Le ministre polonais de la Défense veut emprisonner un journaliste…

La loi qui avait été adoptée par la Pologne en Décembre 2015 soit deux mois après l’arrivée des conservateurs au pouvoir, assure au gouvernement le contrôle réel des médias publics en conférant au ministre du Trésor le pouvoir de nommer et de révoquer leurs patrons; ce qui, à l’époque, avait suscité l’inquiétude de Bruxelles et provoqué un tollé international si bien que quatre associations de défense de la liberté de la presse avaient déposé une plainte auprès du Conseil de l’Europe.

Craignant, par ailleurs, un contrôle des médias polonais par leur gouvernement, le Président du Conseil Supérieur Européen de l’Audio-visuel, Olivier Schrameck avait même invité l’ERGA – le Groupe Européen des Régulateurs de l’Audio-visuel – à «exprimer les inquiétudes des autorités des Etats membres à propos de la réforme du service public audio-visuel engagée par le gouvernement polonais».

Ainsi, en application desdites dispositions, le journaliste Tomasz Piatek du  quotidien de centre-gauche «Gazeta Wyborcza» est actuellement poursuivi devant un tribunal militaire en vertu d’une plainte déposée à son encontre par le ministre polonais de la défense auprès du bureau militaire du parquet général de Varsovie à la suite de la publication par ce dernier du livre «Macierewicz et ses secrets» mettant en lumière les liens entre le ministre de la défense polonais Antoni Macierewicz et certains individus ayant d’étroites relations avec les services de renseignements moscovites.

Il convient de préciser, par ailleurs, qu’étant donné que le plaignant ne poursuit pas le journaliste pour «diffamation» mais plutôt pour «recours à la force ou à la menace contre un fonctionnaire», pour «insulte ou humiliation d’un organe constitutionnel» et pour «attaque à l’encontre d’un représentant public», Tomasz Piatek encourt jusqu’à trois années d’emprisonnement.

Rappelant qu’il «y a deux ans encore, il aurait été inimaginable qu’un journaliste puisse être traduit devant un tribunal militaire», le journaliste mis en cause déclare : «Je me sens menacé, mais, au-delà de ma personne, il s’agit de faire peur à toute la profession». Et celui-ci de poursuivre en affirmant : «En présentant ce genre d’accusations absurdes, le ministre de la défense me donne raison car, à aucun moment, il n’est question de plainte pour diffamation ou pour des mensonges supposés».

Même la télévision publique n’y est pas allé de main morte lorsqu’elle a traité le journaliste de «dénonciateur bolchévique» et qu’elle l’aurait même attaqué pour ses positions en faveur des minorités sexuelles et pour son passé d’alcoolique et d’accroc à la drogue.

Aussi, venant à la rescousse du journaliste mis en cause par le pouvoir polonais « Reporters sans Frontières » et d’autres ONG de défense des droits humains ont appelé, dans une lettre ouverte, le ministre polonais de la défense à retirer sa plainte car «le fait de traduire un journaliste devant une juridiction militaire et de le menacer d’une peine de prison constitue une forme d’intimidation et porte gravement atteinte à la liberté de la presse et de tous ceux qui émettent des critiques à l’égard des autorités».

Puisse cette lettre être suivie d’effet afin que le journalisme puisse retrouver ses lettres de noblesse car ce qui fait le journaliste n’est pas sa carte de presse mais sa curiosité et que, comme l’a dit, par ailleurs, un certain Patrick Poivre d’Arvor, «le but du journalisme n’est ni de déplaire ni de complaire mais de remuer la plume dans la plaie».

Nabil El Bousdaadi

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