Une approche résiliente mais de nombreux facteurs de risque

Rapport de la Banque Mondiale sur le Maroc

Par Fairouz El Mouden

L’évaluation de l’évolution des indicateurs économiques et sociaux au Maroc par les experts de la Banque Mondiale fait ressortir des avancées remarquables au niveau des engagements des grandes réformes structurantes qui ont permis d’atténuer les contrecoups de la pandémie de la Covid-19 sur l’entreprise, le secteur industriel, et sur l’investissement. Le Maroc reste ainsi mieux classé par rapport aux autres pays de l’Afrique du Nord et des pays émergents.

En effet, malgré une reprise économique inégale, l’activité économique a retrouvé un certain dynamisme au 2éme semestre, portée principalement par la demande extérieure. Aussi, la réponse du gouvernement à la crise a permis d’éviter la vague de faillites d’entreprises qui aurait pu être plus importante. La position extérieure du Maroc reste résiliente. La hausse du déficit global de 7,7% reste favorablement comparable aux autres économies d’Afrique du Nord. L’approche budgétaire est qualifiée de prudente au même titre que la mobilisation des contributions des banques. Parallèlement, le risque souverain du Maroc reste contenu malgré l’augmentation de la dette publique. Le secteur bancaire affiche lui aussi une bonne résistance face aux effets de la crise sanitaire.

Néanmoins, dans ce contexte très incertain et risqué, la reprise économique risque d’être disparate, estiment les experts de la Banque mondiale. L’activité économique ne devrait pas retrouver son niveau d’avant la pandémie avant 2022 et ce n’est qu’en 2022 que le PIB réel devrait retrouver son niveau de 2019. Le déficit du compte courant devrait augmenter, mais se stabiliser en dessous de 4 % du PIB. En conséquence, le déficit de la balance courante devrait passer de 1,5 % du PIB en 2020 à 3,5 % du PIB en 2021 et 3,9 % du PIB en 2022. Par ailleurs, l’on rappelle que le taux de pauvreté est passé de 5,8 % à 7,1 % et le taux de vulnérabilité de 26,1 % à 29,6. Aussi, la dette du Trésor est passée de 65,4 % en 2019 à 77,7 % du PIB en 2020. Le ratio de la dette intérieure a augmenté de 7,9 points de pourcentage du PIB.

Une position extérieure résiliente

Face à l’impact sanitaire, social et économique de la pandémie, le gouvernement a lancé une politique anticyclique ciblée, indique le rapport de BM. En 2020, le déficit global a augmenté pour atteindre 7,7 % du PIB, contre 3,6 % du PIB en 2019. Globalement, les petites et moyennes entreprises font état d’indicateurs plus négatifs que les grandes entreprises, ce qui suggère que l’impact de la crise continue d’être inégalement réparti dans le secteur des entreprises.

Ce qui témoigne de l’approche budgétaire prudente qui a été privilégiée par les autorités, et la mobilisation des contributions des banques, des particuliers fortunés, des entreprises privées et des entreprises d’État au fonds spécial extrabudgétaire Covid-19 qui a couvert le coût de la mise à niveau du système de santé et du soutien aux ménages.

En fait, la forme la plus courante de soutien gouvernemental a été les subventions salariales, suivies des allégements fiscaux et des transferts directs. Il est faut de noter que, malgré la détérioration de leur situation de liquidité, peu d’entrepreneurs considèrent qu’un accès facilité à de nouveaux crédits fait partie des formes de soutien public dont leur entreprise a le plus besoin à ce stade de la crise.

