L’absurde m’a sauvé… !

J’aime cette anarchie qui me tient; surtout quand on espère changer le cap de sa vie et que finalement le projet tombe à l’eau.

Ces jours-ci, j’ai passé des nuits entières à boire et à lire des romans médiocres, ramassés chez le vieux bouquiniste du quartier et à regarder des films en noir et blanc y compris les chefs-d’œuvre du 7e art. Que du plaisir ! Il faisait beau ailleurs, peut être. C’est ce que m’avait dit tout à l’heure Sarah qui me téléphonait depuis deux jours sans aucune réponse. Elle croyait que j’avais tiré ma révérence. Elle m’a invité à prendre un verre avec elle. Elle voulait sans aucun doute aborder, encore une fois, un sujet sensible dont j’ignorais le dessein. Qui sait ? Les femmes sont comme ça : étranges ! Sarah est une artiste professionnelle. Elle participe à des expositions organisées aux quatre coins du monde. Elle est charmante et tendre. J’adore sa peau et ses choix musicaux. Il faut dire que la sublimation atteint son summum quand elle met, majestueusement, les couleurs sur la toile. Passionnée de la musique classique, elle joue également sur un instrument. Il y a quelques mois, elle m’avait dit qu’elle entamerait des cours de danse et de musique avec une professeure venue de France pour s’installer ici. Apparemment, celle-ci aimait le soleil de cette terre accueillante et ses gens qui ont du rythme dans la peau. Super ! Sarah y prend part. Car depuis toujours, la passion et la douce folie artistique guident sa vie. Une vraie artiste ! Ça tombe bien pour elle puisqu’elle y trouve une issue ainsi qu’un plaisir! La chance, quoi ! Quant à moi, je ne fais rien. Je ne suis qu’un vaurien ayant perdu la foi et le goût. Et rien ne va dans ma vie après une série d’échecs dans les études, ainsi qu’en amour. Je ressens un goût anormal dans ma vie. Pis encore, plusieurs fois, j’avais cette idée noire que cette existence ne vaut pas la peine d’être vécue. Nihilisme total. Mais il répond à cette déchirure de la réflexion et celle de l’âme. Ma Grand-mère est gravement malade. Elle va sûrement mourir aujourd’hui ou demain. Je n’en doute pas ! Peu importe alors puisqu’elle avait vécu sa vie en dansant et en chantant «izla’n» lors des fêtes festives organisées pendant la saison estivale. Un bonheur ! Elle avait mené ainsi une vie dure, mais aussi et surtout authentique que simple avec les petites gens d’ «Ighrem». A vrai dire, j’avais toujours un rapport très original avec elle, notamment quand elle me chantait des poèmes en amazighe. Sa mémoire était forte avec un imaginaire si captivant. Je parlerai d’elle, un jour.  J’hésite de prendre ce verre avec Sarah. Elle va me bombarder la tête avec son questionnaire ennuyeux et infernal. Dans cette optique, je la filme dans ma tête comme un bourreau avec ses yeux mi-ouverts et son nez pointu. L’horreur ! En prenant le taxi vers le bar, je ressens encore ce vide considérable dans mon ventre ainsi que dans ma conscience. Un géant néant, disons ! En effet, c’est à peine que cette putain de voix peut sortir des entrailles pour demander au chauffeur l’endroit où j’ai envie d’aller. J’ai perdu complètement le souffle et la parole. Incroyable, mais vrai !!! Il ne me reste que deux cigarettes et un verre de vin dans une bouteille ouverte il y a trois semaines et délaissée à son sort absurde. Je n’ai rien mangé depuis deux jours. L’effondrement ! Je n’ai jamais cru aux djinns, mais ce jour-là je les ai vus devant moi ! Ils sont des lettres  sans ailes incapables de s’envoler. Là, je suis vraiment conscient que j’ai faim jusqu’au point que je risque de tomber dans un coma. Un long, bien évidemment. Peu importe. J’ai pris ma douche, je me suis habillé et j’ai fumé une clope. À la sortie, j’ai senti un goût toujours amer dans ma bouche. C’est normal ! La lumière de la ruelle étroite du quartier était très fine et il faisait quand même chaud. La saison caniculaire montre déjà ses seins au ciel. En marchant, cette tête entre mes épaules était un véritable fardeau que j’avais envie d’arracher et de jeter loin, très loin d’ici. Oui.  Je rencontre finalement Sarah dans le même bar de l’autre fois. Rien n’a changé, même le sourire habituel de la vieille femme de ménage. Un sourire qui me parle et m’interpelle à la fois. Il est chargé de souffrance et des odeurs tenaces des années brûlées dans les toilettes. La bouche du sort est  toujours sale. On s’assoit à la même table devant les musiciens. C’est un mardi soir, l’endroit est quasiment vide. La musique est douce et lourde dans mes oreilles. Je commande une bière. Elle aussi. Un instant de silence domine l’espace après que ces musiciens soient partis pour boire et fumer. Cette fois-ci, Sarah me regarde étrangement comme si c’était la première fois et me demande pourquoi mon visage est pâle comme une poire et mes yeux, rouges et rivés sur l’autre côté du mur ?
– Rien, j’en sais rien. J’ai juste beaucoup bu hier.
– Bon, dis-moi, où en est-on de tes projets ?
– Toujours rien chérie; sauf que je suis entrain de chercher une histoire bien faite pour mon roman. J’étais complètement désemparé, ces jours-ci, dans la lecture et la relecture des livres. J’ai beaucoup lu, surtout des choses inutiles, mais en vain. Ma mère me l’avait dit un jour en méditant un vaste champ de blé : «Awliydi ma3adek zhar fhad dnya»(1)!
– Une histoire ?, s’interrogea-t-elle en souriant.
– Oui, une histoire.
– Écris alors sur notre amour ou bien la première fois  quand on s’est vu lors de l’exposition de mon amie Nathalie. Tu te souviens, n’est ce pas ?
– L’absurde : non, non, je ne m’en souviens plus.
– Tu ne te rappelles pas de notre première rencontre ?
– Oui, oui je m’en souviens. C’est un moment gravé dans ma mémoire. Puis-je l’oublier ? Certainement, non. Or, je ne me souviens pas de ton amie.
– Ton téléphone sonne. Répond !
– Non, non… je n’en ai pas envie. En plus, c’est un numéro caché. Répond à ma place si tu le veux bien sûr ?
– Ta Grand-mère est décédée. Que Dieu ait son âme ! Ta sœur vient de me l’annoncer.
– Oui, ça, je le savais déjà. C’est évident. Elle  était gravement malade ces derniers jours. A ta santé!
– Comment ?
– Certainement, elle est morte en souriant ! J’en suis sûr. A ta santé !
– M’aimes-tu ?
– Je ne sais pas. Or, je trouve que cette musique est vraiment bonne.
– Je m’en vais.
– comme tu veux, chérie !
La fête bat son plein dans le bar.
(1)-Oh mon fils, tu n’as plus de chance dans cette vie !
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