Rédouane Taouil
De quel nom est-il cet homme dont la nouvelle de la disparition donne à revoir en esprit sa stature rayonnante dans la cour et les classes du lycée Mohammed V de Casablanca que peuplaient des rêves de lendemains luisants? Quiconque a tant soit peu connu ou entendu parler de cet artisan de l’école publique est frappé par le dévouement qui était le sien à la cause de l’éducation comme perle de la richesse de la nation, son attachement à la promotion de la citoyenneté et de la justice sociale, et par sa probité, toujours souveraine, à force d’humanité face à l’arrogance du bousculement de l’intérêt collectif.
Enseignant, inspecteur ou recteur, il fut un veilleur assidu des songes nourris par les élèves et leurs familles. Ces songes qui, pareils à une rumeur, s’épandent dans le Maroc de la lune pourpre sont portés par des maîtres attachés à insuffler consciencieusement, parfois sévèrement, le bonheur de percer les secrets des règles de grammaire, d’apprendre par cœur moult vers, d’apprivoiser le mystère des équations. La radio est partie prenante de cette œuvre. Par les chansons, les émissions artistiques ou littéraires ou les journaux d’information ou revues de presse, elle est une maîtresse à domicile qui apprend, avec saveur et rigueur, à écouter et à comprendre, à lire et à écrire, à se cultiver et à rire. Les odes de la poésie arabe, des trésors de la littérature universelle, les «mille et une nuits» et même «La cantatrice chauve» d’Eugène Ionesco ruissellent sur les ondes.
Sans bruit ni fureur, cette figure, humble et discrète, est un lutteur inlassable qui ne laisse pas les déboires ou les défaites vaincre son espoir dans l’espoir social. Bâtir les conditions d’exercice de la citoyenneté est le maître-mot du dessein collectif qu’il épousa sa vie durant.
Vivre dans la cité appelle, à ses yeux, à la participation à sa construction à travers l’engagement pour le bien commun. Pareil engagement – aimait-il à répéter- est indissociable de la conjugaison des droits civils, politiques et sociaux. Cette triple dimension de la citoyenneté, qui exprime l’adhésion aux libertés réelles comme principe cardinal, détermine la qualité de citoyen à travers l’accès à l’éducation, à la santé et à un niveau de vie décent.
Ces droits sont des créances sur l’Etat qui conditionnent l’exercice des libertés de base. C’est cette conception qui anime l’insertion dans la vie publique de cet homme qui tient le sacrifice pour une valeur d’appel au souci d’autrui. «Nous nous donnerons/puisque rien ne sera donné», profère Mohamed Khair Eddine. Ces vers semblent être la maxime de Gharbi, ce militant qui est resté fidèle à l’idée qu’il s’est forgée de «l’être ensemble». Sous cet angle, il est noblement un camarade définitif. Il n’était pas à l’aise dans ce monde où la citoyenneté est malmenée par la montée du goût du lucre et l’effritement du souci de la cité. Il faisait ainsi de la probité une ligne de conduite qui ne doit pas être déplacée si l’on veut conserver l’horizon du désir de justice et le vœu de «vraie vie» de Rimbaud contracté à l’école publique.