Par Hafsa Bekri Lamrani*
«Rentrez chez vous !» Nous ont-ils ordonné. Nous ? Dans ce «nous qui s’adresse à toutes religions, toutes les couleurs de peau, aux hommes ET aux femmes, aux riches ET aux pauvres, avec ou sans papiers, émigré(e))s ou «bien de chez nous», je vais choisir les femmes Maghrébines et leur attitude devant cette pandémie égalisatrice.
Hind Taarji dans son livre «Ces voilées se l’Islam», dit que chacune de nous porte dans son imaginaire une mère ou une grand-mère voilée. A l’heure où le monde entier est voilé sans distinction de sexe, de race ou de fortune, oui moi Maghrébine je repense à ma mère qui transpirait sous son Litaam brodé certes, mais sous lequel elle respirait difficilement sous notre climat aux chaleurs suffocantes.
Oui ma chère Hind, mes chères sœurs maghrébines, moi qui m’étais juré de ne jamais rien porter sur mon visage, de respirer l’air et la liberté à plein poumons, sans me défaire de ma pudeur et de mon savoir vivre, aujourd’hui devant ce masque obligatoire sous peine d’amande et de prison, j’ai repensé à nos mères à nos grand-mères citadines qui devaient se masquer le visage dès qu’elles mettaient le nez dehors.
Autre raison de penser par analogie à nos mères et grand-mères, le confinement. Mon confinement coronaire me rappelle aussi LEUR confinement. Encore aujourd’hui ne dit-on pas chez nous d’une femme qui ne travaille pas hors de chez elle «Galssa feddar» ou bien ailleurs, «Femme au foyer», «Hausfrau ou «Housewife». Nous sommes trois générations de Maghrébines à être sorties des foyers pour aller à l’école d’abord, puis nous nous sommes déployées dans divers postes selon nos études et nos moyens.
Les moins aisées, les moins lettrées nous ont aidées à tenir nos foyers et garder nos enfants, en même temps que nous travaillions dehors et nous oublions souvent de leur donner la valeur quelles méritent. Celles qui n’en sont pas conscientes le corona vient le leur rappeler.
Nous voilà donc confinées comme nos mères et des siècles de nos ancêtres femmes. Mais comment vivaient-elles leur confinement et que nous ont-elles légué ?
Elles se levaient à l’aube préparaient le petit déjeuner. Quand la famille avait terminé ce premier repas, elles s’attaquaient au second auprès avoir habillé et expédié les hommes et les garçons à l’école coranique ou au travail. Il n’était pas question pour les filles de faire la grasse matinée. Il y avait du boulot pour toutes. Faire le pain, nettoyer la maison, laver le linge aider la mère à la cuisine. Quand les hommes rentraient, la famille se réunissait autour du déjeuner. Des salades multiples rivalisaient avec le tagine en chef du jour et le pain amoureusement pétri et fraîchement rapporté du four public, servait de fourchette.
Après la vaisselle de midi on faisait une petite sieste bien méritée avant de se préparer pour le goûter et le travail créatif de l’après-midi. «Hdith ou maghzel» dit le proverbe maghrébin. Discussion et quenouille. C’est qu’elles savaient carder, teindre, filler et tisser la laine nos grand-mères ! Elles savaient coudre et broder. Elles se réunissaient entre cousines tantes voisines, amies pour des goûters de travail en commun.
Chacune apportait une petite gâterie, gâteaux, crêpes, galettes… Les manches du caftan ou de la robe quelles avaient retroussées le matin se déployaient, le long tablier restait dans la cuisine. Leurs tenues chatoyantes rivalisaient de couleurs, de broderies, de passementerie. Vers le crépuscule elles se séparaient, chacune devant préparer le dîner de sa famille.
Le dîner fini et la cuisine nettoyée, elles réunissaient les enfants autour des contes fantastiques transmis par leurs propres grand-mères. Et Dieu sait qu’elles avaient l’art de captiver nos esprits et notre imagination non encore rétrécis par la télé puis les réseaux «associaux».
Légendaire aussi leur patience devant les hordes de «diaf», (invités) qu’on n’avait pas besoin d’inviter parce qu’il était normal de rendre visite à ses proches qui avaient le devoir de se sentir honorés par ces visites. Les tagines doublaient, triplaient de proportions, les pains se multipliaient, le va et vient des plateaux de thé à la menthe et des gâteaux devenait incessant. Les femmes, les filles s’affairaient dans tous les sens et la doyenne veillait au grain.
Confinées ? Dans l’esprit obscurantiste de certains hommes peut-être. Mais Elles? Des Reines qui gouvernaient les familles et les tribus entières avec douceur et fermeté. Sans compter que les toits des maisons leur appartenaient et qu’elles pouvaient observer la rue de leurs positions élevées.
Alors nous, Maghrébines d’aujourd’hui, devant ce confinement d’un genre nouveau, qui s’impose à tous, hommes, femmes, riches, pauvres, vieux jeunes, nous réduisant à notre humanité première et libérant pour un instant la planète de nos maux et nos prétentions ? Et bien pour celles d’entre nous que leur métier n’oblige pas à combattre au front ou à sortir quotidiennement et malgré elles de leur foyer, nous retrouvons les gestes de nos mères avec une profonde gratitude pour leur enseignement de la culture de l’intérieur.
*Angliciste et poétesse
Printemps coronaire 2020