Entretien avec le réalisateur et animateur français, Sébastien Laudenbach
Propos recueillis par Mohamed Nait Youssef
«Linda veut du poulet» (César 2024 pour le meilleur film d’animation), un film réalisé par Chiara Malta et Sébastien Laudenbach, a été projeté, au cinéma Camera, en avant première nationale, lors de l’ouverture du FICAM 2024. Ce long métrage en compétition relate l’histoire de Paulette, une mère coupable, à la quête d’un poulet à cuisiner à sa fille Linda, un jour de grève générale. Un film drôle, rythmé, coloré et même cocasse. En effet, par le biais du cinéma, le film traite de la question du deuil, de la relation entre mère et fille, mais aussi de la vie dans les banlieues. Rencontre.
Al Bayane : les cinéphiles ont eu droit à une projection de votre film lors de l’ouverture du FICAM au cinéma Camera. Parlez-nous un peu de ce moment chargé surtout d’émotions dans un lieu cinématographique emblématique de la ville ?
Sébastien Laudenbach : C’était très émouvant. C’est un très bel écrin pour cette projection. Le fait que le film soit une coproduction France Italie, ce que j’ai dit lors de la projection ça rendait sa présence assez justifiée comme film d’ouverture. Malheureusement, comme je disais, la coréalisatrice du film qui est italienne n’a pas pu être là. Moi ça faisait longtemps que je voulais venir au festival, et j’étais assez touché par les discours, en particulier celui du ministre parce qu’on voit bien que le festival avait un rôle important de pivot par rapport à toute l’industrie peut être audiovisuelle, mais en particulier de l’animation. Et j’ai bien senti que ça rayonnait sur tout le continent parce que c’est le festival le plus important du continent africain.
Effectivement, notamment avec autant de studios qui sont venus partager leurs expériences et expertises au forum du FICAM donnera peut être un nouvel élan à l’industrie du film d’animation en Afrique.
Justement on voit qu’il y a beaucoup de choses à faire, il y a beaucoup de gens qui ont envie de faire beaucoup de choses. Donc, j’ai trouvé qu’il y avait beaucoup d’énergie. C’était juste magnifique !
«Linda veut du poulet» traite de la question du deuil, des grèves en France, de la vie de la banlieue, de la relation entre fille et mère, mais dans un ton cocasse. Quel en était le point de départ du film ?
On voulait faire une comédie. On a fait le point de départ du film, et c’est Chiara Malta qui a voulu faire un film pour les enfants. Elle m’a dit : «pour moi l’enfant, c’est plein d’injustice, on vit pleines d’injustices quand on est un enfant.»
Alors, on a commencé là-dessus. On s’est dit : «on va faire un film sur une petite fille qui se fait punir d’une manière injuste par sa mère.» Donc, elle m’a proposé d’écrire avec elle. Après, elle m’a proposé de réaliser avec elle. Les choses se sont faites ainsi. Après, les films nous emmènent sur des territoires qu’on n’a pas forcément envisagé au départ.
Pouvez-vous revenir un peu sur le processus de l’écriture du film ?
On a écrit le film il y a très longtemps. Puis, on l’avait laissé dans un tiroir, et, c’est vrai, quand il est sorti beaucoup de gens nous parlaient des émeutes en France, mais on l’avait écrit bien avant le film. Après, la France c’est un pays où on fait souvent la grève. Il y a souvent des problèmes : le rapport entre le centre ville et les banlieues qui est toujours compliqué depuis longtemps. Donc, nous on voulait travailler cette banlieue comme une banlieue paisible, une banlieue d’une petite ville qui est entre la compagne et la grande ville. On n’est pas à Paris, on est en province quelque part.
Peut-on dire que le film est une dénonciation de l’injustice ?
L’injustice elle est aussi dans la manifestation, dans la grève… C’est aussi la manifestation de l’injustice vue du point de vue des adultes.
Le film est très rythmé, en mouvement. Il y a aussi une énergie, électrique, débordante qui domine cet univers coloré et pictural du film. Parlez-nous de cette esthétique visuelle ?
Il y a quelque chose qui est important ; à savoir le fait de commencer par l’enregistrement des voix avant de faire les dessins. Les voix ont été enregistrées dans des conditions réelles de tournage, dans des lieux réels parce qu’on voulait qu’il y ait une énergie dans le jeu. Ce qui nous intéressait, ce n’est pas d’avoir des voix, mais c’était d’avoir le jeu des comédiens qui ont été mis tous ensemble. Je pense par exemple à la scène de l’ascenseur quand les enfants jouent au foot. Il faut dire qu’ils ont vraiment joué au foot dans l’ascenseur. Donc, il y a une part d’improvisation aussi. On voulait que ça soit vivant parce qu’on trouve souvent que les films d’animation sont des films un peu morts parce que tout est verrouillé, tout le temps. Chaque étape du film est verrouillée. Et puis, une fois que l’étape est verrouillée, on peut passer à l’étape d’après, et nous on ne voulait pas ça, on voulait que tout soit mélangé tout le temps, et que tout soit vivant. Donc, on a commencé par les voix et par la suite on voulait que le film soit libre visuellement, on voulait aussi qu’il ne soit pas cher. Donc, pour que le film ne soit pas cher, on a fait une seule couleur par personnage. Par ailleurs, on voulait faire une couleur débordée parce que c’est plus rapide de faire ça que d’être très attentif à ne pas déborder. L’esthétique du film vient de là : une volonté de faire un film assez libre, assez proche de l’enfance parce que toutes ces couleurs très simples, c’est presque un enfant pourrait faire.
Et les décors dans tout cela ? Qu’en était votre recette pour réussir ce pari ?
Pour les décors, on allait chercher une peintre qui a un rapport pictural à la couleur qui est déjà présente dans son travail à savoir Margaux Duseigneur qui a travaillé sur l’animation dans un autre film qui s’appelle «la Traversée». On connaissait déjà son travail. C’est toujours un miracle d’y arriver. Il faut dire qu’il n’y a pas de recette.
Comment avez-vous choisi vos personnages atypiques, assez drôles parfois dans le jeu?
On voulait que les personnages soient justes et vrais. On voulait aussi faire un film drôle. C’est une espèce d’équilibre entre la justesse des relations, entre la mère et la fille, entre la mère et sa sœur, avec des choses plus grotesques comme le policier, le camionneur, la grand-mère, car même la relation entre le camionneur et la grand-mère était une relation assez juste.
Vous évoquez l’attachement et le retour à l’enfance dans le film. Que voulez-vous transmettre au juste par-là ?
On voulait aussi que ça soit un film dans lesquels les adultes ne soient pas performants, que la mère ne soit pas une ‘’super maman’’, que la mère soit une femme normale avec ses frustrations parce qu’elle voudrait fuir sa solitude et être avec quelqu’un, mais aussi avec ses erreurs quand elle punit sa fille à tort et avec son incapacité à faire les choses. Tous les adultes retombent un peu en enfance, il y a un rapport à l’enfance qui est fort dans tout le film.
« Linda veut du poulet » est un film qui a été fait pour les enfants et les adultes. Pouvez-vous en dire plus sur ce choix ?
C’est un film qui parle à tout le monde parce qu’il y a beaucoup de personnages adultes. Je pense qu’on est nombreux à se reconnaître dans ces personnages adultes et à se reconnaître aussi dans les personnages enfants dans leur côté un peu affranchi, un peu désordonné. On voulait aussi un film qui démarre avec deux personnes, et on parlait souvent d’une tache d’huile où les choses deviennent de plus en plus larges et de plus en plus de monde qui arrive.