Une voie vers l’amélioration de la performance des services publics

La création de la nouvelle agence nationale du secteur public

Prof. Dr. Abdelali Kaaouachi*

Dans son discours prononcé le mercredi 29 juillet 2020 à l’occasion du 21ème anniversaire de la Fête du Trône, le Roi Mohammed VI a mis l’accent sur la nécessité de remédier aux répercussions économiques et sociales de la crise sanitaire causée par la maladie COVID-19, et cela dans le cadre d’une vision prospective globale mettant à profit les enseignements tirés de la période vécue ces derniers mois.

L’une des Instructions Royales concerne l’appel de Sa Majesté à une réforme profonde du secteur public qui doit être lancée avec diligence pour corriger les dysfonctionnements structurels des établissements et des entreprises publics, garantir une complémentarité et une cohérence optimales entre leurs missions respectives et, in fine, rehausser leur efficience économique et sociale.

À cette fin, le Souverain a appelé à la création d’une agence nationale dont la mission consistera à assurer la gestion stratégique des participations de l’Etat et à suivre les services fournis par les entités publiques et la performance des établissements publics.

Cette Haute Orientation Royale est plus que stratégique et indéniable, ayant la finalité suprême d’optimiser les participations de l’Etat et de booster les prestations du secteur public.

Contexte de création de la nouvelle agence

D’abord, force de constater que l’appel de création de la nouvelle agence nationale du secteur public s’inscrit assurément dans un contexte marqué par le rôle essentiel et déterminant des services publics dans la gestion de la crise sanitaire causée par le COVID-19. L’autre élément a un lien avec le chantier toujours ouvert, concernant la réforme de l’administration qui a été lancée il y a plusieurs années, mais sans arriver à construire un modèle innovant et efficace de bonne gouvernance, et cela malgré l’adoption de certaines mesures comme la Loi organique 130.13 relative aux Lois de Finances (LOLF, 2015) ainsi que la Loi 54.19 portant charte des services publics qui vise la simplification des formalités et des procédures administratives. Le dernier élément est porté par la volonté, toujours exprimée, d’adopter les principes du modèle anglo-saxon « New Public Management (NPM) » qui est fréquemment invoqué comme porteur de solutions et tourne autour de trois logiques d’action : l’efficacité (les bénéfices attendus de l’action publique), la qualité de service attendue par le citoyen, et l’efficience de gestion (l’optimisation de l’utilisation des ressources).

Par ailleurs, plusieurs facteurs favorisent la création de la nouvelle agence : les fragilités et les insuffisances touchant les Etablissements et Entreprises Publics (EEP) ; les dérives de gestion des établissements publics qui sont assez nombreuses ; la nécessité de contrôler les coûts dans une période de restriction des fonds publics ; la nécessité d’améliorer la qualité des services publics et de produire des résultats et des impacts sur la vie des citoyens; l’obligation d’optimiser les ressources et de mettre en œuvre efficacement la performance à tous les niveaux du secteur public ; le besoin à la transparence et des systèmes qui lient la responsabilité à la reddition des comptes (accountability).

Devant tous ces éléments et ces facteurs, l’analyse de la performance dans le secteur public est une question d’une réelle importance qui devra figurer parmi les priorités nationales.

Les missions et les objectifs de l’agence

Trois niveaux de missions sont proposés dans le Discours Royal. Ils représentent le cœur des activités de la nouvelle agence nationale :

  • Niveau 1 : La gestion stratégique des participations de l’Etat. Ce niveau concerne les diverses contributions de l’État aux établissements et entreprises publics, spécifiquement les contributions financières.
  • Niveau 2 : Le suivi des services fournis par les entités publiques. Ce niveau s’intéresse au recueil des données sur la quantité et la nature des services offerts aux citoyens dans tous les secteurs d’activité, comme la santé, l’éducation, la sécurité sociale, le réseau de transport, l’électricité, l’eau, l’assainissement… Il s’agit aussi d’étudier l’évolution des différentes caractéristiques de ces services et de chercher leur qualité, leur équité et leur impact.
  • Niveau 3 : Le suivi de la performance des établissements publics. Ce niveau se préoccupe à une analyse de la performance des établissements publics qui passe nécessairement et au préalable par sa mesure et son évaluation.

