La tendance est là depuis quelques années. Les banques sont à la recherche de nouveaux relais de croissance pour faire face à l’essoufflement de la rentabilité. Banque en ligne, multiplication des offres produits, mais aussi réduction des charges, sont les nouveaux mots d’ordre des banques, sans oublier l’Afrique devenue un eldorado incontournable.
Si certains indicateurs des résultats bancaires affichent encore de la croissance, il n’en reste pas moins que leur évolution n’a plus rien à voir avec celles des années précédentes. D’ici la fin de mars, toutes les banques auront communiqué leurs résultats. C’est alors que l’on saura avec davantage de précision comment s’est comporté le secteur bancaire en 2015. Mais d’ores et déjà, les chiffres communiqués par Bank Al Maghrib et d’autres du Groupement professionnel des banques du Maroc (GPBM) parvenus à la presse, permettent de dégager les tendances fortes de l’année.
Si l’on considère uniquement les chiffres de l’année 2015, le PNB du secteur a connu une croissance de 1,9%, de même la somme sectorielle globale des résultats nets part du secteur a connu une progression de 4,8%. «Cependant, toutes les banques n’ont pas connu les mêmes dynamiques. Certains groupes bancaires ont vu leur PNB –produit net bancaire- en repli (Attijariwafa bank et BMCI) alors que d’autres dépassent les 3% voire 5%, car ils ont été plus exposés vis à vis de certaines sociétés opérant dans des secteurs en difficulté (raffinage, immobilier et sidérurgie, etc.)», nuance Saâd Rguig, consultant au bureau de Casablanca de Sia Partners. Parallèlement à ces résultats, et lorsqu’on analyse les chiffres plus finement, la part de l’activité des banques en Afrique, ne cesse quant à elle de croître.
L’Afrique, seule issue possible
En effet, au regard du ralentissement de l’activité du secteur bancaire, aujourd’hui plus que jamais, les banques marocaines jouent leur va-tout en Afrique. Et l’enjeu est de taille.
«L’Afrique représente un potentiel de croissance considérable, car contrairement au Maroc, la taille du système bancaire est trop faible par rapport à l’économie. Du coup, une réelle opportunité existe dû à l’effet de rattrapage qui se fera inexorablement », avance Ismaïl Douiri, directeur général d’Attijariwafa Bank (AWB). Autrement dit, les banques africaines sont sous capitalisées par rapport au potentiel qu’offre l’économie dans laquelle elles évoluent.
Aujourd’hui, l’Afrique représente pour AWB 26% de son activité, et pour la BMCE, on parle d’une contribution autour de 30%. Quant à la Banque populaire (BP), l’activité des filiales africaines pèse pour 20%.
Profiter du relai de croissance que représente l’Afrique est sans doute la marche à suivre pour les banques marocaines. En mai dernier, Abdellatif Jouahri, gouverneur de Bank Al Maghrib n’a pas manqué de rappeler à l’ordre les banques marocaines quant à la prise de risques que comporte leur expansion panafricaine. Il est vrai que le couple risque/rentabilité est mis à mal, mais c’est le prix à payer selon certains analystes. «Je dirai que c’est un risque naturel. En finance, on ne crée pas de relais de croissance si on ne prend pas de risques. Il faut ajouter qu’il y a beaucoup à faire, et disons-le, l’Afrique est la seule issue pour les banques marocaines. Surtout qu’en plus de leur proximité culturelle, elles disposent d’un réel temps d’avance par rapport aux banques africaines en matière de réglementation, d’offre produits, de maturité,…», affirme Thomas Rocafull, directeur général MENA de Sia Partners, spécialiste des services financiers.
