Par Abdelhak Najib*
C’est la grande question de la semaine. Quand faut-il arrêter de boire de l’alcool avant ramadan? Si j’en crois, mon acolyte du jour, «il faut arrêter de picoler au moins 40 jours avant d’entrer dans le recueillement du mois sacré?» A la question : «pourquoi exactement 40 jours?» Il ne le sait pas.
Mais c’est comme ça, dit-il, fier de son savoir ancestral. Pour mon ami: « tout ceci est une énorme supercherie doublée d’une grande hypocrisie où tout le monde est complice avec tout le monde. On boit du vin et autres spiritueux toute l’année, dans un pays où personne n’est censée toucher à l’alcool, puis quand arrive ramadan, c’est le grand débat, le déballage des théories sur la bibine devant le Seigneur.
On arrête quand ? Il faut arrêter graduellement ? Il faut boire, mais avec modération jusqu’à la veille du ramadan ? Non, c’est 40 jours ? Non c’est trois mois avant?… Je pense que nous sommes tous une bande de nazes qui racontons n’importe quoi puisque nous voulons faire entrer la religion dans un sujet qui est clair à la base : pas d’alcool pour un musulman dans un pays musulman, point barre.
Et je ne suis ni pratiquant, ni zélote, ni prêcheur du vendredi encore moins religieux, je veux juste, mon ami, te souligner qu’il y en a assez de cette hypocrisie à deux sous. Et n’oublie pas que ça ne va pas être de la tarte avec le coronavirus et le confinement. Tu peux me dire comment, les gens vont pouvoir rester chez eux, en jeûnant, ne pouvant ni sortir avant L’ftour et surtout après? Et ceux qui passaient toute la nuit dans les mosquées, comment vont-ils s’y prendre? Un Marocain, tapi chez lui durant trente jours de jeûne, je veux bien voir ça? Il faudra la mettre dans le livre des records, c’est moi qui te le dis.» Là, mon pote marque un point.
A y voir de plus près, ça va être très dur. C’est la première fois dans l’histoire du ramadan, que les Marocains doivent le vivre en adoptant d’autres comportements. C’est-à-dire, pas de café le soir, pas de joints, pas de cannabis, pas de prostituées, pas de chicha, pas de mosquées, pas de balades sur la corniche, pas de flirts dans les jardins, pas de rassemblement, pas de fête jusqu’à l’appel de la prière de l’aube. Bref, tout doit changer et le Marocain avec. Et puis sur cette histoire de l’usage des spiritueux et d’autres drogues, mon ami a raison, c’est quoi cette mascarade? On autorise la vente d’alcool toute l’année partout, les bars sont ouverts et sont pleins à craquer de Marocains et de musulmans et si tu as la malchance de tomber, tu raques pour soulographie notoire.
Pire, quand tu vas à la superette acheter tes bières, ton whisky, ton tord-boyaux, on te le vend, on ne te demande jamais si tu es musulman, marocain, «majoussi» ou moine tibétain. On empoche l’oseille, on te met le tout dans un sac noir qui sent le pétrole de mauvaise qualité et tout le monde il est content, tout le monde il va boire comme un grand. Mais quand approche ramadan ou une quelconque fête, il faut fermer, sept jours, non trois jours avant, il faut arrêter de boire, il faut attendre que les bars rouvrent pour se payer la cuite de sa vie, c’est quoi se joyeux bordel ? Sauf que là, les bars ne vont pas rouvrir de sitôt.
Et le dealer du coin ne peut plus fourguer sa came comme si de rien n’était. L’équation est à plusieurs inconnues. Comment on va gérer tout cela? Surtout que c’est nouveau comme situation. C’est vrai, le Marocain a cette capacité innée de s’adapter aux situations les plus inextricables, mais un ramadan sans les rituels habituels, ça je veux bien voir.
Un autre ami écrivain intervient dans cet échange et nous fait part de ses soucis existentiels. Il semble avoir de sérieux problèmes de conscience par rapport à ce qu’il a ingurgité comme litres de vin durant les onze mois qui ont défilé. Il a peur de ne pas pouvoir assurer la continence durant 30 jours. Ça se voit, il a les jetons. «Il devrait y avoir une loi qui autorise aux alcooliques de boire durant ramadan.
J’ai lu quelque part que l’alcoolisme était une maladie très grave et qu’il faut aider les gens qui boivent à se soigner en les laissant boire un peu». Non, notre pote écrivain ne sourcille même pas en disant cela. Moi, je le comprends, je sais qu’il veut picoler avant d’aller faire ses «Tarawih». Mais mon ami : boire, ce n’est pas bien pendant ramadan, malade ou pas, c’est la loi. Si tu t’amuses à interpréter les lois à l’aune de ta volonté de te payer ta dose quotidienne d’alcool, tu vas aller en prison, mon ami. On va te faire ta fête, mon ami. Et ton délirium tremens qui semble t’avoir déjà pris par le cou, sera dur à vivre dans une chambrée avec des dizaines d’autres gars, mal lunés et prêts à te manger tout cru. Alors, tu vas faire ce que je vais te dire, mon ami : tu ne boiras point au moins pendant trente jours. Et pour l’absolution des « Tarawih », tu peux aussi oublier, parce que tu dois rester chez toi.