Nette augmentation du ratio dette/PIB

La dette du Trésor est passée de 65,4 % en 2019 à 77,7 % du PIB en 2020. Le ratio de la dette intérieure a augmenté de 7,9 points de pourcentage du PIB. Le Trésor a pu également mobiliser des crédits auprès des institutions multilatérales et des marchés financiers internationaux, ce qui a entraîné une augmentation nette de la dette extérieure pour un montant de 5 % du PIB. Les entreprises publiques ajoutent 16 % du PIB à la dette extérieure publique du Maroc

Une bonne performance du compte courant

«Les transferts de fonds des travailleurs marocains résidant à l´extérieur ont augmenté de 5 % en 2020, atteignant un niveau sans précédent de 6,4 % du PIB. Ce qui a contribué à atténuer l’impact de la crise non seulement sur les ménages, mais aussi sur la balance des paiements, annonce la Banque mondiale. Le stock de réserves de change s’est redressé. «Au cours des premières semaines de la pandémie, les réserves internationales ont diminué de 4 % (de 26,4 milliards de dollars US le 6 mars 2020 à 25,3 milliards de dollars US le 20 mars 2020). Cette tendance a été inversée lorsque le Maroc a acheté toutes les ressources disponibles dans le cadre de son accord de ligne de précaution et de liquidité (LPL) avec le FMI (environ 3 milliards de dollars US). À la suite de ce décaissement, les réserves ont continué à augmenter, atteignant près de 30 % du PIB à la fin de l’année (plus de 7,5 mois d’importations, contre 5,4 mois d’importations au début de 2020) et 35 milliards de dollars américains à la fin de janvier 2021».

De l’avis de la Banque mondiale, «l’augmentation des réserves a été rendue possible par la performance meilleure que prévue du compte courant, d’importants décaissements multilatéraux, deux émissions réussies d’obligations souveraines sur les marchés financiers internationaux et des flux nets d’investissements directs étrangers (IDE) relativement résilients. En conséquence, le gouvernement a décidé d’avancer le remboursement partiel de la LPL du FMI pour un montant de près de 936 millions de dollars US, un rachat qui est devenu effectif le 8 janvier 2021 ». Malgré l’augmentation de la dette publique, les marchés perçoivent que le risque souverain du Maroc reste contenu.

Secteur monétaire et financier: absence de pression sur le taux de change

La position extérieure résiliente du Maroc s’est traduite par l’absence de pressions sur le taux de change. « À l’instar d´autres devises des marchés émergents, le dirham s’est déprécié par rapport à l’euro et au dollar américain dans les semaines qui ont suivi le début de la pandémie, contribuant ainsi à absorber le choc externe. Toutefois, cette tendance s’est ensuite inversée, les marchés ayant commencé à mieux différencier entre le niveau de risque des pays, le dirham s’appréciant par rapport au dollar et restant relativement stable par rapport à l’euro ». L’absence de pressions sur le taux de change, ainsi que l’accès favorable aux marchés de capitaux internationaux sont des signes de la confiance des marchés dans la résilience et les perspectives de l’économie marocaine.

La politique monétaire reste accommodante et la banque centrale a augmenté sa capacité à injecter des liquidités dans le système financier.

Jusqu’à présent, le système bancaire a relativement bien résisté à la crise. Avec les diverses garanties en place, la réduction des taux d’intérêt débiteurs a contribué à soutenir le crédit bancaire, qui a continué à se développer en 2020, principalement sous la forme de prêts de liquidité. Les dépôts bancaires ont également augmenté depuis le début de la crise, avec une évolution des dépôts à terme vers les dépôts à vue, reflétant une préférence accrue pour la liquidité.

Cependant, la pandémie de Covid-19 entraîne une détérioration de la qualité du portefeuille de crédit des banques. Le ratio des créances en souffrance est passé de 7,6 % en décembre 2019 à 8,4 % fin 2020. Selon les tests effectués par la Banque centrale, les créances en souffrance pourraient dépasser 10 % du portefeuille des banques en 2021.

Perspectives

L’activité économique ne devrait pas retrouver son niveau d’avant la pandémie avant 2022, et la perte de production cumulée finale associée à la crise de la Covid-19 sera importante, estime la BM. Ce n’est qu’en 2022 que le PIB réel devrait retrouver son niveau de 2019. Cependant, les estimations de la BM tablent sur un écart avec le PIB potentiel de plus de 7 % du PIB.

La projection centrale reste cependant soumise à une forte incertitude et la balance des risques reste orientée à la baisse. Les tendances épidémiologiques favorables observées au Maroc au cours des derniers mois restent menacées, étant donné que certains des nouveaux variants de coronavirus qui ont émergé au niveau mondial sont plus contagieux et plus mortels.