Soit. Seulement, il existe un autre risque pour le Maroc à trop vouloir se développer en Afrique. Le Maroc bénéficie d’une image de stabilité qui lui permet d’accéder à un coût de financement à l’international beaucoup plus faible. Et justement pour financer cette fameuse croissance africaine, les banques marocaines auront besoin du marché international. «La part que prendra l’Afrique dans l’activité bancaire dépendra de la stratégie de chaque conseil d’administration. Souhaitera –t-il ou non garder une forte identité marocaine en terme de risque/rentabilité ? Car se vendre en tant que banque marocaine est moins coûteux que se vendre en tant que banque panafricaine », fait remarquer Ismaïl Douiri. Cependant, les banques marocaines ont-elles vraiment le choix ? Si au Maroc le coût du risque est certes plus faible, la marge elle est attaquée et la croissance, faible. «Il y a donc un équilibre à préserver afin de ne pas aggraver le coût de financement à l’international des banques marocaines », suggère Ismaïl Douiri.
Les autres relais de croissance
Si aujourd’hui l’ensemble des banques cherchent à augmenter leurs revenus à travers leur développement en Afrique, il n’en demeure pas moins que la réduction des coûts, en temps de crise, peut se révéler aussi un excellent gisement de croissance.
«A mon sens, aujourd’hui, il s’agit pour les banques de travailler d’abord sur leur efficacité opérationnelle. Certes, il y a eu beaucoup d’efforts en la matière, seulement il y a encore beaucoup de marge », affirme Thomas Rocafull.
Selon ce dernier, un des premiers levier d’efficacité à activer porte sur les processus qui sont encore assez administratifs. «Il y a toujours beaucoup de tampons et contre tampons, de signatures… », ajoute-t-il. En matière de dématérialisation des processus, les études ou la mise en place des méthodes de lean management durent 5 à 6 mois.
«Sur le volet des moyens de paiement, il y a également des victoires rapides à mettre en place, notamment avec le digital (internet/ smartphone)», poursuit Thomas Rocafull. Ce sont des projets qui mettent 6 mois à 1 an pour être rentabilisés. Pour mettre en place un canal, il faut compter un investissement qui varie entre 10 et 30 millions de dirhams, dépendamment de l’aspect sécurité.
Parallèlement à ces leviers, et toujours dans cette même logique d’optimisation à travers le digital et les systèmes d’informations, les banques seront amenées à optimiser leur réseau de distribution. «Aujourd’hui, beaucoup d’agences sont encombrées par des personnes qui viennent récupérer le solde de leur compte, ou faire de simples transfert d’argent. Le digital à terme peut permettre d’améliorer la base de coût de 10% à 15% une fois que l’investissement est amorti et déployé », analyse Thomas Rocafull. La taille des réseaux d’agences est arrivée à peu près à maturité. Le nombre d’ouvertures sera amené à décroître. Du moins, la croissance à deux chiffres, c’est fini.
«L’agence va devenir de plus en plus une agence de conseil, de services à valeur ajoutée et deviendra de moins en moins une agence de transactions. Les transactions seront portées de plus en plus par la technologie ou externalisés vers des automates », appuie un analyste financier.
La bancassurance à ne pas négliger
Cependant, agir sur les coûts, bien que plus pertinent en temps de crise, ne suffit pas. C’est bien évidemment sur le couple coût/revenu qu’il s’agit de travailler. A ce titre, la bancassurance est le levier de croissance par excellence. Son développement a été un véritable catalyseur dans les pays européens. Aujourd’hui, les banques ayant le plus abouti en terme d’épargne sont celles qui ont proposé des produits périphériques ou para-bancaires, que ce soit dans l’assurance vie ou l’assurance dommage (habitation, auto, santé). Car comme les crédits, ce sont des produits très fidélisant. «Aujourd’hui, la bancassurance représente jusqu’à 25% de l’activité du Crédit Agricole en France. Au Maroc, il y a un vrai besoin et un réel déficit d’équipement des clients en matière d’assuranciarisation », déclare Thomas Rocafull. Selon plusieurs spécialistes, il s’agit aujourd’hui de faire des progrès en termes d’offres, notamment en assurance dommage, surtout que le taux de pénétration au Maroc est de 3% contre une moyenne mondiale de 7%. Aussi l’épargne long terme, à l’instar de l’épargne retraite, est aujourd’hui encore peu répandue. La plupart des offres sont très sophistiquées et restent donc réservées à une certaine élite. L’enjeu pour la bancassurance est de rendre ces produits plus standards, car la sécurité et la transmission vers les générations futures sont devenues de réelles préoccupations.
