Le Nouveau Modèle de Développement : des clarifications nécessaires.

Par Abdeslam Seddiki.

Dans notre précédent article, nous avons abordé la démarche et la méthodologie suivies par la CSMD dans l’élaboration de son rapport faisant actuellement l’objet d’un débat à grande échelle. De même, nous avons rappelé à grands traits les éléments du diagnostic, lequel diagnostic est désormais connu. La CSMD avait le mérite de le présenter sous un angle nouveau en insistant sur les quatre freins au développement.   Avec le même esprit d’une  lecture critique et constructive, nous rentrons dans le vif du sujet en  abordant,  dans le présent article le contenu du NMD tel qu’il a été proposé par la commission.

Que nous propose le rapport ? Il s’agit de parvenir à un « Etat fort et une société forte » capables de relever les défis du Maroc actuels et futurs en résolvant les freins qui bloquent le développement et  en procédant aux réformes nécessaires devant y conduire.  Pour ce faire, la CSMD  plaide pour la création d’un « cadre de confiance  et de responsabilité » à même de libérer les énergies et les  initiatives. Cela  nécessite, aux yeux de la commission : une justice protectrice des libertés et source de sécurité ; une vie publique marquée par la probité et l’exemplarité en matière d’éthique ;  des institutions de gouvernance économique indépendantes et effectives ;  reddition des comptes, évaluation systématique et accès à l’information : une participation citoyenne renforcée, pilier de la démocratie représentative et participative.

 Une fois  la confiance retrouvée et  les énergies libérées,   le pays sera mis  en ordre de combat et de mobilisation générale pour réaliser un vrai changement  prenant la forme  d’une transformation, qui n’est pas sans rappeler  l’œuvre  magistrale de Polanyi sur la « grande transformation », écrite en 1944  au lendemain de la  crise des années  30. Si Polanyi avait démontré,  dans son ouvrage,  la fin du libéralisme basé uniquement sur le marché, on peut supposer que la CSMD signe à travers son rapport la fin d’une ère, celle du néo-libéralisme.  C’est ce qui ressort on ne peut plus clairement des axes stratégiques de la  transformation proposée qui s’appuie sur  le principe de « subsidiarité » entre marché et Etat d’une part et entre Etat central et Etat des territoires d’autre part.

Ainsi, quatre axes de transformation sont proposés : une économie productive, diversifiée, créatrice de valeur ajoutée et d’emplois de qualité ;  un capital humain renforcé et  mieux préparé pour l’avenir ;  des opportunités d’inclusion pour tous et un lien social consolidé ; des territoires durables et résilients, lieux d’ancrage du développement.  Chaque axe est décliné en un certain nombre de « choix stratégiques » qui sont autant de chantiers transformateurs.

De cette conception d’une transformation globale intéressant l’ensemble  des activités et englobant l’ensemble de la société,  on déduit que tous les secteurs passés en revue par la commission sont considérés prioritaires. Toutefois, un traitement à part est réservé à cinq domaines considérés plus prioritaires que les autres pour ainsi dire. Il s’agit du numérique, de l’appareil administratif,  du financement du nouveau modèle, des Marocains du Monde,  et des partenariats internationaux du Maroc.

En attendant la mise en œuvre  effective du NMD sous forme d’un « Nouveau Pacte pour le Développement »,  nous estimons utile de verser dans le  débat quelques  questions qui nécessitent à notre avis des clarifications.

En premier lieu, nous relevons avec regret  l’absence dans le rapport d’une définition du modèle de développement. C’est une omission méthodologique de taille. Elle est    de nature à donner lieu à des malentendus  qui   ne devraient pas avoir lieu normalement si la notion  avait fait l’objet d’une définition.   C’est pour ne  pas avoir cerné cette notion,  que les travaux de la commission ont connu un certain débordement  sur des détails qui n’ont pas leur place dans un « modèle de développement ». Ce dernier est  censé se limiter aux grands choix stratégiques laissant le reste, tout le reste, au programme gouvernemental, qui est l’émanation d’une compétition démocratique entre les  forces politiques. On s’est contenté de définir le développement sans définir le modèle de développement. « La notion de développement est appréhendée, dans le nouveau modèle, comme un processus global et multidimensionnel, qui va au-delà du seul objectif d’accumulation des richesses matérielles. Le développement est entendu comme une dynamique vertueuse de création de richesse et de développement humain, qui bénéficie à tous les citoyens et qui tient compte de l’impératif de valoriser et de préserver les ressources pour les générations futures » (p.48) 

En outre, en rentrant dans les détails,  la commission s’est exposée  aux critiques éventuelles. Tel est le cas, à titre d’exemple, de l’évolution  des indicateurs  de performance entre 2019 et 2035. On ne sait pas sur quelle base ces estimations ont été effectuées. De même, nous considérons que le traitement   réservé à la réforme fiscale est  resté timide : les gains qui seraient réalisés  à la suite  de certaines mesures fiscales  préconisées comme l’élargissement de l’assiette et l’imposition  du patrimoine non productif sont estimés à 2-3 % du PIB alors que d’autres travaux les estiment à 7 %.  Une différence de taille. Nous pensons qu’une réforme fiscale audacieuse serait susceptible de   dégager pas moins de 10 % du PIB.  Une somme aussi consistante est  largement suffisante  pour financer le NMD au lieu de miser, comme le fait la  commission, sur  un recours excessif   à l’endettement qui a déjà atteint, faut-il le rappeler, un seuil critique.

Dernière question et non des moindres,  est relative à « l’exclusion » des personnes  ayant une appartenance politique de l’appareil  administratif. « Pour gagner en efficacité, l’appareil administratif doit demeurer non partisan, ses prérogatives doivent être clairement délimitées, séparant le niveau stratégique et le niveau des politiques publiques qui relèvent du champ politique, le niveau de régulation qui est du ressort de l’administration permanente et le niveau opérationnel de mise en œuvre et de suivi qui relèvent d’acteurs publics ou privés actifs sur le territoire » (p.153). Cette  méfiance à l’égard  des « partisans » relève d’un préjugé, voire d’une discrimination   qui est prohibée  par la  Constitution. Celle-ci  stipule expressément l’égalité des citoyens en matière des droits et obligations. L’essentiel est de rendre effective la reddition des comptes  et que personne ne puisse se mettre au-dessus  de la loi.

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