L’exil est au cœur de l’écriture romanesque afghane. Il n’est pas seulement un thème majeur, mais l’essence même de l’écriture. Les auteurs afghans font de l’exil une cause de leur création, de leur errance et de leur souffrance. Ils se construisent par et en exil. La séparation avec l’Afghanistan, la nostalgie à la terre natale font vibrer le «je» en exil. Cela se révèle clairement dans la plupart des textes où les auteurs retracent mystérieusement la douleur de la séparation. Atiq Rahimi est l’un de ces écrivains afghans qui fait de l’exil un espace de dévoilement. Un espace où le «je» se débarrasse de ses ombres pour nous démasquer sa vérité existentielle :
«A peine ai-je franchi la frontière que le vide m’aspira. C’est le vertige de l’exil, murmurai-je au tréfonds de moi-même. Je n’avais plus ni ma terre sous le pied, ni ma famille dans les bras, ni mon identité dans la besace. Rien. » (La Ballade du calame)
Ecrire sur l’exil est une confirmation de soi par le verbe. Atiq Rahimi, figure centrale du paysage afghan ne cesse de peindre l’image de son existence en exil. L’écrivain fait de son acte d’écriture l’expression poétique de l’absence, de l’invisible et de l’ailleurs. L’absence de sa mère, de sa terre et de sa langue. Il est question d’une poétique de l’exil où l’auteur nous livre son expérience de l’étrangeté dans un langage symbolique très proche du surréalisme. L’expérience vécue, le voyage en Iran, en Inde et en Chine sont des éléments qui tissent l’image de cet exilé.
Atiq Rahimi fait l’éloge de son exil et le considère comme l’origine de la création. Dans son œuvre La Ballade du Calame, l’exil prend la forme d’une métaphore, un voyage au tréfonds de son être. Mais, ce qui distingue sa représentation de l’exil, c’est la particularité de son style. Si la plupart des écrivains font de l’exil une expérience pessimiste, Atiq Rahimi se révèle comme un optimiste qui se réjouit de son exil. Il se cherche perpétuellement, son corps devient une page blanche où se reflète l’image obscure de sa terre natale noyée dans le sang.
L’auteur se laisse errer dans le langage à la recherche d’une nouvelle nation, de son origine. Une révolte de soi contre soi dissocie la conscience de l’identité. C’est l’avènement du «je» comme autre ; le monde. Cela se voit clairement dans son œuvre Le Retour imaginaire, un livre dédié à l’âme de son frère :
«Dans l’exil mon identité n’existait plus qu’en esprit. Aux marges du temps. J’ai voulu retourner pour trouver mon identité dans l’histoire, dans le corps du temps, dans la terre, dans ta chair» (Le Retour imaginaire).
La question de l’identité est inséparable de l’exil. Elle traverse l’imaginaire et le texte, l’écriture et le silence. La perte de l’identité est un ressort romanesque puissant : toute l’œuvre de Atiq Rahimi tourne autour de l’étrangeté du «je», défiguré par ses blessures, détaché de sa terre, et qui ne peut rien faire, parce qu’il est devenu étranger. Cette étrangeté conduit le lecteur vers la découverte de la personne cachée sous le voile de l’écriture, l’écrivain.
L’exil devient aussi spirituel. L’être déraciné, souffrant, étranger, se sent traversé par l’écriture. L’œuvre de Rahimi est une réflexion spirituelle sur l’exil et le retour. Une seconde naissance, l’errance artistique d’un corps déchiré, détruit, mutilé. Pour l’auteur, l’exil a traduit cette révolte contre la société, contre la terreur, contre l’invasion et, petit à petit, contre un Dieu tout puissant. C’est peut-être aussi cela qui le rend enrichissant. L’exil peut être une délivrance !
Atiq Rahimi fait de son exil un souffle, aussi bien pour l’écriture que pour la peinture, la calligraphie et la musique. L’artiste transforme la source de son malheur en un espace de créativité artistique. Ses textes renferment toutes sortes d’écritures (poésie, prose, calligraphies…). Il se raconte poétiquement, philosophiquement et nous livre des œuvres rythmées par la balade du calme glissant sur le papier.
L’exil est une véritable aventure où l’écrivain se réincarne dans chaque lieu, dans chaque mot et dans chaque instant. Selon Servanne MONJOUR : «Exilé, Atiq est amputé de lui-même, de son être, de son identité, qui se maintient pourtant à la fois en lui et hors de lui, sous la forme de son alter ego. Autonomes, mais indéniablement attirées l’une vers l’autre, les deux «versions» d’Atiq ne peuvent plus se réunir, et sont d’ailleurs condamnées, à la fin du récit, à se séparer de nouveau».
Atiq Rahimi ne cesse de s’embarquer vers l’inconnu, creuser au fond de sa vie intime pour nous livrer des créations profondes, très symboliques. L’exil est l’inachèvement perpétuel de son l’écriture.
Othman Boutisane