XXX et fin – Une stratégie pour la paix et la justice

Sionisme, antisionisme et antisémitisme

Mokhtar Homman

L’aspiration commune à l’Humanité est la paix. Nous avons montré que le sionisme est par essence expansionniste donc belliciste. Il a besoin de conflits pour justifier sa politique et forcer le soutien des Occidentaux. C’est sa stratégie. La paix est son ennemi.

La stratégie radicalement opposée est donc celle de la paix. La paix juste, celle qui élimine les tensions et le recours à la violence. N’était-t-elle pas, dans le fond, la stratégie du Maroc au cours du XXe siècle dans sa recherche constante de dialogue et dans l’Initiative arabe de paix de Fès en 1982 ?

C’est la voie pacifique. La voie de la guerre, sauf en cas d’attaque sioniste, comme le montre l’expérience historique de 1948, 1967 et 1973 (1956 est un cas à part), ne peut être que destructrice et très probablement favorable au sionisme, dont nous avons vu qu’il est par nature belliciste et se nourrit de la guerre pour accroître son oppression sur les Palestiniens.

Voyons comment décliner cette stratégie de paix en force insurmontable pour le sionisme. Deux dimensions surgissent : la pression politique et économique, la pression des opinions publiques.

La pression politique, diplomatique et économique pacifique

La stratégie de paix ne signifie pas absence de lutte ferme. L’exemple historique de la chute de l’apartheid en Afrique du Sud, sans passer par une guerre militaire, nous instruit sur les moyens pacifiques et puissants. Le mouvement BDS est un type d’actions à développer.

Mais il faut plus. De côté arabe l’action sur la production de pétrole en 1973 et la force du Sommet Arabe de Fès en 1982 sont deux exemples forts de « guerre économique » et d’offre de paix pouvant produire un rapport de forces favorable au peuple palestinien.

Faut-il abandonner toute forme de lutte armée ? Les opérations militaires de la résistance palestinienne se produisent toujours en représailles d’actions des forces d’occupation. Les médias occidentaux suivent toujours le narratif sioniste présentant les tirs de roquettes palestiniens comme une provocation et une agression « terroriste » mais étouffent la cause de ces tirs. Ce narratif a aussi fonctionné pour le 7 octobre et la suite. C’est à la résistance palestinienne de décider les formes de réponse, y compris militaires, contre des objectifs militaires aux agressions sionistes. Mais cela n’est pas incompatible avec une stratégie globale de paix.

À court terme c’est lutter pour imposer un cessez-le-feu durable et un embargo sur les armes, capitaliser sur les succès diplomatiques et d’opinion publique, forcer les négociations pour la solution à deux États. Cela est possible si l’unité palestinienne se concrétise sur la base de la Déclaration de Beijing, avec l’appui unanime et ferme des pays arabes.

Renforcer l’opinion publique mondiale pour la paix

Une des victoires majeures de la cause palestinienne a été la généralisation du soutien de l’opinion publique mondiale en sa faveur. Les manifestations dans de très grandes villes européennes, même en France malgré les interdictions, ont été nombreuses, réunissant parfois des centaines de milliers de personnes (Londres, Espagne).

Aux États-Unis aussi la jeunesse s’est mobilisée à grande échelle, entraînant d’ailleurs des répressions massives dans les Universités. Une bonne partie de la communauté juive, notamment la jeunesse, aux États-Unis a manifesté sous le mot d’ordre “Not in our names” (pas en notre nom), rejetant l’assimilation du Judaïsme au sionisme. Réduire le soutien de la communauté juive américaine à Israël est un important moyen pacifique de faire pencher la balance en faveur de la justice en Palestine. La communauté musulmane aux États-Unis a là un grand rôle à jouer en témoignant à la communauté juive le véritable rapport entre Musulmans et Juifs au cours de l’histoire. Cette action est extensible à d’autres pays européens, notamment en Grande-Bretagne, en France et en Allemagne.

La paix est une aspiration commune à l’Humanité. La stratégie de paix est celle qui aura l’adhésion la plus large au monde. L’opinion publique mondiale a combattu la guerre du Vietnam, a fait chuter le régime de l’apartheid. Elle peut peser fortement dans l’issue de la guerre en Palestine et dans l’effondrement du régime raciste sioniste.

