Par Samir Aitohou, chercheur
S’il est un domaine chez nous où tout va mal et où tout fonctionne à l’envers, c’est bien celui de l’éducation ! Tant de réformes avortées et de projets qui n’ont fait qu’aggraver l’état déjà dramatique de notre système éducatif. On a beau multiplié les méthodes et les approches, rénové à l’infini les programmes et les supports, cependant, les résultats s’avèrent à chaque fois plus inquiétants et alarmants qu’avant!
On peut légitimement penser que le malheur de notre école tient, quelque part, en ce qu’elle fonctionne selon un modèle grec!
Elle s’inscrit, d’une certaine façon, dans une logique et un esprit philosophique purement hellénistique . Voyons bien comment!
En Grèce antique, rappelons le, la pratique philosophique est réduite à une activité spéculative, à un art de bien penser. Chez Platon par exemple, on est davantage dans les concepts, les idées, et des discours purement théoriques. En revanche, à Rome, la philosophie passe pour bien être une activité pratique, donc un art de bien vivre!
Un philosophe romain à l’image de Sénèque, loin de se perdre dans le théorique et le conceptuel, enseigne plutôt aux apprentis l’art de bien vivre et d’être heureux. Ainsi, l’individu qui venait d’assister à une conversation philosophique au Forum apporte avec lui une leçon de vie, voire une sagesse philosophique et existentielle lui permettant de bien mener sa vie et de faire face à ses aléas. Avec les Romains, il n’est pas question, comme chez Pythagore avec sa doctrine de transmigration des âmes, de discourir et réfléchir sur des théories fumeuses, des savoirs abstraits qui ne concernent ni de loin ni de près la vie pratique. Les Athéniens sont donc plus dans le spéculatif et le theoria, alors que les Romains excellent dans les faits, la praxis, et dans l’agir.
Où l’on voit cet abîme abyssal séparant ces deux visions du monde. L’une, en l’occurrence, grecque, oublie le monde réel, immédiat, en lui préférant un univers virtuel, fictif (le monde intelligible de Platon!) où régent les Idées et les concepts, alors que l’autre, à fortiori romaine, se préoccupe du réel, du factuel, et donc de la vie pratique. À Rome on apprend à bien vivre, à devenir un citoyen utile à la Cité, tandis que chez les Grecs, on apprend à bien parler, à interroger et vivre avec les concepts et les idées.
A y bien voir donc, notre école et notre système éducatif en général recycle bel et bien ce modèle philosophique grec. On est ainsi davantage, et nos lycée et nos université nous le confirmeront bien, submergé et subjugué par le théorique et le conceptuel. On préfère les idées aux actions, le virtuel au réel, l’abstrait au concret. Ainsi, nos enseignants s’amusent, sur l’esrade, à ressasser et rabâcher ex cathédra des théories et des doctrines des scientifiques, des philosophes …auxquels nos élèves ne comprennent rien, tellement les cours auxquels ils assistent ne concernent ni de près ni de loin leur vie réelle, en cela, notre école ne diffère pas de l’Académie de Platon, du lycée d’Aristote….cet ensemble constitue des lieux optimaux où l’on se nourrit de l’idéel, de l’idéal et du conceptuel !
N’est-il plus que jamais temps de réfléchir sur une école romaine urgente? Rappelons que toutes les récentes réformes pédagogiques ayant marqué notre enseignement ne sont, au demeurant, que des tentatives pour « romaniser » nos écoles. Il s’agit surtout de les débarrasser de cet enseignement grec, trop grec, obsédé du théorique, de l’abstrait, du virtuel, tout en laissant du côté l’essentiel, à savoir, la vie !
En effet, cette école romaine, à laquelle nous aspirons tous aujourd’hui se doit de proposer, à nos élèves des projets pédagogiques pratiques et opérationnelles. Elle les dotera ,de ce fait, des savoirs et savoir- faire leur permettant de construire leur autonomie et d’opérer des choix favorables. Elle mettra aussi à leur disposition des sagesses pratiques qui sauraient leur permettre de vivre pleinement et sereinement leur existence, et d’être aussi en mesure de confronter et d’affronter les problèmes et les défis qu’il rencontre dans leur vie sociale, professionnelle. Ce faisant, on aura installé chez nos élèves, grâce à cet esprit romain, une sagesse pratique de bien vivre, mais aussi une esthétique et une éthique de bien(-) être!
Pour conclure, il est de notre devoir toutes et tous d’œuvrer ensemble pour renforcer et rendre possible cette « école romaine », sans laquelle nous ne saurions pas sortir de ce marasme social, intellectuel, auquel nous a conduit l’esprit grec depuis des siècles. Ainsi, l’école ne doit pas être déconnectée de la vie pratique et réelle, mais elle doit être plutôt son point de départ, car il semble que nous avons besoin aujourd’hui de plus d’actions et des faits que des idées et des concepts inopérants.