Dans ce contexte très incertain et risqué, la reprise économique risque d’être disparate. Le déficit budgétaire devrait diminuer progressivement, ce qui contribuera à stabiliser le ratio dette/PIB et à le placer sur une trajectoire descendante à moyen terme. La loi budgétaire de 2021 prévoit déjà une réduction modérée du déficit, qui devrait atteindre 6,7 % du PIB cette année. À moyen terme, le déficit budgétaire devrait continuer à diminuer progressivement à mesure que les recettes fiscales se redressent et que les dépenses publiques se stabilisent. Ces changements permettraient au ratio dette/PIB de se stabiliser en dessous de 79 % du PIB et de commencer à diminuer d’ici 2024. Le déficit du compte courant devrait augmenter, mais se stabiliser en dessous de 4 % du PIB. En conséquence, le déficit de la balance courante devrait passer de 1,5 % du PIB en 2020 à 3,5 % du PIB en 2021 et 3,9 % du PIB en 2022.

Autres points forts, le Maroc devrait conserver des tampons extérieurs confortables. Les réserves de change ont nettement augmenté depuis le début de la pandémie et devraient rester supérieures à 30 % du PIB en 2021 et au-delà. Le pays a un niveau d’endettement comparativement élevé mais un portefeuille bien équilibré. À 77,7 %, le ratio dette/PIB du Maroc est nettement supérieur à la médiane de l’économie mondiale (61,7 % du PIB), des économies à faible revenu (63,8 % du PIB) et des économies à revenu élevé (63,8 % du PIB).

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Le secteur privé encore sous le choc

La réponse du gouvernement à la crise a jusqu’à présent permis d’éviter la vague de faillites d’entreprises qui aurait pu se produire autrement, indique le rapport de la Banque mondiale.

Selon la dernière enquête du HCP, près de 50 % des entreprises marocaines sont préoccupées par leur solvabilité future, plus de 16 % des entreprises étaient en arrêt permanent ou temporaire à la fin de 2020, 40 % des entreprises manquent totalement de tampons de trésorerie, et 8 % ont des réserves leur permettant de tenir moins d’un mois. Ce scénario complexe a entravé la reprise de l’investissement privé, ce qui pourrait limiter la croissance économique future.

Le taux de pauvreté et de la vulnérabilité en hausse 

L’impact socio-économique de la pandémie est important, persistant et inégalement réparti. Selon les dernières estimations de la Banque mondiale (Macro Poverty Outlook, avril 2021), la crise pourrait avoir poussé plus d’un demi-million de citoyens marocains supplémentaires sous le seuil de pauvreté de 3,2 USD PPA en 2020, faisant passer le taux de pauvreté de 5,8 % à 7,1 % et le taux de vulnérabilité de 26,1 % à 29,6 %.

Cette augmentation de la pauvreté aurait été plus importante sans les programmes de transferts monétaires aux travailleurs formels et informels mis en place par les autorités pendant la période de fermeture.

Plusieurs facteurs contribuent à expliquer l’ampleur relativement importante de la récession marocaine.

Il s’agit de la sous-performance susmentionnée du secteur agricole au cours d’une année de sécheresse (la production de céréales a chuté de 39 %) ; un confinement rigoureux qui a réussi à contrôler la pandémie, mais qui a impliqué un arrêt brutal de plusieurs activités économiques ; l’impact que la perturbation des chaînes de valeur mondiales a eu pour les secteurs manufacturiers émergents du Maroc au début de la pandémie, et les profondes récessions subies par les pays d’Europe du Sud, les marchés les plus pertinents pour les exportations du Royaume et le poids relativement important du secteur touristique marocain, dont les revenus ont été particulièrement affectés par la crise.

Rapport de la Banque Mondiale sur le Maroc

L’élan des réformes au Maroc

Le gouvernement marocain a préparé un programme ambitieux de réformes transformatrices dont les principaux piliers sont les suivants: la création d’un Fonds d’investissement stratégique (le Fonds Mohammed VI) pour soutenir la capitalisation du secteur privé et l’accélération du programme de PPP ; la refonte du cadre de protection sociale  pour stimuler le capital humain ; la restructuration du vaste réseau d’entreprises publiques du Maroc.

