«Le segment du logement économique fortement touché par la crise sanitaire»

Mohamed Lazim, expert immobilier et judiciaire

Propos recueillis par Kaoutar Khennach

Confinement, chômage partiel, incertitudes économiques… Ce contexte inédit de crise sanitaire remet en question nos modes de vie mais aussi nos projets avenir. D’ailleurs, plusieurs ménages qui avaient un projet immobilier avant la crise sanitaire ne remettent pas en cause leur projet d’achat. Quel peut-être l’impact de cette crises sanitaire sur le marché immobilier marocain et plus particulièrement les promoteurs immobiliers? Pour répondre à cette question majeure, nous avons interviewé Mohamed Lazim, expert immobilier, directeur général du cabinet GUI4 et aussi expert judiciaire assermenté auprès de la Cour d’Appel de Casablanca. Les propos.

Al Bayane : Quelle analyse faites-vous de la situation actuelle du marché immobilier marocain?

Mohamed Lazim: Aujourd’hui, le marché immobilier est en arrêt «presque total». Et pour cause, l’état d’urgence sanitaire mis en vigueur depuis quelques semaines. Par conséquent, plusieurs professionnels ont décidé de suspendre leurs activités, comme les études notariales et ce, suite à la décision du Conseil National de l’Ordre des Notaires (CNON), les agences immobilières et certains promoteurs.

Cette situation occasionne plusieurs conséquences économiques, financières et sociales, notamment le ralentissement de l’examen, par les banques, des dossiers d’emprunt immobiliers, le blocage de toutes les transactions immobilières, la chute de la demande de crédits immobiliers, le licenciement partiel de la main d’œuvre travaillant dans le secteur immobilier ainsi que la chute significative des revenus financiers de tous les acteurs immobiliers (agences immobilières, notaires, entreprises, …etc.).

Vu l’impact de ces conséquences sur l’économie du pays, le CNON a décidé de reprendre les études notariales à compter du Jeudi 23 Avril 2020 et cela, d’une façon progressive. A mon avis, cette reprise progressive des études notariales permettra de conclure seulement les transactions immobilières initiées avant la mise en vigueur de l’état d’urgence.

Plusieurs chantiers immobiliers sont malheureusement à l’arrêt à cause de l’épidémie. Quel impact sur les promoteurs immobiliers?

Certes, cet arrêt de chantiers a généré plusieurs répercussions sur les promoteurs immobiliers. Il s’agit en l’occurrence  de la baisse de trésorerie. En effet, la majorité des promoteurs financent leurs projets à travers les avances acquéreurs qui sont devenues un instrument de financement incontournable et cela, en complément d’autres sources de financement telles que les emprunts bancaires. Et dans la pratique, les promoteurs reçoivent les avances acquéreurs en corrélation avec l’état d’avancement des travaux. C’est pour cette raison, l’arrêt des chantiers occasionnera une baisse significative de la trésorerie des promoteurs.

Aussi, on note le risque des intérêts moratoires car pendant cette période d’épidémie, plusieurs promoteurs retardent le paiement des sommes dues aux entreprises. Ces dernières,  contraintes de payer leurs fournisseurs et leurs salariés, risquent de réclamer les intérêts moratoires aux promoteurs.

Aussi, le risque d’inscription d’une saisie conservatoire sur le titre foncier. Le défaut de paiement des factures dues aux entreprises risque d’inciter celles-ci à initier une action en justice pour inscrire une saisie conservatoire sur le titre foncier du projet.

Enfin, le risque de résiliation des marchés. Les entreprises peuvent résilier, de plein droit, leurs contrats en invoquant le cas de force majeur provoquant des arrêts qui dépassent une durée contractuelle (60 jours pour les marchés publics selon le CCAGT). Ce qui peut conduire les promoteurs, en cas de substitution de ces marchés résiliés, à supporter plusieurs risques d’ordre financier, technique, juridique, administratif, etc…

Au niveau de la demande, quel serait à votre avis le pourcentage des annulations de réservations?

Personnellement, je pense que l’impact de cette crise sanitaire sur le volume des annulations de réservation sera diffèrent d’un segment à l’autre. En effet, le segment du logement « Très Haut Standing » et « Haut Standing » sera touché modérément par cette crise de par la grande solvabilité de sa clientèle. D’après mes prévisions, le taux d’annulation des réservations ne devrait pas dépasser 10% à 20%. Le segment du logement économique sera fortement touché par cette crise sanitaire de par le fait que la majorité de ses clients (la classe moyenne et la classe ouvrière) seront en difficulté financière (perte d’emploi, baisse de leurs niveaux de salaire…). D’après mes prévisions, le taux d’annulation des réservations sera entre 30% et 50%.

J’imagine que les showrooms sont fermés. Dans ce cas, est ce que le digital peut remplacer les visites des lieux?

Je rappelle que l’objectif principal du digital, dans la promotion immobilière, est pour les promoteurs : l’augmentation de la notoriété. Pour les clients, il offre la possibilité d’effectuer des visites virtuelles.

Ce qui permettra d’attirer plus de prospects. Mais cela ne pourra être suffisant pour remplacer les visites des lieux qui représentent une étape primordiale et nécessaire pour acheter un logement. En effet, les visites physiques permettent de constater, par soi-même, les avantages et les inconvénients d’un logement (ensoleillement, agencement, matériaux, voisinage, confort sonore, accès, vis-à-vis…). D’ailleurs, je n’ai jamais entendu la signature d’un contrat de vente sur la base, seulement, d’une visite virtuelle.

Est-ce que la reprise post-crise peut permettre un effet de rattrapage ? Autrement dit, est ce que les annulations actuelles ne sont qu’un report?

Au vu des circonstances de cette crise sanitaire, je pense que plusieurs personnes sont ou seront en difficulté financière. Par conséquent, l’après-crise sera, à mon avis, caractérisée par la baisse du volume des transactions immobilières. Ce qui conduira à une baisse modérée des prix des logements ainsi qu’une augmentation du nombre d’annulations des réservations des logements.

Et d’après ma modeste analyse du marché immobilier au Maroc, le comportement futur des clients, ayant annulé leurs réservations, sera en fonction du segment immobilier. En effet, pour les clients du segment «THS» et «HS», ils seront ceux qui attendront la baisse des prix mais qui finiront par acheter leurs logements après quelques mois de recherches. Pour les clients du segment économique, ils seront ceux qui attendront la stabilité de leurs situations financières avant de repenser l’achat d’un logement.

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