«40% des entreprises familiales marocaines sont investies dans une transmission à la seconde génération»

Au Maroc, plus de 90% des entreprises son familiales. Quel est le modèle économique de ces entreprises qui portent la croissance du pays à bout de bras ? Focus avec Jihane Benslimane, Experte en management chez Hera Consulting.

Al Bayane : D’après vous, comment peut-on définir une entreprise familiale?

Jihane Benslimane : Tout d’abord, il est important de rappeler qu’il existe plus de quatre-vingt-dix propositions de définitions de l’entreprise familiale. Nous allons retenir ici la plus courante et la moins restrictive.

L’entreprise familiale se définit comme une entité dont le capital est détenu majoritairement par les membres d’une même famille et dont au moins deux administrateurs sont de la même famille. Autrement dit, une entreprise est familiale dans la mesure où la famille contrôle la majorité de la propriété ou des droits de vote et un ou plusieurs de ses membres occupent des postes de management.

Celui-ci se compose en général du père, de l’épouse et, le plus souvent, des enfants, dans une perspective de succession. Une entreprise ne devient donc familiale qu’au bout de la seconde génération.

Cependant, il est essentiel de faire la distinction entre une entreprise familiale et une entreprise patrimoniale. Celles-ci ont certes un point commun : la détention majoritaire de leur capital, dans l’idéal théorique, par leurs dirigeants, ce qui les différencie des autres entreprises privées.   Pourtant, les dirigeants des entreprises patrimoniales sont des personnes physiques sans liens familiaux alors que les dirigeants des entreprises familiales sont nécessairement unis par des liens de parenté et sont le plus souvent les descendants du fondateur de l’entreprise.

Quel est votre regard sur l’entreprise familiale marocaine?

Le Baromètre BDO-ANPME en novembre 2009 a relevé que 40% des entreprises familiales marocaines sont investies dans une transmission à la seconde génération. Celles-ci composent 95% du tissu économique et contribuent largement dans les secteurs de l’artisanat, du textile, des services, des exportations. Elles participent fortement à la croissance économique en créant 50 % de l’emploi, 20% de valeur ajoutée, 40% de production et 50% d’investissement.  En 2012, 2355 PME avaient été transmises au sein de la famille alors qu’en 2013, l’analyse a permis de dénombrer 2697 transmissions familiales, soit une évolution positive de 14% en un an.

Il est important de préciser que l’économie marocaine n’est pas une économie orientée vers le marché boursier mais se décrit plutôt comme une économie présentant une sous-capitalisation avec une prédominance du capital familial.

Or, dans une entreprise familiale, c’est la famille qui décide de la stratégie et de la succession du dirigeant. Dans une telle société, on favorisera alors les stratégies orientées vers des projets à moyen et long termes. Nous pouvons observer que cet entreprenariat en famille se caractérise par une flexibilité conséquente, des relations durables et une dimension certaine du facteur humain.

Les entreprises familiales marocaines de façon générale connaissent un déficit en matière de transmission parce que l’identification du bon repreneur reste difficile. Le côté psychologique intervient régulièrement parce que le cédant cherche toujours quelqu’un qui lui ressemble pour lui transmettre son entreprise.

Lorsqu’un proche reprend ou hérite de ce management dans l’entreprise familiale (d’ailleurs souvent non préparé), il est encore plus difficile de concilier entre le personnel et le professionnel. Cette complexité vient de l’engagement affectif des deux proches. Cependant, d’après l’observation lors des missions que nous avons dans les entreprises familiales, ce lien affectif est aussi un moteur pour les membres de la famille pour fortifier leur patrimoine et leur entreprise.

Ceci me pousse à affirmer que le travail avec un proche ou en famille promet certaines difficultés et requiert une grande maturité. Il est important d’envisager tous les cas de désaccord ou de conflit personnels ou professionnels dès le départ. Ceci étant, la volonté de porter le projet ou les valeurs communes familiales peut être un réel moteur menant à la réussite.

A votre avis, quel est le modèle économique le plus efficient pour les entreprises familiales au Maroc?

La plupart des entreprises familiales marocaines optent pour le statut juridique SARL. Celui-ci leur permet d’avoir un contrôle plus accessible et simple. Les parts sociales dans ce type d’entreprises se transmettent par héritage selon les lois en vigueur au Maroc ou par cession ouverte entre membres de la famille.

La gouvernance optimisée de l’entreprise familiale se caractérise donc par le fait qu’elle comprend deux niveaux. Primo, la gouvernance familiale, qui compte la création d’instances telles que le Conseil de Famille, où sont aussi présents les membres de la famille qui ne sont pas actionnaires et qui ne sont pas impliqués dans l’entreprise. Secundo, la gouvernance de l’entreprise, qui comprend les instances de décision et de contrôle traditionnelles : Assemblée Générale, Conseil d’Administration ou Conseil de surveillance, Directoire, Comités de direction…

Toutefois, la plupart des conflits entre dirigeants et/ou actionnaires familiaux que nous observons en entreprise proviennent, notamment de la difficulté à définir une vision stratégique commune, l’attribution de postes de direction, le manque de communication entre les différents acteurs (membres familiaux, actionnaires, opérationnels), les conflits intergénérationnels, l’intégration des nouvelles générations et le passage de relais…

Enfin, encouragez-vous la naissance des entreprises familiales au Maroc?

Nous encourageons bien évidemment la création des entreprises familiales au Maroc et surtout leur développement. Celles-ci sont connues pour être plus performantes et plus résilientes face aux crises. Leur croissance peut répondre tout à fait à la perspective actuelle d’émergence du Maroc.

Kaoutar Khennach

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