Meubles en kit : le marché s’enflamme…

Face à l’arrivée d’Ikea et la ténacité de Kitea, Mobilia tente une nouvelle percée, à travers une nouvelle stratégie, un nouveau management, un nouveau positionnement. Parviendra-t-elle pour autant à sortir son épingle du jeu dans un secteur où la concurrence a désormais le visage d’une redoutable «suédoise»?

Jamais l’ouverture d’une enseigne d’ameublement n’aura suscité autant de spéculations sur son devenir et surtout sur celui du marché de l’ameublement au Maroc. Depuis l’annonce de l’implantation d’Ikea au Maroc, nombreux sont ceux qui se demandent comment la concurrence va se comporter à terme face à l’arrivée de cette machine de guerre du meuble en kit. Beaucoup parient sur la disparition des acteurs locaux ou du moins, leur prédisent une lente descente aux enfers dont la sortie ne serait possible qu’à coup de modernisation, de rationalisation et de professionnalisation de leur business. «Je pense qu’aussi bien Kitea que Mobilia vont avoir de grandes difficultés face au rouleau compresseur qu’est Ikea. Leur process sont rodés et ils ont fait preuve d’une grande agilité dans tous les pays où ils se sont implantés », affirme presque sans l’ombre d’un doute un expert de la formation commerciale. Même si l’analyse paraît un peu trop simpliste, car comme tout le monde les principaux concernés sont au fait de l’arrivée du géant suédois et ont dû s’y préparer, il n’en reste pas moins que cela reste l’opinion dominante dans le microcosme des affaires.

Pourtant, Kitea a déjà émis quelques signaux d’adaptation à la probable déferlante Ikea, notamment avec l’implantation de l’enseigne d’accessoires Casa ainsi que le redéploiement de ses shop. Quant à Mobilia, c’est un changement de stratégie quasi-radical que s’apprête à mettre en place le management. Si le pari est plutôt osé, il a au moins le mérite d’exister.

Un développement rapide

Créé en 1998, aujourd’hui Mobilia c’est une vingtaine de magasins à travers tout le Maroc. «Cette année nous allons en avoir trois supplémentaires. Nous avons déjà inauguré celui de Marrakech en face de la gare, et nous allons ouvrir celui d’Agadir et un autre à Fès avant fin juin», annonce Si Mohamed Idrissi, fondateur et Président de Mobilia. Si l’on en croit le rythme d’ouverture annoncé, les affaires marchent plutôt bien pour la famille Idrissi, d’autant plus que l’enseigne envisage de s’implanter à Nouakchott via un développement en franchise, après une première tentative avortée en Algérie qui avait démarré en 2009.

«Via la Mauritanie, nous souhaitons développer l’Afrique. Là, nous allons ouvrir un premier point de vente à Nouakchott.

Dans un ou deux mois au plus tard, le magasin sera opérationnel. Nous sommes également en pourparlers avec des partenaires au Sénégal et en Côte d’Ivoire », poursuit le fondateur de cette enseigne maroco-marocaine. Mais au-delà de ces annonces, il y a en réalité une toute nouvelle stratégie qui sous-tend ce déploiement. Désormais, Mobilia se positionnera en tant que distributeur de  proximité. «D’abord, parce qu’il faut complètement changer de business model vis à vis de l’arrivée d’Ikea pour ne pas être dans une position frontale», rétorquera Si Mohamed Idrissi.

La surface des magasins sera réduite, pour se situer entre 700 et 800 m2. L’idée est de dupliquer un modèle de petits magasins de meubles, avec un concept clair et bien défini où l’on trouvera toute la collection mais sur des aménagements en hauteur pour gagner en surface. Objectif : se déployer dans les quartiers naissants et en cours de développement, en ayant trois ou 4 points de vente sur Rabat, Agadir, … Une stratégie qui relève du bon sens, diront certains.

