Iran
Allié d’une Russie en guerre, organisateur d’une répression sanglante en interne, Etat se rapprochant du seuil nucléaire: l’Iran pose plus que jamais une équation insoluble aux Occidentaux, qui sanctionnent Téhéran mais ne peuvent aller jusqu’à la rupture.
« On se trouve dans une situation délicate et une impasse claire », euphémisait jeudi une source diplomatique française avant une réunion à huis-clos du Conseil de sécurité de l’ONU sur le dossier des drones iraniens en Ukraine.
« Il faut qu’on se coordonne entre alliés pour envisager les prochaines étapes », ajoutait-elle, admettant en creux l’impuissance occidentale à adopter une stratégie claire face à l’extraordinaire complexité de la question iranienne.
L’implication croissante de Téhéran dans la guerre en Ukraine inquiète.
La fourniture de drones à la Russie, éventuellement de missiles et d’instructeurs, selon des médias anglo-saxons, témoignent d’un renforcement inédit de l’axe russo-iranien.
« On est passé d’un partenariat tactique à une relation stratégique », explique Ali Vaez, directeur du projet Iran au sein de l’International Crisis Group.
En échange de ses drones – Moscou aurait commandé 2.400 Shahed-136 et Shahed-131, selon le président ukrainien Volodymyr Zelensky – l’Iran espère moderniser ses équipements militaires et accéder aux chasseurs SU-35 et systèmes anti-missiles S-400 de la Russie, selon plusieurs spécialistes.
Le gouvernement iranien dément avoir livré ses drones kamikaze à Moscou, mais les Etats-Unis et l’Union européenne affirment avoir « suffisamment de preuves ».
La situation est jugée très dangereuse par des diplomates européens, convenant qu’il est impossible de ne pas prendre de nouvelles sanctions mais réellement inquiets d’une escalade.
« Le gouvernement iranien nie la livraison d’armes pour limiter les dégâts vis à vis de l’Occident », mais le guide suprême Ali Khamenei et les Gardiens de la Révolution assument « à mots couverts », explique Clément Therme, chercheur à l’Institut international d’études iraniennes.
Il évoque notamment une déclaration jeudi d’Ali Khamenei, ironisant sur ceux qui ne croyaient pas en l’existence des drones iraniens il y a quelques années.
L’axe Moscou-Téhéran a également des bases idéologiques : « ce sont deux pays sanctionnés et unis par leur haine de l’Occident », souligne le chercheur Farid Vahid, de la Fondation Jean Jaures.
« Il y a historiquement beaucoup de méfiance entre Russes et Iraniens, ils ne se portent pas dans leur coeur. Mais aujourd’hui la République islamique fait le pari d’un nouvel ordre mondial et de la fin de la domination de l’Occident. C’est très idéologique, ca ne correspond pas du tout aux aspirations de la société iranienne, mais c’est une réalité », déclare-t-il.
L’Iran est secoué par une contestation populaire inédite depuis plusieurs années après la mort le 16 septembre de Mahsa Amini, décédée après son arrestation par la police des moeurs.
La violente répression du régime a fait plus de 100 morts et provoqué l’indignation internationale, ainsi que des sanctions.
Pour Farid Vahid, « la répression sanglante d’une part, et le rapprochement Téhéran-Moscou de l’autre, posent un problème très sérieux aux Occidentaux », qui tentaient depuis plus d’un an de relancer le JCPOA, l’accord nucléaire conclu en 2015 entre les grandes puissances et Téhéran.
Cet accord visant à empêcher l’Iran de se doter de l’arme atomique en échange d’une levée des sanctions internationales est en déliquescence depuis le retrait unilatéral en 2018 des Etats-Unis de Donald Trump, qui a entraîné l’affranchissement progressif par Téhéran de ses obligations.
Les négociations, déjà dans l’impasse, semblent aujourd’hui impossibles.
« Aujourd’hui il est totalement inimaginable de voir un responsable américain et un responsable iranien signer un accord », estime Farid Vahid.
« L’Iran est véritablement devenu infréquentable, et les Russes, qui ont accès au sommet de l’Etat iranien, ne sont plus interessés à aider les Américains à revenir dans le JCPOA », renchérit Clément Therme, pour qui « la diplomatie est vouée à l’échec ».
Mais personne n’ose acter la mort du JCPOA et des négociations.
« L’Occident n’a pas de bonnes options », le choix se portant entre « un régime répressif assassinant son peuple et le même régime doté de l’arme nucléaire », résume Ali Vaez.
L’impuissance occidentale se reflète à l’ONU.
La fourniture de drones iraniens est une violation de la résolution 2231 approuvant le JCPOA, estiment les Américains et les Européens. Pour autant, la procédure dite de « snapback », le rétablissement de sanctions, « n’est pas encore sur la table », indique la source diplomatique française.
« Si on accepte la mort du JCPOA, qu’est-ce qu’on fait ? Personne n’a de plan B et personne n’a envie de se lancer dans une nouvelle aventure militaire au Moyen Orient », résume Farid Vahid.
Quant à l’hypothèse d’un changement de régime à Téhéran, « personne n’est naïf et ne veut parier là-dessus. Même si le mouvement actuel portera ses fruits, ce ne sera pas avant plusieurs années », estime une source proche du dossier.