en public. Les compétences numériques et financières sont également cruciales pour leur autonomie économique. Enfin, l’engagement citoyen et la solidarité doivent être encouragés pour renforcer leur rôle actif dans la société.

Existe-t-il une corrélation claire entre le niveau d’éducation des femmes et leur participation politique, et les politiques publiques actuelles sont-elles suffisantes pour garantir une éducation équitable aux filles tout en favorisant leur ascension politique ?

Oui, il existe une corrélation directe entre le niveau d’éducation des femmes et leur participation politique. Une femme instruite a plus confiance en elle pour s’exprimer et défendre ses droits. Les études montrent que les femmes instruites sont plus informées sur leurs droits et plus susceptibles de voter et de s’engager politiquement. Dans des pays comme la Suède ou le Rwanda, où l’éducation des filles est une priorité, la représentation féminine au parlement dépasse 40%. Au Maroc, bien que des progrès aient été réalisés, la participation politique des femmes reste faible.

« Pour l’éducation des filles- comme toute problématique sociale-, nous avons impérativement besoin d’une approche territoriale de proximité qui renforce l’adhésion, l’appropriation et implique directement les populations locales. »

Les politiques actuelles, comme le programme « Tayssir » et le système de quotas politiques, ont permis des progrès, mais des inégalités persistent, notamment entre les zones rurales et urbaines. Les politiques doivent être évaluées pour mesurer leur efficacité. Il est nécessaire d’optimiser la gouvernance, d’ajuster les programmes, en fonction des réalités locales afin d’assurer une éducation équitable pour toutes les filles.

Quels sont les stéréotypes qui freinent encore aujourd’hui l’accès des femmes aux postes de décision ?

Les stéréotypes qui considèrent les femmes comme moins compétentes pour les rôles de leadership, notamment dans la politique et les affaires, freinent leur accès aux postes de décision. Au Maroc, l’idée que les femmes doivent se consacrer à leur rôle familial limite leurs aspirations professionnelles, en particulier dans les sphères politiques et économiques.

Comment les entreprises, les médias et la société civile peuvent-ils contribuer à sensibiliser et promouvoir l’éducation des filles ?

Les entreprises peuvent financer des programmes éducatifs et orienter les filles vers des secteurs d’avenir. Les médias doivent mettre en avant des modèles féminins diversifiés et  inspirants et dénoncer les discriminations. La société civile, par le biais des ONG, peut plaider pour des politiques inclusives et mener des campagnes de sensibilisation pour changer les mentalités et promouvoir l’éducation des filles.

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