Le discours politique à l’ère des avvisis numériques …

Point de vue

Par Mustapha Elouizi

Ce fut d’abord des scribes et colporteurs de courriers, à pied ou à cheval ; vinrent ensuite les pigeons voyageurs porteurs de messages des rois et empereurs. La Grèce antique trouva, en plus de tout cela, un autre moyen de communication politique à savoir l’expression directe entre les politiques et le public, dans l’agora.

L’objectif étant de s’exprimer, délibérer, convaincre et persuader. La parole était vive, chaude et spontanée, ou presque. L’oralité permettait certaines modalités d’énonciation, mais aussi de présence politique, telles l’élocution, l’éloquence, la rhétorique… Le débit, l’accent, le rythme et la prosodie avaient aussi leur force et leur importance. Le mode présentiel du politique pesait de son poids sur le quoi dire, certes, mais aussi sur le comment dire et sur les ingrédients nécessaires pour mieux porter et transmettre aussi bien le dire que le message du dire.

Ceci devait continuer avec plus ou moins de consistance, depuis les Chinois jusqu’à cette révolution copernicienne qui a fait date, à savoir l’invention de l’imprimerie avec Gutenberg, il y a six siècles de cela. La presse changea ce mode présentiel par un discours rapporté dans lequel le politique n’était plus en contact immédiat avec son public potentiel. Le relais était devenu support et le discours s’en trouva, ipso facto, modifié, altéré et parfois même dénaturé. Jadis, le politique tenait son discours et l’assumait in praesentia, choisissait l’information qu’il voulait transmettre et omettait celle qui mettrait son pouvoir en danger. La presse a changé la donne, puisqu’elle s’érige en « vendeur » d’informations publiques, au service du grand public.

Si hier, le décideur politique détenait seul le pouvoir de divulguer ou de taire une information, les médias étaient entrés en concurrence et tentaient, autant que faire se peut, d’apporter cette information à caractère politique, dans le cadre d’un service citoyen qui remplit l’une des conditions de la démocratie. Le politique, n’ayant pas la même définition du mot « informer », canardait la sphère publique de « fake news » à même de conforter sa position ; dirait Jacque Attali.

Certes, cette fois-ci, il ne reste du discours politique que ce que le journaliste ou les propriétaires de l’organe de diffusion choisissent de garder. Absent, le politique est désormais mis sur scène par l’intermédiaire de son discours narré et rapporté, à la faveur de genres journalistiques divers (entretien, reportage, informations, comptes rendus, portraits…).  Tenu à la base par un décideur public ou une instance politique, le discours politique médiatisé n’est pas moins l’œuvre de ce journaliste traitant l’information. Un traitement qui s’érige en pouvoir de mise en récit, de mise en relief, de pouvoir d’altération. Dès lors, le trajet parcouru par le discours politique, depuis sa source arrivant au public via une reformulation technologique ou textuelle, attire l’attention et stimule la curiosité des chercheurs.

Avec la gazette, les libelles, les pamphlets, les chroniques…, le politique, agissant in absentia, avait besoin d’être présenté, par un relais/média. Mais avec l’invention de la radio et celle de la télévision, il allait trouver le moyen propice pour redorer son blason, avec sa voix et son image directe ou différée. Sa présence, en tant que voix ou devant les caméras et sur des plateaux en pleine action lui donna plus de force et de consistance. Mais, les facteurs du timing, de la place qui lui est accordée dans le studio, les techniques de montage, du plan de prise de vues, de la position de la caméra et des interruptions itératives du journaliste sur place limitèrent cette omniprésence et amenuisèrent ses ambitions politiques. Que reste-il donc de son discours, sinon ce que le médium lui permet d’émettre, comme le signale à juste raison Pierre Bourdieu ?

A l’heure du numérique, la télé, la radio ou encore la presse écrite perdent de plus en plus de terrain, et le discours politique cherche désespérément à mettre à profit ces nouvelles technologies, sachant comme le dit Marshal Mc Luhan que le « medium est le message ». Il tente de s’adapter aux nouveaux supports, leurs avantages et points forts. Pour le politique, estime Jacques Attali, « un outil de communication est avant tout une source de pouvoir » (16-2023), mais également de profit pour les propriétaires. Ceci explique cela, lorsque les politiques n’arrivent plus à mettre la main sur les organes de presse, ils s’y lient par des rapports financiers directs ou indirects. Une garantie pour que leur discours soit distillé de manière fluide et naturelle, avec tous les ornements possibles : cas de l’ex-président des Etats-Unis Donald Trump avec la chaîne de télévision américaine Fox news.

Les politiques avaient certes toujours trouvé dans l’espace médiatique, l’opportunité de faire leur communication en public. Les rapports entre les deux agendas politique et médiatique sont de différentes natures, cela va sans dire, mais semblent également se lier d’une association concordante, sinon complice. A l’aune du numérique, le discours politique prend une autre présence, une autre dimension, une autre nature. En fait, ce n’est pas simplement un changement de forme, mais un changement d’essence politique. La politique comme définie dans tous les manuels des facultés de droit n’est plus. Régis Debray parl, lui, de la mort de la politique.

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