Dans son concept, le top management intègre l’éventualité de quitter un quartier, un emplacement, dès que celui-ci arrive à maturité ou atteint son niveau de croissance maximale ! Une approche plutôt révolutionnaire sur le marché marocain. «C’est de l’ambulant adapté au secteur, pour être au plus proche du client au lieu de rester cantonner à un grand point de vente en centre ville », avance fièrement le chef d’orchestre de cette nouvelle vision.

C’est la raison pour laquelle Mobilia optera désormais pour du locatif avec un coût d’aménagement optimal et une collection adaptée en fonction des quartiers, à l’instar d’Errahma à Casablanca par exemple, qui est principalement composé de logements sociaux et qui bénéficiera d’une gamme en phase avec le pouvoir d’achat.

De même, sur Bouzkoura, ayant un positionnement ville verte et principalement constituée de villas, Mobilia dit réserver une offre étudiée pour satisfaire les besoins d’une telle clientèle. «Aujourd’hui, nous nous positionnons à la fois comme une enseigne low-cost et intermédiaire, car nous resterons proches de nos consommateurs et nous adapterons à chaque fois notre offre en conséquence», ajoute-t-il.

Mais ce n’est pas pour autant que Mobilia abandonnera ses Méga Store, comme celui du Déco Center à Casablanca qui s’étend sur une superficie de 6000 m2. D’ailleurs, le point de vente de Tanger, récemment ouvert, dispose d’une surface de 3000 m2. Celui d’Agadir qui sera lancé en juin prochain sera sur 2000 m2. Et l’enseigne a également des prévisions sur ce format à Rabat. «Cependant, nous n’irons pas au-delà de 3 ou 4 grands magasins. Notre but, c’est qu’on ait dans 4 ans plein de magasins d’une surface moyenne, un peu à la BIM », espère Si Mohamed Idrissi.

Car s’il y a bien un modèle de distribution qui cartonne aujourd’hui au Maroc, c’est celui de BIM.  Il donne réellement du fil à retordre aux mastodontes Label’Vie, Marjane & co et sa croissance ne semble avoir de limite que ses capacités financières. «Il a démocratisé et rendu accessible les délices de la consommation moderne au marocain lambda», dira un des grands fournisseurs de la place. C’est aujourd’hui le même schéma que souhaite adopter Mobilia.

D’ailleurs, plusieurs enseignes européennes qui ont essayé de s’implanter en optant pour le format «grands magasins» y ont laissé des plumes. Souvenez-vous de la marque Atlas dont la carte était détenue par Holmarcom ou encore de BUT. «En somme, toutes les grandes enseignes européennes sont reparties bredouilles bien qu’elles aient scellé des partenariats avec de grands groupes marocains», rappelle le consultant spécialisé dans la grande distribution.

Un concurrent pas si dangereux que ça !

Faut-il tout de même également rappeler que le marché du meuble est largement dominé par la distribution traditionnelle. Selon nombre d’opérateurs, la distribution moderne dans l’ameublement ne compterait que pour 30% à l’heure actuelle. «En tout et pour tout, il n’y a véritablement que deux grandes enseignes structurées, à savoir Kitea et Mobilia, en plus des Yadeco, Istikbal, … dont le développement est encore timide. Il n’y a donc pas beaucoup de concurrence dans le secteur du meuble, alors que dans la plupart des pays, le secteur dispose d’une vingtaine voire d’une trentaine d’opérateurs, si ce n’est pas une centaine comme dans le marché turc. Là-bas, chaque enseigne dispose au moins d’une centaine de magasins, à l’image d’Istikbal qui a près de 2000 magasins en Turquie », analyse le même consultant. C’est en réalité dans ce contexte qu’Ikea s’implante au Maroc : une concurrence faible dans le moderne et un circuit traditionnel dominant.

«Je connais bien Ikea pour y avoir travaillé lorsque j’étais étudiant en Belgique et à Londres. Il est vrai que c’est autre chose qu’Atlas ou BUT. C’est un géant, une énorme machine de guerre», admet Si Mohamed Idrissi.

