Les Arts et la Préoccupation Philosophique et spirituelle

                                             Entretien avec Maati Kabbal

Par Noureddine Mhakkak

 Un très fort entretien avec l’écrivain marocain de deux langues : française et arabe. Essayiste, romancier, traducteur et chroniqueur, Maati Kabbal est responsable des Jeudis de l’IMA (l’Institut du monde arabe) à Paris, et Coordinateur scientifique des rendez-vous de l’histoire. Parmi ses ouvres, on peut citer à titre d’exemple : « Je t’ai à l’œil », Éditions Paris-Méditerranée, 2002 et « Maroc, éclats instantanés », nouvelles, Paris, le Grand souffle éditeur, 2007.Voici nos questions et ses réponses.

Que représentent les arts et les lettres pour vous ?

Sous la rubrique Arts sont répertoriées neuf catégories majeures : l’architecture, la peinture, la sculpture, la musique, la littérature, la poésie, le cinéma et les arts médiatiques, la bande dessinée. Ces arts recréent le réel pour nous offrir une représentation du monde innovant, pluriel et contrasté. Dans cette configuration, le binôme arts et lettres fusionnent et se complètent: un poème, un roman sont des objets artistiques. Ils sont empreints d’une esthétique qui renvoie à celle d’un tableau de peinture ou d’une sculpture. Certains poèmes de Mahmoud Darwich évoquent la destruction décrite par certains tableaux de Picasso ou la sculpture de Giacometti. On peut trouver aussi des proximités avec la musique soufie. Il faut donc penser les arts comme un tout. L’artiste est celui qui s’engage sur des chemins qui bifurquent et qui mènent parfois au nulle part ! Lire un fragment du mystique Niffari, lire Mohamed Leftah ou Mohamed Choukri, écouter les classiques Égyptiens, Bach interprété par Glenn Gould, Bouchaïb El Bidaoui ou Mohamed Rouicha, admirer dans le silence un tableau de Charkaoui ou Gharbaoui, équivaut pour moi à une plongée dans ce qu’il y a de puissant dans l’art et lest lettres.

Que représentent l’écriture et la lecture   pour vous ?

Dans la lecture, il faut savoir être sélectif et visionnaire. Il y a les valeurs sûres « classiques » dont on ne se lasse jamais de revenir à leurs œuvres : Louis-Ferdinand Céline, Jean Genet, Naguib Mahfouz. Mais il y a ce que l’on appelle les nouveaux qui sont parfois la fabrique formatée des éditeurs. À une époque, je lisais tout ce qui me tombait sous la main. Puis, quand j’ai commencé à faire les bouquinistes du quai de la seine, j’ai découvert, ne serait-ce que sur le plan de la littérature, d’autres voix, d’autres plumes du monde plus puissantes et plus accomplies : j’ai découvert ainsi la littérature nord et sud-américaine, la littérature nordique, notamment suédoise dont Henning Mankell reste pour moi le digne représentant. L’écriture s’est amorcée ainsi dans l’interstice de la lecture et la traduction. Aussi, c’est dans l’éclair de la lecture qu’advienne l’écriture. 

Parlez-nous des villes que vous avez visitées et qui ont laissé une remarquable trace dans votre parcours artistique.

Pour quelqu’un qui est issu d’une petite ville, même si la ville dont je suis originaire a été créée par les Français, arriver dans ce que l’on appelle la grande ville ou la Métropole, constitue un choc. Tel a été le cas avec Paris, Marseille. Une fois dépassée cette étrangeté, j’ai pu me déplacer hors de la France pour des voyages touristiques ou des voyages d’études. J’ai pu ainsi admirer la beauté inégalée de Venise, Florence, ou la singularité de Dublin, ville de Joyce, la vivacité baroque du Caire, le calme mystique de Khartoum et Oum-Durman. Le Yemen reste pour moi un pays de l’art absolu. Je suis effondré par la situation dramatique faite de destruction et de désolation que vit ce pays. Dans les années 90, J’ai pu visiter le Nord et le Sud du Yemen et j’ai été saisi par sa beauté, sa richesse patrimoniale, son peuple ouvert et intelligent.

Que représente la beauté pour vous ?

Dans la langue arabe, il existe plus de 20 mots pour désigner la beauté. Les poètes préislamiques et plus tard islamiques en ont forgé le lexique esthétique dans ce genre appelé Al Ghazal. Le corpus mystique est également riche destiné à célébrer la beauté spirituelle. Ibn Arabi, Al-Hallaj ont composé dans ce sens des textes à la beauté inégalée. Même si la beauté en Islam est définie selon des canons métaphysiques et théologiques, (la beauté est le miroir de Dieu, Dieu est beau et aime la beauté), il y a eu des tentatives que ce soit dans la calligraphie arabe et musulmane, dans le mystique, la poésie, la peinture, pour désacraliser la pensée comme l’histoire d’un sujet doté d’un corps et d’un langage. C’est cette beauté terrestre et non pas céleste qui m’intéresse. N’oublions pas la sagesse populaire qui dit : seule la beauté de la raison compte !

Parlez-nous des livres /films que vous avez déjà lus/vus et qui ont marqué vos pensées.

La réponse à cette question reviendrait à vous parler d’une très longue bibliographie et filmographie qu’il est difficile de dresser ici. Comme indiqué précédemment, j’opère dans mes lectures et mon choix des films par sélection. Il faut avoir le nez et l’oeil. Je suis rarement les critiques, le plus souvent complaisant, pour lire un livre ou regarder un film. Les lectures essentielles marquantes restent les textes de Louis-Ferdinand Céline, Jean Genet, Borges, Julio Cortázar, Naguib Mahfouz, Gamal Ghitany, Elias Khoury, Adonis, Mohammed Zefzaf, Mohamed Leftah, Driss Chraïbi, Abdellah Raji’î, Mohammed Bennis, Nazek El Malaïka, Mahmoud Darwich, Badr Chaker Sayyab, Dos Passos, Faulkner. Pour les films, je garde toujours vives les images des films d’Orson Welles, Samuel Fuller, Sam Peckinpah, Sergio Leone, Youssef Chahine, Ahmed Bouanani, Momen Smihi et bien d’autres. Les images ici sont brutes, puisées aux sources des douleurs et des violences. Aujourd’hui, les images sont plus sophistiquées, mais leur impact reste éphémère. 

Parlez –nous de vos projets culturels /Artistiques à venir.

Dans le contexte pandémique actuel, je suis travaillé par la question de la survie et de la mort. Comme tout est devenu hybride, j’essaie de maintenir le lien avec quelques potentialités culturelles et intellectuelles aussi bien vivantes que mortes. Dialoguer avec les morts me rapproche de plus en plus de ce qui est vivant, vital. Il s’agit donc d’une préoccupation philosophique et spirituelle. J’espère la concrétiser dans un texte à venir.

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