Gagner l’opinion publique israélienne à la paix

Malgré le recul important des forces de paix et de justice pour les Palestiniens en Israël, il faut souligner la résistance d’intellectuels et de l’ensemble des historiens et universitaires post-sionistes (comme l’illustre la bibliographie de cette étude), dont certains ont dû s’exiler, ainsi que des représentants du monde de la culture, des arts, etc…

Il existe un certain souci de transparence dans certains médias israéliens. Un journal sioniste comme Ha’aretz, tout en adoptant la vision générale sioniste, a le mérite de mener des enquêtes sérieuses sur les évènements du 7 Octobre, de dénoncer les fake news et établir la réalité des évènements, ainsi que rapporter les exactions de l’armée israélienne à Gaza avec une liberté qui n’existe pas dans les grands médias occidentaux. Ha’aretz est en ce moment l’objet de pressions par le gouvernement israélien pour faire taire sa voix.

Plusieurs ONG israéliennes militent pour la paix et l’égalité avec des formes et des idéologies variables. Certaines gardent le cap d’un Israël « occidental », soit la vision ashkénaze, qui rejette donc une intégration à terme d’Israël dans son environnement réel. Mais cela est une question à résoudre dans son temps. L’important est que leurs actions s’opposent à la politique sioniste. Citons les plus importantes.

Shalom Archav (la Paix Maintenant) est un mouvement extra-parlementaire israélien créé en 1978 par trois cents officiers de réserve de l’armée israélienne, son objectif est « de convaincre l’opinion publique et le gouvernement israélien qu’il est possible et nécessaire d’aboutir par la négociation, d’abord, à une paix juste et durable fondée sur le principe « Deux peuples, deux États » ». Il organisa une immense manifestation réunissant 400 000 Israéliens pour dénoncer les massacres de Sabra et Chatila (1).

Breaking The Silence, établie en 2004 à Jérusalem Ouest par des soldats et vétérans des forces de défense israéliennes. La mission déclarée de l’organisation est de « briser le silence » des soldats qui retournent à la vie civile et qui « découvrent le gouffre entre la réalité qu’ils ont vécue dans les territoires occupés et le silence qu’ils rencontrent à la maison » (2).

B’Tselem, dont la profession de foi dit : « Le régime d’apartheid et d’occupation israélien est inextricablement lié aux violations des droits de l’homme. B’Tselem s’efforce de mettre fin à ce régime, car c’est la seule voie vers un avenir dans lequel les droits de l’homme, la démocratie, la liberté et l’égalité seront garantis à tous les peuples, tant palestinien qu’israélien, vivant entre le Jourdain et la mer Méditerranée ».

Il faut encourager ces personnalités et organisations pour la paix, en espérant qu’ils regagneront l’influence qu’ils avaient il y a quarante ans. Les mouvements progressistes, en particulier le palestinien et l’arabe, doivent construire avec ces forces israéliennes des dialogues, des ponts, une perspective de paix et de justice pour tous. C’est déjà le cas mais c’est peut-être insuffisant.

Signalons d’importants moyens de communication antisionistes dont les contenus sont rédigés par des militants de toutes croyances (Orient XXI, The Electronic Intifada) ou par des Israéliens et des Palestiniens (+972 Magazine).

Par ces temps difficiles où l’opinion publique israélienne est sous le poids légitime des souffrances du 7 octobre, mais surtout sous le poids de la propagande sioniste, il ne faut pas perdre espoir d’un réveil, d’une prise de conscience. Car, contrairement aux sionistes vis-à-vis des Palestiniens, nous ne considérons pas les Israéliens comme des animaux, comme des êtres inférieurs, mais comme des égaux capables de réfléchir et de vouloir vivre en paix. Les mouvements de la société israélienne du type ceux au moment de Sabra et Chatila peuvent renaître, bien que le présent ne pousse pas à l’optimisme.

Manifestation de la gauche israélienne à Tel Aviv, le 24 octobre 2015 pour réclamer un nouveau cycle de négociation pour le processus de paix (source : afp.com/Jack Guez).

Aurons-nous un mouvement aussi influent que celui aux États-Unis contre la guerre du Vietnam ? Des manifestations israéliennes massives chantant Give Peace a Chance (3) ? Probablement pas dans un futur immédiat, mais pourquoi pas à moyen terme, à la faveur par exemple de la chute inéluctable de Netanyahou et la révélation de ses manipulations et motivations perverses, de son procès à La Haye.

Il faut démontrer aux Israéliens juifs, à tous les Juifs, que le sionisme leur ment, les embrigade dans une aventure raciste, extrémiste, génocidaire qui dénature leur foi et leur dignité.

« En ma qualité officielle de président de l’OLP et de chef de la révolution palestinienne, j’invite les Juifs, tous les Juifs, à se détourner des promesses fallacieuses de l’idéologie sioniste et des dirigeants israéliens, car ces promesses ne conduisent qu’à la guerre sans fin, à de perpétuelles effusions de sang et à de continuelles angoisses » (4).