Par ailleurs, l’agence nationale pourra s’engager dans les objectifs suivants:

  • Instaurer un mécanisme de gestion stratégique des participations de l’Etat;
  • Elaborer un mécanisme de suivi des services fournis par les entités publiques;
  • Développer un système d’analyse de la performance des établissements publics;
  • Promouvoir une culture d’évaluation de la performance des services publics;
  • Elaborer des méthodologies et des dispositifs pour l’évaluation et le suivi de la performance des établissements publics;
  • Effectuer des opérations d’évaluation et d’analyse des politiques et programmes publics;
  • Promouvoir l’amélioration de la performance des services publics en tant qu’engagement envers les citoyens.

L’agence

L’agence nationale est une autorité administrative[1] qui sera chargée de mener des opérations de gestion stratégique des participations de l’Etat, de suivi des services publics et de mesure et d’évaluation de la performance des établissements publics. Sa création doit être procédée par un travail d’experts commandités d’élaborer un rapport d’ante-création de l’agence et d’une validation parlementaire, et doit être régulée par une loi qui précise la dénomination et l’objet de l’agence, ses attributions et ses missions, la composition de son conseil d’administration, les composantes de son organigramme, ses ressources humaines et financières. Son objectif central concerne la question de performance du secteur public.

L’agence pourra bien apporter le titre de «Agence Nationale d’Evaluation de la Performance du Secteur Public (ANEPSP)». Le mot «évaluation » est plus large et intègre plusieurs actions, comme «la mesure » et «le suivi». Les mots «performance» et «secteur public» représentent respectivement la caractéristique et la cible à adresser. Le mot « performance » porte sur les politiques publiques, les activités, les résultats et aussi sur les différents impacts.

L’organigramme de l’agence, ayant une structure matricielle, pourra être organisé horizontalement en trois pôles de compétences qui correspondent aux trois niveaux de missions : pôle de la gestion stratégique des participations de l’Etat ; pôle de suivi des services fournis par les entités publiques ; pôle de suivi de la performance des établissements publics. Son organisation verticale pourra intégrer les secteurs d’activité (Santé, Education, Transport, Services de distribution « électricité, eau, assainissement », etc.).

Les apports de l’agence

Les activités qui seront menées par l’agence nationale auront plusieurs apports directs ou indirects :

  • être un outil utile pour les gouvernements afin d’évaluer leurs propres réalisations ;
  • fonder des stratégies de développement intégrantes et cohérentes ;
  • se comparer dans le but d’améliorer la qualité du service public ;
  • prendre des décisions comme l’attribution de moyens financiers et humains ;
  • accroître la confiance du public dans le gouvernement ;
  • atteindre les standards de la performance des services publics reconnus à l’international ;
  • informer de façon fiable et transparente le public sur les activités des établissements publics et leurs performances.

Un modèle proposé pour accomplir la troisième mission de la nouvelle agence

Au niveau mondial, la performance préoccupe les autorités publiques depuis plusieurs décennies. Elle correspond à la réalisation des objectifs assignés afin de satisfaire les attentes des citoyens. Elle met en relation les objectifs, les ressources, les activités et les résultats ; la performance est donc le résultat de l’effort simultané d’efficience (la capacité d’obtenir les résultats attendus au moindre coût), d’efficacité (la capacité d’atteindre l’objectif fixé) et d’une utilisation appropriée de l’ensemble des ressources suivant un fonctionnement optimal.

La mesure de la performance du secteur public est devenue un sujet d’une importance primordiale dans plusieurs pays, justifiée par les arguments suivants:

  • Si on ne mesure pas les résultats, on ne peut pas distinguer le succès de l’échec;
  • Si on ne voit pas le succès, on ne peut pas le récompenser ;
  • Si on ne peut pas récompenser le succès, on récompense probablement l’échec;
  • Si on ne voit pas le succès, on ne peut pas en tirer des leçons ;
  • Si on ne reconnaît pas l’échec, on ne peut pas le corriger ;
  • Si on peut démontrer des résultats, on peut gagner le soutien du public.

