Le projet de loi organique N°26.16 définissant le processus de mise en œuvre du caractère officiel de l’amazighe, ainsi que les modalités de son intégration dans l’enseignement et dans les domaines prioritaires de la vie publique et qui est actuellement à la chambre des Représentants, suscite des débats au sein des associations de amazighes. De même, le projet de loi organique relatif au Conseil national des langues et de la culture marocaine (CNLCM) alimente les polémiques et les débats. En effet, il y a quelques jours, l’Association l’Université d’été d’Agadir, qui a tenu sa 13e édition sous le thème «Amazighité, valeurs sociétales et le vivre ensemble», a évoqué dans le communiqué de clôture de ses travaux, «son rejet de la version actuelle de la loi organique relative à la mise en œuvre du statut officiel de l’amazighe et la loi organique relative au Conseil national des langues et de la culture marocaines». Une position qui ne date pas d’aujourd’hui.
Les raisons d’un rejet…
C’est depuis 2012, nous explique l’activiste et chercheur amazigh Ahmed Assid dans une interview, que le tissu associatif a préparé sa proposition de loi. Il a organisé presque 14 rencontres nationales à travers tout le pays en 2012. Celles-ci ont abouti à des plateformes, des propositions de loi et des visions claires pour une loi organique pouvant garantir une mise en œuvre du statut officiel de la langue qui va, d’après lui, dans le sens même des engagements de l’Etat. «Malheureusement, le gouvernement n’a pas pris en considération tous les efforts qui ont été déployés par les associations. Il n’a même pas fait attention au débat public qui n’a jamais arrêté dans ce sens», indique-t-il. Et d’ajouter, «Lorsque nous avons livré ces propositions de lois, on les a rejetées ! Nous avons organisé des colloques, des conférences de presse à l’époque pour rappeler nos revendications. Nous avons créé l’initiative civile pour la mise en œuvre du statut officiel de la langue amazighe», souligne-t-il.
Cette initiative est composée, d’après lui, de 800 associations. Parmi ces associations, figure le tissu associatif amazigh, les organisations du mouvement féministe marocain et les organisations des droits humains, explique-t-il. «C’est pour la première fois qu’une telle coalition entre les trois mouvements a pu avoir lieu», se réjouit-il. «C’est tout un travail ardu qui a été fait sur ces deux lois. Nous avons commencé par le préambule jusqu’au dernier chapitre. Nous avons proposé des rectifications pour ces lois. Nous avons détaillé nos observations, nos remarques. Nous avons proposé le texte rectifié, c’est à dire l’alternative. Nous avons sorti un petit bouquin que nous avons distribué à tous les partis politiques, notamment aux groupes parlementaires et membres de commissions. Nous nous sommes mis d’accord avec les parlementaires pour organiser une journée d’étude au sein du parlement sur cette question-là», a-t-il fait savoir.
Quid des revendications?
«Tout d’abord, nous considérons que ces lois n’ont pas pris en considération le contenu de l’article 5 de la constitution. Celui-ci dispose que la loi relative à la mise en œuvre du statut officiel de la langue doit déterminer les étapes et les modalités de l’intégration de la langue amazighe dans tous les secteurs de la vie publique, notamment dans l’enseignement. Cet aspect n’est pas pris en compte dans cette loi. En effet, rien n’a été déterminé. Ils n’ont fait que déterminer des étapes, pas les modalités», explique Ahmed Assid. «Comment va-t-on intégrer l’Amazigh à l’école ? Cette langue est-elle facultative, obligatoire ? Va t-elle être généralisée horizontalement ou verticalement ?», s’interroge-t-il. Selon Assid, l’amazigh a accumulé des acquis importants qui doivent être renforcés. «Cette loi porte atteinte à nos acquis depuis 2003», affirme t-il.
L’activiste amazigh s’arrête sur une deuxième loi, celle du Conseil national des langues. D’après lui, «elle n’a pas pris en considération le fait que l’Institut Royal de la Culture Amazighe (IRCAM) est devenu un cadre référentiel sur le plan maghrébin, à savoir que les Libyens, les Tunisiens, les Maliens, les Algériens aujourd’hui s’orientent vers l’IRCAM au Maroc. Donc, nous sommes devenus, poursuit-il, la référence de l’amazigh en Afrique du Nord».
Quel avenir pour l’IRCAM après la création du CNLCM?
En effet, l’IRCAM n’existera pas en tant qu’institution autonome après l’entrée en action du Conseil national des langues et de la culture marocaine CNLCM, mais en tant qu’instance rattachée au CNLCM. «Ils ont fondu l’IRCAM dans le Conseil. Ils n’ont même pas reconnu l’IRCAM qui est une institution indépendante et autonome sur le plan financier comme sur le plan administratif. L’académie de la langue arabe et l’IRCAM sont des institutions qui sont là et qui doivent rester autonomes, mais représentées dans le Conseil et non pas fondues dans le Conseil», indique-t-il. Et d’ajouter : «l’article 50 de cette loi dispose que tout ce que possède l’IRCAM reviendra au Conseil des langues, c’est-à-dire que l’IRCAM n’existera plus. Il va devenir une petite direction sous la tutelle du Conseil national des langues. Ce n’est pas ce qui est mentionné dans la Constitution», conclut-il.
Mohamed Nait Youssef