En somme, les réformes engagées pourraient « placer le Maroc sur une trajectoire de croissance plus forte et plus équitable. « Le Royaume se distingue comme l’un des pays du monde qui saisit cette crise comme une opportunité pour éliminer certaines des contraintes structurelles qui avaient affecté négativement ses performances socio-économiques ces dernières années ». « Cependant, le fait que ce paquet de réformes ait les résultats escomptés dépendra de la réussite de sa mise en œuvre et des opportunités que le paysage économique international post-pandémique créera pour un pays ayant les caractéristiques du Maroc ».

Fonds d’investissement stratégique

Le Fonds devrait recevoir un capital d’amorçage du gouvernement de 15 milliards de MAD, soit près de 1,66 milliard de  dollars US, déjà budgétisés) et vise à lever jusqu’à 3,3 milliards de dollars US auprès d’investisseurs institutionnels publics et privés, ainsi que d’institutions financières de développement (IFD). Il fonctionnera comme un fonds-des-fonds structuré pour poursuivre divers objectifs. À plus court terme, et en collaboration avec la SNGFE (anciennement CCG) et le système bancaire, il fournira des quasi-fonds propres aux PME en difficulté qui ont besoin d’une restructuration financière, fonctionnant ainsi comme un autre filet de sécurité contre la vague d’insolvabilités d’entreprises que le choc COVID-19 pourrait encore déclencher.

Une ambitieuse réforme de la protection sociale

 Cette réforme s’articulera en deux phases. Au cours de la première (2021–2022), elle se concentrera sur l’universalisation du système d’assurance maladie (AMO) et sur l’élargissement de l’accès aux programmes de transferts monétaires existants (allocations familiales).

Au cours de la deuxième étape (2023–2024), la réforme se concentrera sur le régime de pension de vieillesse et sur l’extension des allocations de chômage à une plus grande partie de la main-d’œuvre formelle.

La loi-cadre qui met en branle la réforme a déjà été approuvée, dont l’objectif initial sera d’étendre la couverture de l’AMO à environ 11 millions de commerçants, artisans, agriculteurs, professions libérales et leurs familles d’ici 2021, et d’intégrer 11 autres millions de citoyens pauvres et vulnérables actuellement couverts par le régime non contributif d’assistance médicale (RAMED) d’ici 2022.

Vers la création d’un holding d’Etat 

Pour réorganiser le réseau des entreprises publiques du Maroc. L’un des éléments centraux de cette réforme sera la création d’un nouveau holding d’État qui mettra en œuvre la politique du gouvernement pour le secteur des entreprises publiques et supervisera les entités qui fonctionnent selon une logique commerciale. En outre, les actifs des entreprises publiques seront regroupés par secteur afin de tirer parti des synergies, et les établissements publics jugés inutiles seront éliminés pour créer un espace budgétaire. Le Maroc fait partie des pays qui pourraient bénéficier le plus de la ratification de la zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAF).

Nouveau modèle de développement

En plus des réformes déjà engagées, le gouvernement vient de dévoiler les termes d’un nouveau modèle de développement qui guidera les politiques publiques dans les années à venir. Le rapport très attendu fournit une feuille de route politique qui pourrait façonner l’avenir du Maroc. Il propose quatre axes de transformation pour doubler le PIB par habitant d´ici 2035 : sécuriser l´initiative entrepreneuriale et réaliser un choc de compétitivité pour mener à une économie productive, diversifiée, créatrice de valeur ajoutée et d´emplois de qualité ; améliorer la qualité des services d´éducation et de santé pour renforcer le capital humain et mieux le préparer pour l´avenir ; assurer l´égalité de genre, favoriser l´inclusion des jeunes et assurer un socle de protection sociale ; accélérer le processus de régionalisation avancée pour aboutir à des territoires résilients, lieux d´ancrage du développement.

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