Lorsqu’on parle de cinémas du Maghreb ou d’Afrique Subsaharienne, on parle des réalisateurs et des films, de ce qu’ils nous disent de la culture, de la politique des différents pays ainsi que de l’esthétique. On ne nous parle pas de ce que regardent les gens au Maghreb et en Afrique. Nous avons voulu retourner le regard.
Que regardent les gens en Afrique? Quels films? Quels genres? Quelles nationalités? Comment? Avec qui? Sur quels écrans? Dans quels contextes? En effet, on tend à oublier que les films consommés sont en majorité des films étrangers. Quelle est la place du cinéma national et sa réception?
Ces questions sont d’autant plus importantes que les mutations technologique, culturelle et économique affectent la place des films dans l’éventail des productions audio-visuelles en concurrence pour attirer le regard de divers publics.
Cet accès démultiplié aux films reconfigure enfin les rapports de force puisque des espaces jusque-là caractérisés par la rareté jouissent maintenant d’une surabondance de films à moindre coût. La fascination pour Nollywood, son modèle économique inédit, a déjà engendré de nombreuses recherches passionnantes qui cachent un ensemble de contextes beaucoup plus divers et complexes dans leurs dimensions nationales et locales. De la même façon, la figure du jeune pirate qui pratique le téléchargement intensif de films masque des pratiques beaucoup plus contrastées.
Enfin, la mutation technologique en cours a aussi un autre impact. Elle contribue à l’invisibilité de ces pratiques puisque les individus ont accès à un éventail de plus en plus larges de films depuis leur ordinateur, depuis leur foyer à l’abri des regards, sans que cela induise nécessairement une opération commerciale et comptable… qui puisse être quantifiée. D’où un certain nombre d’inconnus, liés au manque de données.
Faire cette enquête est un premier pas, mais aussi un « tout petit » pas dans le sens où nous partons avec peu ou pas de données préexistantes et compilées sur le rapport entre l’offre et la demande en termes de films, sur les pratiques culturelles, sur les modalités d’appropriations des productions audiovisuelles ou sur leur réception. Il s’agit par le déchiffrage des informations collectées de défricher un terrain encore largement inexploré.
Patricia Caillé
(Universitaire – Strasbourg)
Marrakech 23/25 mai 2016