«In fine, l’agence bancaire doit se muer en un supermarché financier, en un one stop shop, en un tiers de confiance de tout ce qui est affaire financière.
D’autant plus que c’est une stratégie win-win. D’un côté, cela permet à la banque de faire du cross selling, et de l’autre côté, cela permet au client d’avoir un vrai pouvoir de négociation », conclut Thomas Rocafull.
A l’instar de l’activité bancassurance, désormais chacune des banques de la place cherche à activer des niches, qui jusque-là étaient délaissées, en développant des produits sur mesure: les jeunes, les seniors, le low income banking, les MRE, le private banking, le transfert d’argent…. A vrai dire, cette approche stratégique du marché a été enclenchée depuis quelques années déjà. Désormais, elle s’affine et se dessine plus clairement, chaque banque essayant de se forger une identité en se distinguant davantage sur un segment précis comme l’a fait le CIH avec sa campagne de communication autour de ses services gratuits pour les jeunes. Mais au-delà de cette course que toutes les banques de la place sont fermement décidées à livrer, ce qui va redessiner le marché c’est la conquête de l’Afrique. «Ne serait-ce que parce qu’elle va creuser l’écart entre les banques à capitaux marocains et celles à capitaux français car ces dernières n’ont pas la même motivation, et ne bénéficient pas des mêmes leviers pour se développer en Afrique », conclut Thomas Rocafull.
Une année 2015 marquée par la baisse de la demande d’investissement
Globalement, le marché bancaire a évolué du point de vue des dépôts en s’affichant à 751 milliards de dirhams (+5,4%). «Toutefois, il est à noter que la captation des dépôts ne constitue plus un véritable enjeu pour les banques. Ou plus exactement, l’enjeu n’est plus aussi crucial qu’auparavant. La conjoncture fait qu’il n’y a plus autant de pression sur les liquidités vue l’atonie de l’investissement et le manque de placement présentant un profil de rentabilité attrayant », relève un analyste financier.
Aujourd’hui, c’est donc du côté des crédits que tout se joue. Avec un total crédits octroyés qui se sont élevés à 755 milliards de dirhams (+2,8%), la performance 2015 est certes meilleure que les 2,2% de 2014, mais les banques sont loin de celles de 2007 (+30,4%), de 2011 (+10,6%) ou même encore de 2012 (+4,6%).«Les raisons de cette baisse sont à rechercher dans la baisse de la demande des entreprises qui ont de moins en moins de projets, mais aussi dans la baisse des subventions des matières premières, dans les difficultés du secteur immobilier sans oublier évidemment le désendettement des grands groupes», confirme Saâd Rguig. En réalité, beaucoup incrimine la frilosité des banques qui demandent des garanties disproportionnées, bien qu’il faille dire qu’elles ont été amenées à serrer les vis en vue de respecter les règles prudentielles. Quoiqu’il en soit, le résultat est là. Même l’ouverture d’agence a connu une décélération en 2015 avec 210 nouvelles implantations contre 300 en moyenne entre 2006 et 2013
Est-ce pour autant un tournant dans l’histoire du secteur bancaire au Maroc ? Même si les banques renouent avec un rythme de croissance plus élevé, ce ne seront plus les mêmes leviers, ou du moins pas dans les mêmes proportions qui génèreront ces revenus. Surtout avec un taux de bancarisation de 64% qui offre une marge de croissance certaine pour les banques de détail et un accès au financement qui relève souvent du parcours du combattant pour les chefs d’entreprises.
Soumayya Douieb