La mesure de la performance vise l’amélioration de l’efficience et de l’efficacité des services publics. Elle est définie comme une démarche de collecte et d’analyse régulières d’informations sur l’efficience, l’efficacité et le fonctionnement. En vertu de sa nature technique, il est indispensable d’avoir un système d’informations vigoureux et performant, en plus d’une expertise profonde et inimitable pour conduire les activités en matière de démarches, de dispositifs, de traitement et d’analyse des informations sur la performance du secteur public.

Il existe une variété de modèles de mesure et de suivi de la performance des établissements publics : la gestion de la qualité totale (TQM) dans le secteur public; la pyramide des performances; le tableau de bord équilibré pour le secteur public; le prisme de performance; le benchmarking; le modèle de valeur de service public.

Les modèles actuels de mesure de la performance dans le secteur public présentent certaines limites car ils ne reposent que sur des indicateurs qui sont principalement d’ordre financier et ne permettent pas de mesurer la réalisation des objectifs fixés des établissements publics.

Pour accomplir la troisième mission de la nouvelle agence (le suivi de la performance des établissements publics), un travail laborieux et de concertations devra être élaboré étant donné la difficulté de définir et de mesurer la performance dans le secteur public, qui est surtout due à la complexité et la nature multidimensionnelle du concept. Avec des sens précis relatifs aux différents secteurs d’activité, on peut définir la performance et développer des modèles pour sa mesure correspondants aux politiques publiques, aux activités, aux résultats et aux impacts.

Selon notre expérience, nous pouvons proposer une variante du modèle de la gestion de la qualité totale pour  pratiquer l’évaluation de la performance des établissements publics. Cette variante, déjà utilisée par les institutions de l’enseignement supérieur à l’échelle planétaire, a bien montré ses avantages et ses bénéfices. Elle se base sur une procédure d’évaluation de la performance qui repose sur deux composantes complémentaires et interconnectées :

  • L’évaluation interne de la performance : elle est définie comme un processus d’évaluation réalisé sous la responsabilité de personnes ayant des activités au sein de l’établissement public concerné. Ce processus consiste en la collecte systématique de données et le calcul des indicateurs (allant du simple jusqu’à ceux de performance); il aboutit généralement à l’élaboration d’un rapport d’évaluation interne qui décrit les éléments de la performance au sein de l’établissement.
  • L’évaluation externe de la performance : elle est réalisée à partir d’une visite sur site, par un comité d’experts, consacrée aux réunions et entretiens avec les acteurs de l’établissement afin d’apprécier sa performance en matière de réalisation de ses missions et ses objectifs. Après la visite du site, un rapport provisoire d’évaluation de l’entité est élaboré par les experts, puis adressé à l’établissement afin qu’il puisse faire part de ses observations. Le rapport d’évaluation final met en évidence les forces et les faiblesses de l’établissement, et formule des suggestions ou des recommandations visant l’amélioration du fonctionnement et de la performance. Il contient également les observations données par l’établissement. L’agence fait le suivi de ses recommandations selon un échéancier prédéterminé.

L’agence doit respecter les missions et les objectifs de chaque établissement public. Pour cela, les critères définis et les procédures mises en œuvre par l’agence prennent en compte la diversité des missions des établissements évalués, ainsi que la diversité des secteurs d’activités. Suivant cette logique, l’agence développe des procédures d’évaluation de la performance qui s’appuient sur les missions institutionnelles et respectent la diversité.

Les activités de l’agence concernent deux mécanismes d’évaluation de la performance, à savoir l’évaluation et la labellisation. L’évaluation s’appuie davantage sur «l’adéquation aux objectifs», avec une finalité d’amélioration continue du fonctionnement et de la performance, alors que la labellisation s’appuie sur l’approche fondée sur « les standards » tout en se référant aux missions et aux objectifs fixés, avec une finalité d’atteinte des standards et des hauts niveaux de performance. Cette labellisation « haute performance » pourra bien avoir des marques de confiance et des formes de reconnaissance et même de récompense.

Pour chaque établissement public, l’évaluation interne de la performance doit être obligatoirement conduite, et ce dans l’optique de sa démarche qualité interne. Un organe d’évaluation, au niveau de l’établissement, a la responsabilité d’organiser et de coordonner le processus d’évaluation interne qui doit être régi par le règlement interne de l’établissement.

