Le numérique, levier de la transformation de la société ?

Par Abdeslam Seddiki

Le rapport sur le nouveau modèle de développement a fait du numérique, à juste titre, l’un des leviers fondamentaux de la transformation de la société marocaine. Le passage à l’ère numérique est une nécessité pour notre pays  pour être en phase avec l’évolution mondiale. Il faut par conséquent  s’y préparer sérieusement et mettre les bouchées doubles afin de relever ce défi.

Il faut reconnaitre que le Maroc, nonobstant les efforts déployés au cours des dernières années  en la matière, a encore du pain sur la planche tant au niveau des infrastructures qu’au niveau des  ressources humaines.   Le contexte pandémique que nous vivons  a montré  l’importance du numérique, voire son caractère stratégique.

Les données fournies par l’ANRT (Agence Nationale de  réglementation des télécommunications) à la suite de la tenue de son CA le 23 juin relatives au premier trimestre de l’année en cours sont encourageantes. Ainsi,  le parc des abonnés à Internet a enregistré une croissance annuelle de 16% pour atteindre 30,6 millions d’abonnés. Il augmente de 4,2 millions sur une année et enregistre un taux de pénétration de 85%. Dans ce segment,  l’internet mobile reste le moteur de cette croissance puisqu’il réalise une hausse annuelle de près de  16% pour s’établir  pratiquement à 28,5 millions d’abonnés (contre 22 millions à fin 2017).

Cette évolution positive s’accentue au niveau des parcs du haut débit. Ainsi, à fin mars 2021, le parc de la 4G a réalisé une évolution annuelle de 26,66% et s’établit à 21,56 millions d’abonnés (+ 4,5 millions par rapport à fin mars 2020). De même, le parc des abonnés à la fibre optique (FTTH) enregistre une croissance annuelle astronomique  de 81% pour atteindre 251.280 clients. (contre à peine 37000 en 2017).  Quant à l’ADSL, son parc s’établit à 1,61 million d’abonnés, enregistrant une hausse trimestrielle de 0,15%. Quant au parc de la téléphonie mobile, il a gagné 3,6 millions d’abonnés en un an pour atteindre 49,5 millions à fin mars 2021. Il enregistre ainsi une croissance annuelle de 7,85% et réalise un taux de pénétration de 137,6% contre 128,9% un an auparavant.

S’il faut se féliciter de tous ces efforts de connexion qui s’expliquent en grande partie par  la crise sanitaire, il faudrait par contre enregistrer plusieurs anomalies et dysfonctionnements. En premier lieu, le coût de la fibre optique en vigueur actuellement,  bien qu’il ait connu une baisse pour se situer à 500 DH par mois, demeure relativement élevé et hors de portée de larges couches de la population. Il est nécessaire à cet égard d’introduire plus de concurrence entre les différents opérateurs et de casser le monopole de fait  dans certains segments.

En deuxième lieu, la couverture réseau  n’est pas uniforme sur l’ensemble du territoire  donnant lieu à des déserts numériques flagrants  et à une inégalité des citoyens devant l’accès aux nouvelles technologies de l’information et de la communication (NTIC). En troisième lieu, l’importance du nombre d’abonnés ne doit pas nous induire en erreur.  Tout dépendra de l’usage que l’on en fait pour améliorer la productivité, faciliter l’accès à l’information et la partager, réaliser un certain nombre  de services et d’opérations à distance. .. Force est de constater que sur l’ensemble de ces questions, nous sommes encore   en phase de lancement  et de balbutiements.

Ainsi, le gouvernement électronique, qui devrait être un moyen de modernisation de l’administration et de simplification des procédures  demeure pour l’essentiel au stade d’essai, nonobstant le coup de pouce qui lui est donné au cours des derniers mois.  On rencontre encore des réticences à ce niveau aussi bien  de la part de l’administration que de  de la part des usagers. Des efforts palpables ont été faits cependant dans certains secteurs pour la digitalisation de leurs services  comme c’est le cas  notamment aux Ministères  des  Finances et de l’intérieur.

Par ailleurs, les paiements électroniques demeurent encore marginaux. D’après l’indice 2020 du commerce électronique entre entreprises et consommateurs établi par la Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement (Cnuced),  le Maroc se place au 95e rang sur 152 pays.

Mais pour aller loin dans ce processus, il faut travailler à l’amont en commençant par la réduction de la fracture numérique  à travers une meilleure couverture de l’ensemble du territoire national et la conduite d’une vaste  campagne de lutte contre « l’analphabétisme  numérique ». Aujourd’hui,  est analphabète, non seulement la personne qui ne sait pas lire et écrire, mais celle qui ne manipule pas convenablement l’outil  de ces NTIC.

Pour ce qui est des réticences de certaines personnes à  recourir aux services dématérialisés, réticences s’expliquant essentiellement  par méfiance vis-à-vis de  ce qui est nouveau,  elles peuvent être dépassées par une action persévérante  de sensibilisation  et d’explication pour leur montrer les bienfaits de ces techniques et les rassurer quant à leur vie privée.  Le rôle de la Commission Nationale de contrôle de la protection des Données à Caractère Personnel (CNDP), ou de la DGSN,  est primordial.

« Last but not least », il est nécessaire de procéder à une mise à niveau de notre arsenal législatif et réglementaire pour intégrer toutes ces transformations,   protéger les droits  des  citoyens et anticiper, pourquoi pas,   les changements  à venir et qui sont inévitables. Le numérique, s’il s’avère un choix incontournable, il n’est pas sans  comporter des risques. D’où la nécessité de  renforcer la régulation et de redoubler de  vigilance. Il y va de notre souveraineté numérique, voire de notre souveraineté tout court.

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