S’asseoir sur un fauteuil en pneus, se mirer dans une glace en pneus, mettre ses courses dans un sac à base de vieilles roues ou encore porter une ceinture à base de caoutchouc usagé… Cette «illusion», «Upcyclemo» la matérialise à travers la technique du recyclage. Depuis 5 ans, la jeune coopérative ramasse de vieux pneus dans les garages et ferrailles au Maroc et les recycle pour en faire des objets utilisés au quotidien dans la décoration d’intérieur. Un mélange de techniques, de touche artistique et de dextérité qui conquiert aisément les cœurs et qui n’a pas manqué de séduire les participants au 2e Sommet Climate Chance organisée du 11 au 13 septembre à Agadir.
Il est 18h, ce lundi. Le stand d’Upcyclemo est pris d’assaut par des curieux. Le jeune fondateur de la coopérative, Mohamed Khattou, accompagné de son assistante, s’affaire pour accueillir visiteurs et admirateurs tombés sous le charme des créations de la coopérative. Situé parmi les stands de plusieurs institutions, de programmes de développement, le stand du jeune entrepreneur originaire de Tiznit ne peine pas à se distinguer. Certains visiteurs subsahariens, qui s’y arrêtent, subjugués par son travail, n’hésitent pas à lui proposer de le représenter dans leurs pays. «Le concept est assez innovant. Au Mali, je connais des artisans qui seraient intéressés pour exposer et commercialiser tes créations», lance un visiteur d’Afrique subsaharienne.
Né de la fusion entre «Upcycling» et Mohammed, «Upcyclemo» est, selon son fondateur, un concept qui défend la nature et l’environnement depuis cinq ans. Dans son stand, il expose des tables confectionnées à base de bois et recouvertes de couches de pneus aux motifs divers au moyen de clous. Des miroirs, horloges, manges debout, fauteuils, le tout, soit fabriqué à base de pneus ou recouverts de couches de pneus traitées, embellissent également le stand. Le spécialiste du recyclage des pneus réalise en outre des bureaux, des sommiers pour lits, des têtes de lits, chevets, des transats…
En effet, la création des articles à partir des pneus suit un long process, nous confie Mohamed. «On traite d’abord les pneus et on les pouliches. Puis, on les dépiaute en séparant les couches, selon le modèle créé. Ensuite, on confectionne les objets en leur donnant des formes et des mesures précises. On cloute l’ensemble ou on coud, cela dépend des modèles», explique-t-il. Au quotidien, le jeune entrepreneur travaille en plein temps avec une équipe de 7 personnes qu’il a formée dans son atelier et au besoin, emploie des gens sur la demande. Pour les pièces nécessitant une structure en bois, la coopérative fait appel à des menuisiers qui s’en chargent et s’occupe uniquement du revêtement à base des pneus.
La collecte des pneus, Mohamed ne s’en charge pas personnellement. Il la confie à des ramasseurs qu’il paie à la tâche. Ces derniers sont chargés de ramasser des pneus spécifiques : ceux des vélos, notamment auprès des réparateurs des vélos ou à la ferraille. «Je n’utilise pas les pneus des bus», souligne-t-il. Pour ses créations, le jeune entrepreneur emploie également les pneus des poids lourds dont ils se procurent dans un marché d’Inezgane. «Pour les pneus de poids lourds, je me suis orienté vers les gens qui fabriquent les sceaux de hammam. Ces gens-là font un recyclage spécifique de ces pneus grâce à une technique de décuretage, da séparation de couches après couches», souligne-t-il. Les pneus usagés n’étant pas gratuits au Maroc contrairement à d’autres pays, pour la réalisation de ses créations, Mohamed se les procure pour 10 000 voire 20 000 dhs pour un mois.
Pour masquer l’odeur des pneus dans ses créations, ceux-ci sont lavés avec un détergent. Ensuite, ils sont débarrassés des graisses et impuretés. Ils sont enfin recouverts d’un produit utilisé pour donner de la brillance au cuir.
La commercialisation, un défi
Pour la commercialisation de ses objets, dont le prix varie entre 25 DH et 2000 Dh, Upcyclome travaille avec des boutiques, notamment une boutique au Maroc et deux en France à qui il propose des prix préférentiels, des prix fournisseurs. Si la coopérative n’a qu’une boutique avec qui elle travaille au Maroc, c’est parce que plusieurs boutiques lui proposent un système dépôt-vente auquel elle n’adhère pas. «Il y’a beaucoup de boutiques au Maroc, qui voudraient bien prendre les produits et faire un dépôt vente. Ça ne m’arrange pas, car c’est de l’argent bloqué pour moi, sachant que je suis dans une coopérative et je dois payer le personnel. Mon travail demande énormément d’argent. Je préfère qu’ils prennent des tarifs préférentiels, même s’il ne s’agit que deux articles», déclare t’il.
Ne disposant que d’un point de vente au Maroc, Upcyclome, à travers son fondateur, ambitionne aujourd’hui de développer sa production dans d’autres villes du Maroc, notamment Rabat et Casablanca. La coopérative envisage exporter son concept à l’international, notamment en Afrique. «J’ai en effet pris conscience que mon activité créative entrait pleinement dans la préoccupation planétaire de sauvegarde de notre terre mère. Tous les échanges que j’ai pu avoir avec les personnes étrangères qui ont visité mon showroom, ont forgé ma conviction de me développer à l’international», déclare-t-il.
La passion du pneu recyclé
C’est en 2012 que commence l’aventure. Après avoir travaillé dans le secteur du tourisme, Mohamed Khattou est à la quête de sa passion. C’est alors qu’il fait la rencontre d’un architecte d’intérieur avec qui il travaille en tant qu’assistant. Une passion nait. Mohamed Khattou est contraint de quitter son poste pour des raisons familiales et passe 5 mois au chômage. Travaillant un jour avec son frère pour débarrasser le garage familial, il tombe sur des pneus de vélos, motos et voitures. «Quand on a vu ces pneus, on a voulu en faire quelque chose, au lieu de les brûler. J’ai donc proposé à mon frère de les utiliser pour revêtir les parois d’une table dans la maison familiale», confie-t-il. Ce sera le déclic. Par la suite, des Européens de passage chez lui verront la table recouverte de pneus et subjugués par la créativité du jeune homme, l’encourageront à développer davantage le concept. «Après cette table, nous avons créé des miroirs, des cadrages des tableaux…», explique-t-il.
Au-delà d’une simple passion, pour Mohamed Khattou, son approche du pneu, qu’il considère comme un «matériau ingrat», «doit rendre palpable pour beaucoup, la dimension esthétique du recyclage». «L’impact que pourrait avoir le développement que je souhaite pour mon activité me permettrait de sublimer le recyclage des pneus usagés au sein des arts décoratifs», conclut-il.
Danielle Engolo