«C’est très rare que des films amazighophones bénéficient de subventions!»

M’hamed Sallou, directeur du CEAELPA à l’IRCAM

Propos recueillis par Mohamed Nait Youssef

M’hamed Sallou, directeur du Centre des études artistiques et des expériences littéraires et de la production audiovisuelle (CEAELPA) à l’IRCAM estime qu’il existe un seul cinéma marocain soit en langue amazighe, arabe ou en darija. Selon lui, le cinéma amazighophone est un cinéma récent mais qui est toujours marginalisé, et qui ne bénéfice pas suffisamment d’aide et de subventions. «C’est très rare, et jusqu’à présent d’ailleurs, qu’on voit des projets de films amazighophones, bénéficie de subventions. Dans ce cadre, on a toujours appelé à un «traitement préférentiel» pour ce cinéma», a-t-il affirmé. Les détails.

Al Bayane : Peut-on parler d’un «cinéma amazigh» au Maroc ?

M’hamed Sallou : En fait, je préfère l’appeler ainsi : le «cinéma amazighophone». Il faudrait le rappeler, le cinéma, d’une manière générale, a commencé sans langue. Au début, il était muet, mais son langage était universel. En outre, on ne pourra pas définir un cinéma en recourant uniquement à la composante linguistique parce qu’un cinéma soit arabe ou français  est définit par son appartenance à une identité, à une culture, à un pays. C’est pour cette raison que je préfère le nommer un cinéma amazighophone parce qu’il y a un seul cinéma marocain soit en amazigh, en arabe ou encore darija. A vrai dire, l’identité culturelle d’un film est liée essentiellement aux sujets traités ainsi que les différentes questions sur lesquelles il se penche, les lieux où il est tourné ainsi que les valeurs transmises à travers l’image, la musique, les personnages et  l’histoire. Par exemple le film «à Casablanca les anges ne volent pas»  réalisé par Mohamed Asli ou encore le film «Adieu mères» réalisé par Mohamed Ismaïl ; sont deux productions cinématographiques puisées dans la culture marocaine dont l’amazigh  une composante importante de notre identité plurielle.  Mais, il faut le rappeler, les langues parlées dans ces deux films sont l’arabe et  le  dialecte marocain. Autrement dit, le film est marocain soit en amazigh, en arabe ou encre en darija.

Quel regard portez-vous sur la situation du film amazigh  dans le paysage cinématographique national?  À votre avis, ce cinéma a pu d’imposer parmi les grandes productions cinématographiques marocaines produites au Maroc ou ailleurs?

Le cinéma amazighophone est un cinéma récent. Au début, ce cinéma a commencé par des films  de vidéo et du DVD. Par ailleurs, le cinéma amazighophone comme les autres expressions artistiques amazighes, elles ont été  marginalisées. Ce sont des expressions qui vivaient à la marge. Auparavant, ce cinéma ne bénéficiait pas de subventions du Centre cinématographique marocain (CCM). En fait, c’est très rare, et jusqu’à présent d’ailleurs, qu’on voit des projets de films amazighophones bénéficient de subventions. Dans ce cadre, on a toujours appelé à un «traitement préférentiel»  pour ce cinéma.

Les défis auxquels fait face le cinéma amazigh sont nombreux dont la production et la diffusion. Qu’en pensez-vous?

Le problème de la diffusion est problème qui touche le cinéma marocain d’une manière générale. Il y a aussi les problèmes du piratage et la fermeture des salles de cinéma. Ainsi, malgré le nombre très limité des films  amazighophones,  la présence de ce cinéma  est honorable dans les festivals nationaux ou internationaux  à savoir que certains films ont  décroché des prix importants  entre autres «Adios Carmen» de Mohamed Amin Benamraoui, «Aghrabou» d’Ahmed Baidou ou encore «Monsters» de Mohamed Fauzi, alias «Aksel Rifman». Ce dernier n’a pas eu de subvention malgré l’effort qui  a été fait  dans ce travail cinématographique soit au niveau technique et esthétique.