Une synthèse

En conclusion de cette étude, nous avons montré que le sionisme juif est constitué de trois composantes qui le caractérisent : le sionisme chrétien, le sionisme juif soit un projet pour les Juifs face à l’antisémitisme chrétien et européen, le colonialisme de peuplement du XIXe siècle comme politique pour y parvenir.

La puissance du sionisme juif provient du sionisme chrétien, notamment aux États-Unis, et d’une compensation européenne à l’Holocauste aux dépens des Palestiniens, l’antisémitisme occidental, toujours présent et masqué, poussant les Juifs à quitter l’Occident.

La politique fondamentale du sionisme, vitale pour sa pérennité et l’installation de tous les Juifs en Palestine, est la violence armée, la guerre pour chasser les Palestiniens de leurs terres, pour en conquérir d’autres. En ce sens il est consubstantiel à l’impérialisme occidental qui utilise Israël comme bras armé dans une région possédant environ 50% des réserves mondiales d’hydrocarbures.

Le sionisme est une idéologie essentialiste, raciste, colonialiste, développée à partir du sionisme chrétien et reprise par le sionisme juif. C’est un projet politique colonialiste qu’il est légitime de combattre comme tout autre programme politique de même nature.

En même temps le sionisme ne doit absolument pas être confondu avec le Judaïsme, ni les sionistes juifs avec les Juifs malgré les efforts permanents de Netanyahou et ses complices pour les confondre et nous confondre.

Dépourvu de toute morale, escomptant l’appui illimité de leur alter égo américain, le sionisme n’arrêtera ses méfaits, y compris à l’égard des Juifs, qu’une fois disparu. Plus de 75 ans d’impunité en violant le droit international, le droit humanitaire et la morale humaniste ne font que renforcer la détermination sioniste à poursuivre toujours plus loin, toujours plus criminelle, son entreprise coloniale. En commettant et assumant avec arrogance un génocide, au vu et au su de tous en direct, le sionisme considère qu’il peut ne pas s’imposer de limite.

L’antisionisme est donc la seule position progressiste juste, sans concessions. Combattre l’idéologie sioniste, comme cela a été fait contre le racisme, le nazisme et le fascisme, et continue d’être fait contre le néonazisme et le néofascisme.

Il ne s’agit pas de s’attaquer aux citoyens israéliens, ni évidemment aux Juifs en tant que tels. Il ne s’agit pas non plus de détruire physiquement Israël, ce que les sionistes avancent comme argument pour détruire leur voisinage. Le but est de le vider le son contenu sioniste.

Le combat légitime pour la démocratie et l’égalité, le combat humaniste, doit être mené contre le sionisme et l’antisémitisme qui sont deux formes de discriminations et d’inégalités racistes.

L’antisémitisme nourrit le sionisme en validant l’usage de la discrimination et la violation de l’égalité, en renforçant les thèses sionistes d’un antisémitisme universel, d’une raison exclusivement antisémite à l’opposition à Israël, lui permettant de masquer sa nature coloniale. Réciproquement le sionisme, nous l’avons vu, alimente l’antisémitisme, dont il se sert, en assimilant le sionisme au Judaïsme pour justifier ses crimes et pousser les Juifs à l’émigration vers Israël.

Le combat contre le sionisme et l’antisémitisme doit donc être mené de front. L’antisémitisme et la moindre indulgence à l’égard de l’antisémitisme sont un soutien au sionisme.

L’antisémitisme renforce l’islamophobie, qui en est sa réincarnation en Occident, par les médias, par son utilisation par le sionisme contre les droits palestiniens.

En même temps, le sionisme est une arme politique spécifique de l’impérialisme, dans une région riche en hydrocarbures, carrefour de l’Europe, l’Asie et l’Afrique et comprenant le canal de Suez.

Par conséquent s’opposer au sionisme fait partie du combat plus large contre l’impérialisme, la logique de domination, la logique de guerre.

Dans le cas concret de la cause palestinienne, les forces progressistes doivent lutter contre le sionisme pour la libération et la justice pour le peuple palestinien, comme contre toute forme de discrimination, y compris l’antisémitisme et l’islamophobie.

Les trois victoires stratégiques de la cause palestinienne

La résistance palestinienne à Gaza a remporté trois victoires stratégiques contre le sionisme et l’impérialisme aux yeux du monde entier : le sionisme a montré sa nature profonde, colonialiste, raciste, génocidaire, ce sera son épitaphe ; l’Occident, en soutenant le génocide, a aussi montré son vrai visage, loin de ses prétentions à défendre les droits de l’homme et les principes démocratiques, son masque est tombé.