L’évaluation externe se fait par compagne selon une forme cyclique. Elle a un caractère obligatoire pour tous les établissements publics. L’agence défini un cycle composé de plusieurs campagnes d’évaluation de la performance, et ce dans le but de couvrir tous les établissements publics. Chaque année, l’agence évalue la performance d’une vague d’établissements d’un même secteur d’activité. 

Les opérations d’évaluation de la performance des établissements publics se fondent sur des référentiels d’évaluation de la performance propres et spécifiques aux différents secteurs d’activité, des standards (références), des critères et des indicateurs de performance. Les procédures et les dispositifs adoptés par l’agence sont amenés à évoluer et à s’améliorer au fur et à mesure de l’avancement des activités d’évaluation de la performance.

Conclusion :

Dans son discours prononcé le mercredi 29 juillet à l’occasion du 21ème anniversaire de la Fête du Trône, Sa Majesté le Roi Mohammed VI a appelé à une réforme profonde du secteur public qui doit être lancée avec diligence pour corriger ses dysfonctionnements et améliorer sa performance. Le Souverain a appelé à la création d’une agence nationale dont la mission consistera à assurer la gestion stratégique des participations de l’Etat et à suivre les services fournis par les entités publiques et la performance des établissements publics.

L’article a proposé une réflexion sur une série d’éléments tels que le contexte de création de l’agence, ses missions, ses objectifs, ses composantes éventuelles, et enfin ses apports. En outre, il a tenté de proposer un modèle pour accomplir la troisième mission de la nouvelle agence, faisant appel à une variante du modèle de la gestion de la qualité totale qui pourra être appliquée pour analyser la performance des établissements publics dans notre pays.

La réflexion proposée dans cet article avance que le secteur public peut être géré efficacement comme dans le secteur privé si des systèmes efficaces d’évaluation de la performance sont mis en place. Le travail relève d’une technicité spécifique pour élaborer des démarches et développer des dispositifs d’analyse et de suivi de la performance. Le gain du modèle est très important : entre autres, la participation réelle et active des acteurs internes dans l’évaluation de la performance de leurs établissements publics va leur permettre de développer le regard réflexif et critique sur leurs pratiques et d’améliorer leurs engagements, conditions sine qua non permettant d’améliorer la qualité des services du secteur public.

Il reste à développer le modèle d’évaluation de la performance proposé dans cet article et chercher son ajustement aux établissements publics des différents secteurs d’activité. La question est très ouverte et mérite une réflexion mûre et approfondie.

*Université Mohammed I, Oujda

Biographie succincte

Abdelali Kaaouachi a obtenu un doctorat en mathématiques appliquées (option, statistiques mathématiques). Il est Professeur à l’Université Mohammed Premier et ancien Directeur du Laboratoire de Recherche en Education et Formation. Il a occupé la position du Chef du Département de l’évaluation à l’Instance Nationale d’Evaluation auprès du Conseil Supérieur de l’Enseignement. En parallèle à son champ académique, il a développé une expertise et de grands intérêts relatifs aux axes suivants : les théories de mesure en éducation ; l’évaluation des acquis, des programmes et des institutions; l’assurance qualité dans l’enseignement supérieur ; la pédagogie universitaire, etc. Il a produit plusieurs publications dans ces domaines comme il  a réalisé plusieurs expertises et consultations au niveau international. Il était membre élu de l’Institut International de Statistique (ISI) et membre de l’Association Internationale de Pédagogie Universitaire (AIPU). Il est le fondateur du colloque international EVALSUP (Evaluation au Supérieur), avec 4 éditions passées.

[1] La première mission de l’agence (gestion stratégique des participations de l’Etat) favorise son attachement au Ministère de l’Economie, des Finances et de la Réforme de l’Administration. Les deux autres missions 2 & 3exigent l’indépendance de l’agence. Ce que nous proposons, c’est la création d’une Direction des Participations de l’Etat (DPE) attachée au ministère de l’Economie, des Finances et de la Réforme de l’Administration, et la création d’une Agence Nationale d’Evaluation de la Performance du Secteur Public (ANEPSP), totalement autonome et  indépendante.

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