Entretien avec Mohamed Laroussi
Réputé pour ses jeux de mots, cette fois-ci, l’auteur n’a pas besoin de mots pour jauger sa capacité à jongler avec les expressions. Sa dernière œuvre « Dar Mima », un roman-récit considéré comme exceptionnel pour Mohamed Laroussi qui redonne vie à tout ce qui s’est passé entre les murs d’un foyer, d’une grande maison, d’une famille nombreuse …
Paru aux éditions ONZE, le livre relate une partie de la vie de l’auteur, l’histoire de ses parents et des souvenirs émouvants qui ont marqué son enfance et sa jeunesse. En outre, et en tant que membre de « Commission du Fonds d’aide à la production des œuvres cinématographiques », notre chroniqueur nous livre ses points de vue sur la production ‘’Télé’’, ‘’ciné’’ et la Pub, qui, franchement, laissent toujours à désirer.
Explicatioins.
Entretien réalisé par Abdeslam Khatib
- Relatant les péripéties de « Dar Mima », Est-ce que la personnalité de ta chère maman était un élément d’inspiration pour que cette œuvre ait un succès palpitant ?
C’est sûr, mais elle n’est pas la seule. D’ailleurs, quand j’ai commencé à écrire cet ouvrage, c’est mon père, paix à son âme, qui m’est venu à l’esprit, et c’est d’abord avec son histoire, son enfance et son parcours, que le livre démarre. Ce n’est pas moi qui l’ai décidé, mais c’est arrivé très spontanément. En fin de compte, quand je réfléchis, il était tout à fait normal que ce soit papa qui « ouvre le bal », car, jusqu’à son décès, c’est lui qui a toujours été le patron de cette maison et de toute la famille.
Comme je le raconte dans le préambule de mon livre, ce projet d’écriture en hommage à ma famille et à mes parents, je le porte en moi depuis la mort de mon père, il y a près de 30 ans. Justement, le premier projet que je devais écrire, après le décès de mon père, à la fin de l’année 92, devait avoir comme titre « Dar Ba Sidi », parce que c’est comme cela que tout le monde appelait la maison familiale.
Ceci étant précisé, je dois reconnaître que c’est le décès de ma défunte mère qui a été l’élément déclencheur de la décision d’écrire « Dar Mima », que j’ai entamé moins d’un mois après sa disparition. Et tout naturellement, sa présence dans cet ouvrage est conséquente, eu égard à l’affection particulière que je lui portais et qu’elle me portait.
- Peut-on s’attendre à des nouveautés du même genre avec des anecdotes vécues, ou allez-vous vous lancer dans un autre style d’écriture ?
Pour l’instant, je ne le pense pas, pour plusieurs raisons, dont la principale c’est que cette œuvre m’a littéralement marqué et me marquera à vie. Même si l’écriture de ce livre a été une vraie thérapie pour moi – car après le décès de ma mère, j’ai été au bord de la dépression – c’était très fatigant, physiquement et intellectuellement.
Peut-être, plus tard, j’écrirai la suite de ce livre dans lequel je raconterais d’autres anecdotes familiales. Et il y en a tellement …
En attendant, je travaille à la finalisation d’un recueil de mini-nouvelles, et j’ai entamé l’écriture d’un roman … et plein d’autres projets.
- Pour changer de registre, parlez-nous de la Commission dont vous avez fait partie plusieurs fois, de son rôle etc.
Contribue-t-elle vraiment à hisser le niveau de la production cinématographique, ou encore à encourager les créateurs et autres réalisateurs du 7ème art ?
La réponse à cette question risque de me fâcher avec le peu d’ami(e)s que j’ai encore dans ce secteur, mais tant pis (rires). Je vais essayer de répondre quand même en essayant d’être le plus objectif possible.
D’abord, l’existence de cette commission est un immense acquis, et je ne cesse de le répéter aux professionnels du cinéma, tout en attirant leur attention que cet acquis pourrait être, à n’importe quel moment, remis en cause par les pouvoirs publics, si jamais il y a trop de dérives. Et les dérives, il y en eu, et il y en a encore, beaucoup.
Je dois rappeler que la commission s’appelle depuis le début « Commission du Fonds d’aide à la production des œuvres cinématographiques », et les aides étaient accordées aux producteurs sans aucune contrepartie, à « fonds perdus ». Or, depuis déjà plusieurs années, il y a un changement important car cette commission accorde désormais « des avances sur recettes », alors que très peu de ces avances sont remboursées à l’État, et cela pose un grand problème, à la fois juridique et éthique.