Troisième victoire, la résistance palestinienne a gagné le soutien de l’opinion publique mondiale, y compris en Occident, y compris au sein des communautés juives occidentales. C’est un capital politique immense qui peut être transformé en réalisations politiques comme de nouvelles reconnaissances diplomatiques et peut être l’admission de l’État de Palestine à l’ONU ce qui isolerait définitivement Israël.

Il y aura la future résolution de la CIJ qui condamnera Israël et ses dirigeants pour génocide effectif. La CPI instruira le procès de ces mêmes dirigeants, voire ceux de certains dirigeants occidentaux. Ce qui provoquera une réaction en chaîne vers la déconfiture du sionisme, par l’abandon de ses soutiens, par la prise de conscience des Juifs de l’horreur dans laquelle le sionisme les a plongés. L’appel à l’émigration en Israël perdra de sa force, ce sera peut-être même le mouvement inverse, et la conquête de nouveaux territoires ni même l’expulsion des Palestiniens n’auront plus de sens.

La fructification de ce capital, de ce rapport des forces nouveau nécessite de priver le sionisme des nutriments indispensables à sa survie : la guerre et l’antisémitisme. Le sionisme peut être vaincu par la voie démocratique et du droit international. Ce sera sans doute long, mais c’est le plus court chemin et le moins coûteux.

Give Palestine Back to the Palestinians (5)

L’issue finale et juste de la Question Palestinienne ne peut être autre qu’un État démocratique et égalitaire en Palestine, et la stratégie pour y parvenir est celle de la paix.

Des femmes palestiniennes et israéliennes du mouvement ‘Women Wage Peace’ participent à une marche à proximité de la vallée du Jourdain, le 8 octobre 2017 (source : Flash90).

« La Palestine est la dernière grande cause […] plongeant ses racines jusqu’à la période de l’impérialisme classique. […] Ses partisans arabes et juifs, dépasseront leurs opposition, parce qu’il est certain que la coexistence, l’échange et la fraternité doivent vaincre l’exclusivisme, l’intransigeance et le rejet » (6).

L’OLP fut admise comme membre observateur de l’ONU en 1974. Le 13 novembre 1974, Yasser Arafat prononça un discours devant l’Assemblée Générale des Nations Unies dans lequel il exprima clairement le but de l’OLP : la création en Palestine d’un État démocratique où Chrétiens, Juifs et Musulmans pourront vivre dans la justice, l’égalité et la fraternité.

Il l’est aussi pour tous les progressistes, pour tous les humanistes.

« Aujourd’hui, je suis venu porteur d’un rameau d’olivier et d’un fusil de combattant de la liberté. Ne laissez pas le rameau d’olivier tomber de ma main. Je le répète : ne laissez pas le rameau d’olivier tomber de ma main. La guerre embrase la Palestine, mais c’est aussi en Palestine que la paix renaitra » (7).

Yasser Arafat à la tribune de l’AG de l’ONU, le 13 novembre 1974 (source : ONU media).

Mokhtar Homman, le 21 mars 2025

Notes

  1. Voir à ce sujet le film israélien Valse avec Bachir.
  2. Breaking the Silence (ONG) – Wikipédia.
  3. Give Peace A Chance (donnez une chance à la paix) est un hymne pour la paix de John Lennon, composé en 1969, chanté par les manifestants aux États-Unis contre la guerre du Vietnam.
  4. Discours de Yasser Arafat à la tribune de l’AG de l’ONU, le 13 novembre 1974, point 76.
  5. Give Ireland Back to the Irish (redonnez l’Irlande aux Irlandais) dont nous parodions le titre, est une chanson composée et parue le 25 février 1972 par Paul McCartney en solidarité avec les nord-irlandais catholiques. Cela suite aux évènements de Derry, en Irlande du Nord, où lors d’une marche pour les droits civiques 14 manifestants innocents furent tués par l’armée britannique le 30 janvier 1972, journée connue sous le nom de Bloody Sunday.
  6. Edward W. Said : La Question de Palestine, p. 350.
  7. Discours de Yasser Arafat à la tribune de l’AG de l’ONU, le 13 novembre 1974, points 82 et 83 (fin du discours).

Bibliographie

Saïd, Edward W. : La Question de Palestine. Éditions Actes Sud, Paris, 2010, nouvelle édition.

Arafat, Yasser : « Discours à l’Assemblée Générale de l’ONU ». Vingt-neuvième session, point 108 de l’ordre du jour, 13 novembre 1974. ONU, Documents officiels.

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