Par Abdeslam Seddiki
Le Chef du Gouvernement vient d’envoyer à ses Ministres une circulaire relative à la préparation du projet de loi de finances pour 2023. Quelques jours avant, La Ministre de l’économie et des finances a présenté successivement devant les deux commissions du parlement un exposé détaillé sur « Exécution du budget pour l’année 2022 et préparation du Projet de Loi de Finances 2023 et présentation de la programmation budgétaire pour les trois prochaines années (2023-2025) ». Les deux documents se complètent et méritent d’être lus et analysés ensemble pour avoir une idée sur la situation du pays et le contexte socio-économique dans lequel se prépare le prochain PLF. A prendre également en considération l’exposé du Wali de Bank Al Maghreb devant SM le Roi lors de la présentation au Souverain du rapport annuel de la Banque. Sans omettre nécessairement d’autres documents et déclarations comme le rapport de la Banque Mondiale dont le titre est évocateur : « la reprise économique tourne à sec », allusion est faite à l’année de sécheresse et au stress hydrique que connait le pays. « Last but not least », la publication par le HCP du budget économique exploratoire pour 2023 alerte le pays sur la gravité de la crise. Lors de sa conférence de presse, le Haut-Commissaire, en homme averti, n’a pas mâché ses mots en désignant les choses par leur nom et en s’adressant à qui voulait l’entendre que nous sommes rentrés dans une phase de crise qui risquerait de durer.
Le mot qui fâche et inquiète est lâché. Le Maroc est rentré, après la parenthèse courte de 2021 considérée comme une année de rattrapage, dans une situation de crise se manifestant à plusieurs niveaux : un taux de croissance pour l’année en cours qui oscillerait entre 1% et 1,5% selon les différentes estimations ; aggravation du déficit budgétaire (-6,4% contre -5,6%) ; aggravation du déficit du compte courant (-5,2% contre -2,3%), aggravation du déficit commercial suite à l’évolution différenciée des exportations (9,2%) et des importations (14,2%), aggravation de la dette du trésor de plus de 3 points du PIB passant de 68,9% à 72,1% ; explosion du taux d’inflation à 5,3 % (avec 7,8% pour les biens alimentaires qui touchent les personnes à bas revenus) contre 1,4% en 2021. Le taux de chômage, on s’en doute, irait dans la même direction. D’ailleurs, il ne pourrait en être autrement en toute logique nonobstant les derniers chiffres relativement rassurants relatifs au deuxième trimestre de l’année 2022 publiés par le HCP selon lesquels le taux de chômage a baissé de 12,8% à 11,2% entre le deuxième trimestre 2021 et le deuxième trimestre 2022 suite à la création de 133000 emplois durant la période. Il faudrait, par conséquent, attendre les résultats de l’année pour apprécier la situation du marché du travail.
Dans ce ciel grisâtre, apparaissent heureusement quelques étoiles laissant entrevoir une lueur d’espoir. Elles résident dans le comportement relativement favorable des rentrées fiscales qui s’expliquent pour certains postes, comme l’IS, par le taux élevé de croissance enregistré en 2021, soit 7,9%. Ainsi, à l’exception de la TVA à l’intérieur et aux revenus issus des participations des EEP, les autres ressources ont dégagé des taux de croissance à fin juin 2022 variant entre 57,3% pour l’IS et 5,1% pour l’IR. Dans leur ensemble, les ressources ordinaires se sont accrues de 23,5% à fin juin 2022 par rapport à la même période de 2021, soit une somme de 28 MM DH de plus.
On le voit, la situation est préoccupante. Elle ne s’explique pas uniquement par les perturbations des chaines de valeur mondiale et la guerre entre la Russie et l’Ukraine, deux facteurs exogènes auxquels s’ajoute la sévère sécheresse que nous vivons au cours de cette année. Elle est due également, et dans une large mesure, à la vulnérabilité de notre économie et sa forte dépendance à l’égard du marché mondial. La crise covid a dévoilé au grand jour nos vulnérabilités sociales et les limites de certains choix économiques, à telle enseigne que tout le monde parlait d’un Maroc post-covid qui marquerait des ruptures avec le Maroc d’avant covid. Le rapport de la Commission spéciale sur le NMD est allé globalement dans ce sens. Cependant, jusqu’à aujourd’hui, ce rapport est resté, à de rares exceptions, lettre morte. On en parle, on s’y réfère comme le fait le gouvernement. Mais pas plus. Dans tous les cas, les choses avancent à pas de tortue faute de détermination réelle et de volonté politique forte. Seuls les chantiers sociaux et structurants lancés par le Souverain avancent à un rythme globalement satisfaisant dont en particulier le chantier du règne portant sur la généralisation de la protection sociale et de la réforme de notre système de santé.
Ainsi, en lisant attentivement la note de cadrage du Chef du gouvernement, on trouve les mêmes recettes : juste des tranquillisants pour calmer la douleur d’un malade qui souffre et qui demande un vrai traitement. Alors que le pays a besoin d’un réel sursaut et de remèdes appropriés aux maux dont souffre notre société et qui ont été désignés avec courage par le Wali de Bank Al Maghreb à savoir la lutte contre la corruption, le démantèlement de l’économie de rente, le gouvernement donne l’impression d’avoir la tête ailleurs. Ainsi, parmi les priorités assignées à la prochaine loi de finances, nulle trace de la lutte contre la corruption devenue pourtant une véritable gangrène qui ronge la société. La lutte contre l’économie de rente est à peine effleurée comme s’il s’agissait d’un fait divers alors qu’elle est la « mère des problèmes ». La réforme fiscale telle qu’elle est envisagée par la loi-cadre votée à l’unanimité du parlement fait encore du surplace privant le pays de ressources additionnelles estimées par la Banque Mondiale à 12% du PIB !! Soit la bagatelle de 160 MM DH, de quoi financer la protection sociale, éradiquer la pauvreté, inonder le pays en services publics de qualité, soutenir le pouvoir d’achat et surmonter la crise …
Bien sûr, on ne jettera pas le bébé avec l’eau de bain. Le document prévoit quelques mesures positives exprimées pour l’heure sous-forme de bonnes intentions. On jugera sur pièce le moment venu sur la base des chiffres et des faits une fois le PLF est ficelé. Pour l’heure, nous sommes en phase de lancement de la préparation du projet qui nécessitera des échanges entre les différents départements et des arbitrages de dernière heure. Mais on ne doit pas s’attendre au miracle et on ne voit pas d’issue à la crise du moins à court terme. A moins que le gouvernement nous convainc du contraire.