Simplement pour le management de Mobilia, qui a dépêché une équipe dès l’ouverture du magasin de Zenata pour relever les prix et scruter l’offre de près, le spectre d’Ikea ne serait pas si «menaçant».

 D’abord, parce que leurs produits mobiliers seraient chers.  Il est vrai qu’au moment de l’ouverture ratée d’Ikea en septembre, toute une polémique avait pris d’assaut les réseaux sociaux et notamment facebook suite à la publication de leur catalogue de prix.  «Je peux vous dire que les prix sont deux fois plus élevés que nos prix ou ceux de Kitea, bien qu’il y ait entre nous et Kitea un différentiel de 5% voire 10% », affirme Si Mohamed Idrissi.

Ensuite, même l’adaptation de l’offre par rapport aux besoins des Marocains, en matière de salons marocains, de salons sur mesure, de salons en L, de choix de tissus, de produits en massifs, de produits néo-modernes,…. n’est pas au rendez-vous. «Ils ont plutôt des produits carrés, de style danois. Certes très tendances, mais je pense trop avant-gardiste pour l’essentiel des Marocains aujourd’hui, pour la masse», poursuit le consultant.

En somme, c’est la faiblesse de l’offre en matière de mobilier chez Ikea qui rendrait son implantation au Maroc moins «dangereuse» que prévu pour Mobilia. En effet, l’essentiel de l’offre Ikea repose sur de l’accessoire. «Je pense même à travers le monde, les accessoires représentent entre 50 % à 70% du chiffre d’affaires.

D’ailleurs à Zenata, Ikea a une gamme énorme d’accessoires qui occupe plus de la moitié du magasin », ajoute la même source. Or inversement, les produits d’ameublement chez Mobilia représentent 85% du chiffre d’affaires et l’accessoire que 15% à 20 %.

«Les produits déco, vase, tableaux, accessoires salle de bain, … sont pour des produits d’accompagnement des grands produits pour créer des ambiances», confirme le fondateur de Mobilia. A moins qu’Ikea s’adapte aux goûts des Marocains et qu’elle crée une gamme spécifique, ce qui est peu probable vu sa politique internationale, l’horizon semble donc dégager pour l’enseigne maroco-marocaine. Car même le nom des produits n’a pas été adapté.

En outre, le modèle Ikea sur 2 voire 3 hectares n’est pas facilement «duplicable» sur d’autres villes du pays. «Je pense qu’au delà de Casablanca, il pourrait y en avoir un à Rabat mais pas plus. S’il s’amuse à en faire à Tanger, Marrakech,… ce sera de la pure perte vu le pouvoir d’achat du pays. D’ailleurs, il n’y a qu’à voir les Kitea Géant à Fès, à Marrakech, à Oujda,… je ne pense  pas que ce soit les plus rentables.  Aujourd’hui, il est indispensable de mesurer le niveau d’investissement et le niveau de rentabilité. Le marché marocain ne s’inscrit pas dans des courses de grandeur de magasins», analyse un consultant spécialisé dans la grande distribution.

Néanmoins, il y aura sans doute un effet Ikea sur le marché, ne serait-ce que pendant les quelques mois qui suivront l’ouverture. Selon les professionnels du secteur, si on laisse de côté cet effet de mode/rush que connaîtra Ikea pendant un ou deux ans, ce qui importe au consommateur marocain c’est un produit qui réponde à ses besoins quelle que soit la marque.

«Si on élargit à l’horizontal notre réseau en adaptant notre offre à chaque type de clientèle, qu’on ne dépende pas à 100% de l’axe Casa/Rabat, et qu’on reste focalisé sur l’ameublement, je pense qu’on n’aura pas de soucis à se faire. Bien entendu, il faut être en permanence en veille par rapport à ce que fait la concurrence, mais le produit plus que tout autre chose reste à mon sens la pièce maîtresse», conclut Si Mohamed Idrissi.

Soumayya Douieb

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