Quelles sont les actions menées par l’Institut Royal de la Culture Amazighe (IRCAM) en matière de la promotion du cinéma amazigh?

Dans l’IRCAM, on a fait une expérience de la formation et l’accompagnement des jeunes travaillant dans le domaine du cinéma notamment le travail sur le scénario. Pour ce faire, plusieurs sessions de formation et des ateliers encadrés par de grands noms de la scène cinématographique nationale comme Mohamed Mouftakir, Youssef Fadel, Abdelkrim Derkaoui, Jamal Belmejdoub et bien d’autres. Ce travail a donné ses fruits fructueux en  donnant naissance à une vague de jeunes scénaristes ayant enrichi le cinéma amazighophone avec des scénarios. Parmi ces noms figurent  Mourad Khalou, Abdellah Lmenani, Benaissa Lmestiri. L’IRCAM a contribué dans l’évolution de l’écriture cinématographique.

Pourquoi l’IRCAM ne produit-il pas de films amazighs?

En général, l’IRCAM ne pourra pas produire des films parce que la production d’un vrai film exige des budgets colossaux. En d’autres termes, la production des films est  très couteuse. Or, il y a le CCM qui s’occupe de ce travail. Notre aide est juste complémentaire. En revanche, nous contribuons avec le prix réservé à la culture amazighe notamment dans le domaine du 7ème art. Nous essayons de valoriser les bons travaux afin d’attirer l’attention à ce  cinéma amazighophone qui évolue au fils des années.

Quid alors du sort du prix réservé à la culture amazighe notamment après la création du Conseil national des langues et de la culture marocaine (CNLCM)?

L’IRCAM et ses activités vont continuer, ce prix aussi. Je pense que le prix de la culture amazighe aura une longue vie et la liste des prix va se multiplier. C’est un héritage qu’on a accumulé, et des acquis importants ont été réalisés. Donc on ne peut pas les lâcher.

Que pensez-vous de la présence du cinéma amazigh dans les festivals nationaux?

Il faut  dire qu’il y a une absence du cinéma amazighophone dans les festivals nationaux. C’est une réalité aussi : les travailleurs dans le cinéma amazighophone se comptent sur les doigts d’une main ! Or, le bon nombre  d’entre eux se sont dirigés  vers la télévision parce qu’il est plus «rentable», car on ne peut pas vivre du cinéma uniquement. En d’autres mots, faire un film cinématographique est une véritable aventure surtout quand on pas de garanties que ce travail bénéficiera de la subvention du CCM. Dans cette optique, il faut penser à encourager les producteurs, les scénaristes. A titre d’exemple, Agadir était une véritable pépinière regorgeant  d’acteurs, de techniciens qui sont  aujourd’hui des proies du chômage. Agadir était  pionnière en matière du cinéma amazighophone. Il faut sauver gens qui sont absents de la scène cinématographique.

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Mohamed Abaamrane, repose en paix pionnier

Mohamed Abaamrane, de son vrai nom Mohamed Ounbik, connu sous le sobriquet de «Boutfounast», est un acteur et chanteur amazigh, né en 1932 à Aît Baamran, il devient célèbre en 1992 grâce à son rôle dans le film « Boutfounaste et les 40 voleurs » du réalisateur Archach Agourram.

Mohamed Abaamrane a commencé sa carrière dans la chanson à la fin des années 40. Au début des années cinquante, il enregistre son premier disque phonographique. Il fut un pionnier de la chanson des Rwaiss d’antan aux côtés d’autres artistes de renom comme Raïss Lahoucine Janti , Omar Wahrouch et Raiss Elhaj Demciri.

Abaamrane, âgé de 88 ans, est décédé le 20 février dernier d’une mort naturelle. Il laisse derrière lui un grand héritage dans l’art amazigh.

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