Pour répondre plus précisément à votre question, je dois dire que cette commission, malgré ses failles qu’il va falloir corriger, a permis, malgré tout, à produire un très grand nombre d’œuvres cinématographiques. Pour vous donner une idée, ce fonds dispose d’une cagnotte qui s’élève annuellement à 60 millions de dirhams – sans compter un fonds supplémentaire destiné à la production d’œuvres pour la promotion de la langue et la culture Hassanies. Ce fonds permet de réaliser, chaque année, bon an mal an, entre 25 à 30 films de long-métrage de fiction, etun grand nombre de films de court-métrage et de documentaires.
Je dois signaler également l’existence d’autres fonds importants pour la subvention des festivals et pour la numérisation des salles de cinéma.
Cela dit, si l’évolution de la quantité de la production est indéniable, celle de la qualité n’est pas souvent au rendez-vous. Et c’est là que le bât blesse.
Je dois dire honnêtement qu’à travers ce fonds, l’État joue merveilleusement son rôle, mais il ne peut pas prendre la place des cinéastes et des créateurs et améliorer la qualité des œuvres qu’il contribue très majoritairement à produire. En effet, de l’avis de tous, plus de 90 % des films qui sont produits au Maroc sont le fait de l’Etat, justement, à travers ce fonds. C’est bien, c’est même très bien, mais attention au retour de manivelle !!!
Je le répète encore une fois : si jamais les abus de tout genre de certains producteurs et de certains cinéastes par rapport à l’utilisation de ces subventions continuent de cette manière, il y a un grand risque de tuer … la poule aux œufs d’or.
- Quel est votre point de vue ou avis sur la programmation ramadanesque au niveau des chaînes de télévision nationales ? Idem pour les capsules publicitaires ?
C’est une question classique, mais je vais y répondre quand même, même si j’ai déjà eu l’occasion, à de nombreuses reprises, de traiter ce sujet à travers mes chroniques et autres écrits.
Tout d’abord, j’ai beau admettre que le mois de ramadan soit un mois « spécial », différent des autres mois, je n’ai jamais compris pourquoi on a décrété qu’il faut nous servir chaque soir, avec notre harira et chabakia quotidiennes, tous ces programmes faits à la va vite pour la plupart, et qui sont souvent insipides et sans saveur ? Et puis qui a décidé qu’il faut attendre le mois de ramadan pour nous faire rire …. de force ?
J’ai l’impression qu’on veut profiter du fait que nous soyons réunis, ensemble, chacun et chacune avec nos familles respectives, pour nous infliger ces punitions. Qu’est-ce qu’on a fait pour mériter un tel traitement ?
C’est vrai que tout n’est pas mauvais, mais tout n’est pas bon non plus. Connaissant les conditions dans lesquelles ces programmes sont conçus et produits, et malgré les moyens gigantesques qui sont mis à la disposition des producteurs, le résultat ne peut pas être autre que celui-là.
Bien sûr, on pourrait me rétorquer que le public suit cela en masse, et que les études d’audience le prouvent, mais je dirai que d’abord, subir ne va pas dire suivre, et ensuite que ce public a tellement été formaté à de tels programmes qu’il en est devenu addict. A mon avis, si on réagit pas dans le bon sens, on risque de se retrouver avec un public « satisfait », certes, mais … stupide.
Je n’en dirai pas plus.
Un dernier mot sur la pub. Je suis un ancien de ce secteur, et je ne vais donc pas critiquer la pub ni remettre en cause son utilité. Néanmoins, je ne suis pas sûr que son efficacité soit garantie lorsqu’on en met trop, notamment au moment de la rupture du jeûne. Je ne suis pas sûr non plus qu’il y ait des études dans ce sens, mais je sais que les annonceurs sont souvent contents parce que le ramadan est la seule période où ils ont l’occasion de se retrouver chez eux, en face de leur télé, au moment du passage de leur pub.
Oups ! Je crois que j’en ai trop dit (rires)
- Pour finir en beauté, quel est votre cri de cœur ?
Pour rester dans ce même mood, mon cri de cœur pourrait être celui-ci : vivement une meilleure moralisation de notre comportement et une plus grande éthique dans nos pratiques, qu’elles soient sociales, professionnelles ou autres. Ce n’est que comme cela que nous pourrions espérer hisser notre pays et donc notre peuple, aux niveaux qu’ils méritent. Amen.
Légende :
Mohamed Laroussi, chroniqueur, écrivain et scénariste s’entretenant avec Abdeslam Khatib, journaliste et critique d’Art