Tu ne peux pas sortir à partir de 18 heures. C’est pas sorcier. Tu te fais une raison : soit tu deviens frère musulman, soit tu te payes une barbe, soit tu habites dans une mosquée virtuelle, soit tu fais ce que tu veux, mais tu ne bois pas. Et tu ne mets pas les pieds dehors. Compris ? Parce qu’au cas, où ton cerveau ravagé par la bibine l’aurait raté, il y a un nouveau truc qui s’appelle Coronavirus et qui peut t’achever en moins de deux.
Alors, tu restes chez toi.
C’est à ce moment précis qu’un autre ami, philosophe de son état, et qui aime le répéter à qui veut bien l’entendre qu’il est vraiment philosophe puisqu’il a décroché un doctorat sur un grand penseur nommé Spinoza. Nous, on le croit et on salue son diplôme. Il nous sort tout de go qu’il écrit un livre sur le ramadan. Oui, ramadan. Le mois sacré. Le rendez-vous tant attendu de la piété. Du recueillement. De la quête intense d’une certaine spiritualité paumée toute l’année. Le philosophe dit qu’«Il n’en est presque rien. Ramadan, c’est devenu depuis très longtemps, le mois de la bride abattue. Le rancard patenté de la drague, du sexe à la pelle. Les femmes sont de plus en plus lascives. Les hommes, des obsédés de la braguette. Rien n’échappe plus à l’oeil qui louche du mâle en chaleur. Tout ce qui bouge et qui a l’apparence d’une femelle, provoque des titillements bizarres chez lui. Il court le macadam, en bagnole, à pied, en moto, dans un bus, prenant un taxi, allant faire des courses, avec une idée en tête, se trouver une nana pour après la rupture du jeune. Les femmes, elles, le savent. Alors, elles jouent avec. Tenues suggestives. Démarches félines, jeux de séductions dont elles ont le fin secret.
Et le mâle est emballé. Là les djellabas remplissent leur rôle d’exhausteur de goût et de libido. Alors la journée du ramadan devient un terrain de chasse entre prédateurs sexuels en puissance. Et la nuit, on passe aux actes. Le tout mâtiné de prêches sur la religion qui purifie les cœurs et le jeune qui est censé nous ouvrir grands les parloirs du paradis. Oui, car, durant ce mois, tout le monde et surtout ceux qui deviennent des fous dangereux à courir les femmes, sont les plus prompts à donner des leçons à nous autres pécheurs devant l’Éternel.
Hypocrisie? Le mot est faible», conclut le penseur. Qui ajoute : «Et comment on va pouvoir faire tout ça, alors qu’on est confiné à la maison ? Il n’y a pas de sortie possible. C’est le couvre-feu ? Moi, je dis que ça va être drôlement corsé cette histoire. Vous allez voir, les amis». Le copain écrivain enchérit tant qu’on y est : «Et puis, il y a les colériques, mes amis. Il y a tous les passionnés de la bouffe. Ceux qui pètent littéralement des fusibles parce qu’ils sont en manque. Manque de cigarettes, manque de joints, manque d’alcool, manque de sucre, manque de sel, manque de pain, manque de viande… bref, manque de tout ce dont ils ont l’habitude et que ramadan leur enlève.
Et cette année, il faut ajouter le manque de sortir et de faire les 400 coups. Alors ils en veulent à la terre entière. Ils sont prêts à en découdre avec le premier venu. Bagarres, rixes, guerres dans les quartiers. Cela commence tôt. Ne croyez pas que c’est juste là un luxe que l’on se paie à partir de 16 heures. Détrompez-vous. Déjà, au réveil, on en découd avec le premier venu. C’est une règle. Mais là, les bagarres vont éclater intramuros, dans les maisons, dans les chambres, puisque nous allons être les uns sur les autres». Le philosophe reprend la parole : «Bref, les amis, la ville devient un champ de mines. Et les humains deviennent des bombes sur pattes qui peuvent exploser à n’importe quel moment.
Mais si ramadan est le mois de la paix et qu’il faut en profiter pour se rapprocher du Créateur et expier quelques erreurs passées, pourquoi, on n’y arrive pas? Pourquoi transformons-nous cette parenthèse qui devrait être enchantée, en un enfer de 30 jours? Chacun devra trouver la réponse qui lui convient. Pour moi, ramadan et le Marocain ne sont pas compatibles. Point barre. Et par temps de pandémie, je ne sais plus à quel sein me vouer».
Moi, qui ai écouté les deux zigotos et leurs diatribes sur mes frères marocains, je dis que le Marocain a compris que ce virus n’est pas une blague. Et qu’il va se tenir à carreau. Moi, je dis qu’on a déjà bien tenu durant un mois et qu’un mois de plus, c’est fastoche pour le Marocain, élevé à la dure. Et que de toutes les manières, quand il n’y a pas le choix, le Marocain peut nous surprendre, parce qu’il a de la ressource, le bougre. Oui le Marocain est brave. Il a démontré avec cette pandémie à un haut niveau de conscience et de responsabilité. Et comment qu’il va rester chez lui bien tranquille à faire le point et à se retrouver en priant pour le salut du monde. Amen.
*écrivain-éditeur