Tension, échec du gouvernement et nécessité de changer de cap

Par Mohamed Nabil Benabdellah

Nous connaissons tous l’importance particulière que revêtent les rituels de l’Aïd Al Adha pour les ‎Marocains. Néanmoins, nous avons constaté, comme il était prévisible, comment des millions de ‎familles marocaines se sont réjouies et ont ressenti un profond soulagement à la suite de la ‎courageuse et sage décision royale de ne pas accomplir le rite du sacrifice de l’Aïd de cette année. Cette décision dénote d’une compréhension profonde de Sa Majesté le Roi de la situation ‎sociale difficile à laquelle sont confrontées la plupart des couches de la société, ainsi que de Son sens habituel de l’écoute du pouls de la société.‎

Nous devons donc remercier Dieu pour cette décision judicieuse, car on n’ose imaginer dans quelle situation ‎se seraient retrouvés les Marocains à l’occasion de l’Aïd face à la flambée exorbitante des prix du ‎mouton et à l’avidité de ceux qui profitent de la crise et des grands intermédiaires, comme ce fut le cas l’année ‎dernière, en l’absence totale du gouvernement qui s’est contenté d’observer en spectateur les ‎souffrances des citoyens comme s’il n’était pas concerné par leur protection sociale.‎

Maintenant, et en relation avec ce sujet, il n’est pas inopportun de revenir sur le bilan du ‎gouvernement, particulièrement en ce qui concerne la situation sociale et le pouvoir d’achat.‎

Certes, personne ne peut nier les répercussions de la sécheresse et des changements climatiques, ni ‎contester que, pendant une certaine période, les fluctuations du marché international se sont ‎effectivement intensifiées. Mais quel est donc le rôle d’un gouvernement s’il ne fait pas face et ne ‎réagit pas face à de telles circonstances pour ne les utiliser par contre que pour justifier son échec cuisant ‎‎!?‎

Dès lors, par responsabilité et par bon sens, nous devons poser de nouveau deux questions ‎brûlantes au gouvernement, compte tenu des missions, des prérogatives et aussi des moyens que lui ‎confère la Constitution. La première question est « comment et pourquoi le pouvoir d’achat s’est-il ‎effondré à un niveau aussi inédit, au point que dans tous les milieux le sujet de la flambée des prix ‎domine toutes les discussions ? » La deuxième question est  « comment se fait-il que les dizaines de ‎milliards de dirhams, qui ont été et continuent d’être dépensés pour le plan/Génération Maroc Vert et ‎pour le soutien à l’importation de produits alimentaires, n’aient pas eu d’impact positif sur la sécurité ‎alimentaire ? »‎

En toute objectivité, les réponses sont largement partagées au sein de la société et confirmées par les ‎chiffres d’institutions nationales officielles. Plus encore, des voix au sein même du gouvernement et ‎de sa majorité ont commencé à reconnaitre l’existence de la crise de la cherté de la vie et à en révéler ‎les causes.‎

Mais le gouvernement actuel (et particulièrement le Rassemblement National des Indépendants qui le ‎dirige) continue de se vanter de manière provocatrice de réalisations fictives, tout en ignorant et ‎en niant la dure réalité de la souffrance des citoyennes et des citoyens, qui ploient sous le poids d’une ‎flambée insupportable des prix, et en se contentant d’un discours de justification au lieu de ‎prendre les mesures nécessaires pour faire face aux facteurs de tension sociale ou du moins pour en ‎atténuer les effets.‎

Le gouvernement a échoué à fournir le soutien qui aurait dû être apporté de manière juste et efficace ‎aux petits et moyens éleveurs, afin de préserver le cheptel national. Et se ce n’est là qu’une partie de son ‎échec cuisant à mettre les milliards du Plan/Génération Maroc Vert au service du monde rural, des ‎petits agriculteurs et de la souveraineté alimentaire nationale. Car seuls les grands agriculteurs ‎exportateurs bénéficient d’énormes privilèges financiers, fiscaux et fonciers, et ce au détriment ‎de l’épuisement de nos ressources hydriques, au moment où nous sommes devenus importateurs ‎de presque tous nos besoins.

