Retour sur l’ouvre de Mamoun Lahbabi
Par Noureddine Mhakkak
Professeur à l’université Hassan II de Casablanca jusqu’en 2017, Mamoun Lahbabi a d’abord écrit des livres en sciences économiques avant de s’engager en littérature au début des années 90. Il en est aujourd’hui à son dix-septième roman dont les derniers sont :
«Où aller pour être loin» (Ed Marsam, 2017), «Nulle part loin de toi» (Ed Orion, 2018),
«Le dernier manuscrit» (Ed Marsam, 2019). A paru cette semaine aux éditions ONZE son nouveau roman «Tout ce qu’il aimait».
Voilà une interview avec lui .Bonne Lecture.
Que représentent les arts et les lettres pour vous ?
-Toute la beauté du monde est représentée dans l’art. L’art est l’espace de toutes les libertés, là où l’imaginaire s’envole à l’abri de toutes entraves. Il est à l’origine de l’éblouissement des sens. « L’art est ce qui résiste à la mort », disait A. Malraux.
La littérature rejoint l’art en ceci, qu’à son tour, elle dit l’impossible pour parachever les possibles du quotidien. La littérature ajoute de la vie à la vie. Elle permet de révéler l’invisible en ouvrant au lecteur le sens enfoui dans la chair des mots.
Que représente l’écriture pour vous ?
– L’écriture est un partage d’intimité, et en cela elle établit un lien entre l’auteur et son lecteur. En écrivant, l’auteur « devient ce qu’il est » selon le mot de Nietzsche ; en lisant, le lecteur s’enrichit d’univers dont il était ignorant. En écrivant, l’auteur se confronte à lui-même ; en lisant, le lecteur bouscule ses certitudes.
« Je n’écris pas, je pousse un cri », disait V Hugo. Ce cri, le lecteur l’entend..
Parlez-nous des villes que vous avez visitées et qui ont laissé une remarqauble trace dans votre parcours artistique.
– Mes errances m’ont fait parcourir de nombreuses rondeurs du monde. A chaque fois, ce fut un réel contentement. L’Autre est toujours une source où il est agréable de boire.
Chaque ville, quel que soit le pays, possède propres ses trésors. Il suffit d’ouvrir les yeux, de tendre l’ouïe, de dresser sa curiosité pour s’en emparer.Quelles ont été les plus marquantes ? Je citerai celles dont le souvenir provoque encore en moi une déflagration d’émotion : Luang Prabang au Laos et son atmosphère jaillie d’un conte oriental ; Florence, Paris, ou encore Petersbourg, ces écrins de l’art dont la contemplation renouvelée ravive le même plaisir ; Le Caire, son cadeau d’un voyage au fond des âges et la rencontre des bâtisseurs d’une puissance que ni les sables du désert ni l’usure du temps n’ont pu ensevelir.
Et Fes, bien sûr, je parle de la vieille ville, la médina, dont chaque venelle est un départ dans une histoire qui n’a pas encore livré tous ses secrets.
Et pour les livres / romans que vous avez lus?
– Les romans ressemblent aux villes. A sa façon, chacun est marquant. Toute lecture apporte sa part d’évasion et de questionnement. Chacune est un nouvel apprentissage, un plus dans la manière de voir le monde, un mieux pour pénétrer l’âme humaine.
Dans le somptueux banquet de la littérature, y-a-t-il des préférences ? Balzac et «Le lys dans la vallée» pour s’éblouir de la description d’une passion contrariée; «Anna Karenine» de Tolstoï pour découvrir l’âme russe au décours de l’aristocratie; «La pitié dangereuse» de Zweig pour partager les mésaventures de la générosité et de la compassion ; « Le procès » de Kafka pour mesurer les dégâts où peut conduire l’absurdité d’un système sclérosé.
J’aurai aussi une pensée pour «L’hôpital» de A .Bouanani, un roman âpre mais combien vrai et que les années ont trop rapidement effacé.
La lecture autant que l’écriture ne comble pas seulement un plaisir, mais répond, bien souvent, à un intense désir.
Que représente la beauté pour vous?
– «Sois beau et fais ce que t’inspire ton cœur», disait E.Renan sans toutefois préciser les repères de la beauté.
La beauté serait-elle le déclencheur de l’émotion positive, de la passion heureuse, le sentiment d’une réjouissance, l’adhésion jouissive d’une représentation ? Serait-elle l’infinité des perceptions subjectives puisque chacun en a une figuration particulière ?
La beauté est peut-être ce qui alimente notre désir de mieux devenir. Un modèle en somme qui a le mérite d’appartenir à un chacun, qui se partage seulement dans une adhésion volontaire. Elle s’exonère de tous arguments : jamais mesurable et toujours ressentie.
Elle transcende le temps et condamne l’homme à sa quête perpétuelle.
«Le beau, c’est ce qui désespère», disait P .Valery.
Pourriez –vous nous parler de votre dérnier roman ? Pourriez -vous nous donner au moins un petit résumé?
Voilà le résumé de mon dernier roman «Tout ce qu’il aimait» : Slimane est un petit fonctionnaire dans une Commune de Casablanca. Travailleur pointilleux, il progresse lentement dans une carrière qui lui laisse néanmoins peu de perspectives. En dépit de sa situation financière précaire, il ne trempe pas dans les malversations dont il est témoin. Marié à Sanae, -une épouse aimante-, et père d’une fillette, il est heureux malgré les difficultés du quotidien. Jusqu’au jour où son collègue l’entraîne dans l’univers des courses hippiques en lui faisant miroiter des gains susceptibles de transformer son existence. De course en course, et de perte en perte, Slimane s’endette au point d’hypothéquer le petit logement acquis à la faveur d’un programme communal. Le besoin insatiable d’argent le pousse inexorablement vers la corruption dont il devient un acteur zélé au point d’indisposer ses collègues pourtant rompus à la pratique. Il s’enchaîne alors dans la spirale jeu/corruption qui le mènera dans une chute où il sera acculé de renoncer à son épouse et à sa fille.