L’éphémère et l’hyperréalisme

Les nouvelles œuvres d’Abdelilah Chahidi

Par  M’barek Housni

« Je ne l’ai rencontrée que deux fois. C’est peu. Mais l’extraordinaire ne se mesure pas en termes de temps. » Cioran.

Il demeure toujours là, ce style minutieux, d’un perfectionnisme presque obsessionnel, qui confère aux œuvres d’Abdelilah Chahidi un hyperréalisme saisissant, un figuratif d’une intensité qui dépasse la simple vraisemblance. C’est une rencontre surprenante entre le vu et l’imaginé. Il y a l’apport direct de la réalité, peint et consistant, et il y à la chose imaginée qui est apportée d’une deuxième réalité recréée sur la toile. Et l’ensemble fait sens et est visible à tout un chacun.

La réalité de l’éphémère

Toutefois, cet ensemble est lié dans l’œuvre à des visions surréalistes d’une importance capitale. Tout trait, toute nuance paraît sculpté avec la précision d’un scalpel, comme si l’artiste prélevait à même le réel pour non seulement l’emprunter, mais aussi le concurrencer. Et plus encore, il le dépasse, l’inscrivant dans le surréalisme.

Cela permet à l’artiste, dans ses nouvelles créations, de sonder encore plus loin l’exploration de sa thématique essentielle : l’éphémère, collé à ce qui est intelligible. Par une exécution qui ne lésine pas sur les moyens, il parvient à indexer la fugacité dans le temps, à structurer l’insaisissable dans une présence presque palpable. Sous le regard, ce qui ne dure pas prend forme et gagne en densité.

Entre l’aqueux et l’enflammé

Ce sont des œuvres criantes de vérité, où l’on fait face à des scènes agréablement bruyantes de mouvements, où deux éléments naturels, l’eau et le feu, se transforment et créent des formes animales ou organiques : des chevaux, des mains et surtout des femmes. Dans un beau poème de Guillevic évoquant l’eau coulante, on lit ceci :

« Elles se pressaient, tes vagues,/Lors de la marée,/Elles se bousculaient./Elles avaient besoin/Que l’interminable/Soit fini pour elles. »

Chez A. Chahidi, l’interminable est cela même, visualisé par des êtres.

Des chevaux formés par des éclaboussures et des vagues galopent à travers la mer. Des mains féminines, sur lesquelles coulent des gouttes d’eau, protègent un nid contenant un oiseau, sous un ciel orageux, sombre et menaçant, avec des éclairs et des nuages lourds. D’autres mains interagissent avec de l’eau qui forme des silhouettes féminines dansantes.

Dans la même relation à la vérité, le feu d’une flamme (de bougie) près d’une main contraste avec une autre main qui tient un stylo et écrit. La fumée de la flamme se transforme joliment en une figure humaine : probablement un visage, un esprit ou une silhouette.

En faisant voler l’eau et le feu dans les airs, les figures qu’ils prennent sont fortement détaillées avec une technique juste, souple et éthérée. Ils deviennent plus que des formes « vivantes » : chacune dénote une idée, une célébration. Une pensée qui s’élève, une métaphore de l’art ou de l’inspiration, un hommage à la grâce et à la beauté de la femme.

Le fond sombre du deuil

Le tout est mis en avant grâce à un éclairage qui rend les éléments lumineux par rapport à l’arrière-plan sombre, ce qui renforce leur éclat et leur véracité. Le choix du noir comme fond permet de les mettre en valeur en facilitant, par contraste, la luminosité de ce qui est peint.

Les formes, blanches et transparentes, gagnent ainsi en précision. Cette approche met en lumière l’éphémère qui perdure par la magie de l’art. La procédure picturale utilisée appartient, comme mentionné précédemment, à la peinture hyperréaliste, tout en l’intégrant à un univers qui va au-delà de la logique acceptée et normale des choses, sans jamais la rendre vague ou incompréhensible.

C’est comme écrire une dissertation philosophique via l’image sur un tableau noir. L’artiste cherche la vérité, l’autre vérité, qui a tant d’aspects sous son apparence statique, mais qui n’est jamais la même. L’eau et le feu, livrés à eux-mêmes, sont saisis comme en plein vol par les mains hantées de l’artiste.

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