Le gouvernement a, donc, échoué à garantir un impact positif du soutien généreux, estimé à des milliards ‎de dirhams, qu’il accorde sur un plateau d’argent et sur mesure à une poignée de grands importateurs ‎qui ont formé un véritable lobby, et ce en l’absence totale de tout plafonnement des prix et de ‎contrôle des marchés. Ainsi, les prix de la viande ont poursuivi leur envolée record et vertigineuse, ‎enrichissant environ 18 grands spéculateurs aux dépens du pouvoir d’achat de millions de Marocains, ‎comme l’a reconnu un ministre du gouvernement actuel.‎

Le gouvernement a également échoué à faire face à la flambée des prix de la plupart des produits de ‎consommation et des services, principalement du fait de la spéculation et du monopole. Il a failli dans le ‎contrôle des chaînes de distribution et de commercialisation et a laissé le champ libre à ceux qui profitent de cette crise pour « sucer le sang des Marocains » en toute impunité. Le phénomène du « jeune ‎poissonnier de Marrakech » n’est que l’arbre qui cache la forêt. De même, les pratiques controversées ‎et l’accumulation illégitime de profits excessifs dans le secteur des hydrocarbures, relevées par le ‎Conseil de la concurrence, en apportent une preuve incontestable.‎

Comme le pouvoir d’achat est lié au revenu autant qu’aux prix, il convient de souligner à cet égard que ‎le gouvernement a échoué à faire face à l’aggravation sans précédent du chômage. Pire encore, ses ‎politiques inadaptées ont fait perdre au pays des centaines de milliers d’emplois. Le gouvernement a ‎également échoué à attirer des investissements créateurs d’emplois en adéquation avec les atouts et ‎les potentialités de notre pays, comme il a échoué à réaliser une véritable relance économique, à ‎promouvoir une industrie nationale moderne, performante et diversifiée, et à soutenir les très ‎petites, petites et moyennes entreprises.‎

Le gouvernement et son chef ont sombré dans des niveaux inédits de conflits d’intérêts flagrants et ‎de défense éhontée devant le Parlement d’intérêts financiers et économiques personnels, en ‎exploitant de manière scandaleuse leur position officielle, comme ce fut le cas pour l’attribution du ‎marché de la station de dessalement d’eau de mer de Casablanca. Et ce n’est que la partie visible de ‎l’iceberg.‎

Le gouvernement a également échoué à généraliser la couverture médicale et à garantir ‎véritablement l’accès équitable aux soins, contrairement à ce qu’il prétend. Il a également échoué à ‎corriger les nombreux dysfonctionnements qui entachent le programme de soutien social direct.‎

La liste des échecs du gouvernement est si longue qu’il est difficile de tous les énumérer. Nous ‎n’avons cessé d’alerter sur ces échecs et sur la gravité de leurs conséquences, mais sans jamais être ‎entendu par ce gouvernement qui a choisi d’adopter un discours de confort et d’autosatisfaction ‎excessive, et a également choisi de se ranger du côté des lobbies de l’argent au détriment du peuple.  Il s’agit-là d’une erreur grave, voire dangereuse, que de persister ‎dans cette voie qui expose tous les acquis de notre pays, ses accumulations et ses réalisations à la ‎tourmente à Dieu ne plaise.‎

Bien sûr, en plus de tous ces échecs évoqués brièvement, les dimensions politiques et de droits ‎humains restent totalement absentes de l’agenda et de l’action de ce gouvernement. La seule ‎signification est qu’il se considère dans « une situation confortable et de tout repos » avec une majorité ‎numérique, mais sans poids ni influence réelle dans la société. Une majorité qui ne communique pas, ‎qui n’encadre pas les citoyens, et qui laisse de larges espaces vides sur la scène politique. Un gouvernement qui ‎abandonne la société en proie facile à toutes sortes d’expressions spontanées ou tendancieuses.‎

L’un des exemples les plus éloquents de l’échec du gouvernement à s’occuper des questions politiques et démocratiques et celles relatives aux droits humains réside dans son incapacité à assumer la moindre ‎responsabilité dans l’explication et la défense des propositions et orientations de la réforme du Code ‎de la famille. Il aborde ce sujet avec une logique de dissimulation et d’esquive à engager tout débat ‎autour de ce chantier sociétal, ce qui constitue une preuve supplémentaire du vide politique abyssal ‎dans lequel se fourvoie ce gouvernement.‎

En conclusion, toutes ces approches gouvernementales sont diamétralement opposées aux ‎orientations du Nouveau Modèle de Développement, qui appelle à « libérer les énergies de la société », alors que le comportement du gouvernement ne fait que restreindre ces énergies, socialement, ‎économiquement, démocratiquement et en matière de droits humains. De ce fait, il ne fait que semer ‎les germes des tensions et de l’impasse, et alimenter les facteurs de perte de confiance, ce qui ‎nécessite… un changement de cap vers une alternative capable de transformer les opportunités en ‎progrès.‎

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