«Bu Allun», Le joueur de tambourin, de Abdelkhaleq Jayed

Note de lecture

«Bu Allun» retrace une partie de mon enfance allaitée d’une langue qui m’accompagne pendant tout mon périple existentiel. Et c’est dans cette amazighité que le vivre- ensemble d’une tribu enclavée s’est construit loin des modalités qu’impose l’hypocrisie des formalités mensongères.

Mouha le sage me fait revivre l’écho du rythme et la beauté du geste. Du coup, la rédaction que je devais rendre au professeur de français est la même que j’ai rédigée l’année passée. Il m’était impossible de disserter sur la mer car je ne l’ai jamais vue. Mon écrit s’inspirait des résonances d’Allum, Allun et sa symphonie vibrante que je préfère aux cours de mathématiques. Tous les corps en rangés répondent aux oscillations sonores d’Allun. Les épaules se serrent, la main dans la main et les pieds tantôt tendus, tantôt fléchis. «AHASTOUCE».

L’ambiance est enjolivée par (thissante) (le sel), les filles qui ajoutent au charme de la nuit une connotation esthétique. C’est l’occasion pour elles de sortir du quotidien patriarcal qui se cache derrière «la pudeur». Et moi tout petit, entrain de scruter ce spectacle  en  espérant que ça dure tout l’été, histoire d’oublier les conneries de Mr Boulinguièz, ce coopérant qui n’arrête pas de se moquer de ses élèves.

La sagesse de Mouha n’est pas d’ordre philosophique ni même morale. Sa sagesse crache, sans se rendre compte, sur le délire de Ben Hamza. Elle se situe à cheval entre la misère et la pauvreté, mais elle revêt un habillage politique dans la mesure où elle dénonce une réalité engendrée par une marginalisation commise par ceux qui détiennent le pouvoir sous prétexte que le développement est le produit d’une substance grise d’une classe élevée dans le pillage de la richesse humaine et naturelle.

La folie de Mouha est perçue par la doxa comme transgression du sacré sur lequel parie le silence. Et pourtant Mouha ne s’est jamais pris pour  un leader, ses confessions ont l’air d’un conte qui ne dépasse pas les quelques mètres de sa piaule. Seuls ses Allun , tambourins en gardent le secret. Mouha est l’expression d’un espoir que l’amour a aveuglé, à tel point que son amour appelle la mort.

Bu Allun, est un récit au sein duquel Mouha est Hatta ne représentent qu’un échantillon d’une souffrance résultant d’un complot contre toute une culture d’un patelin, voire d’une identité tatouée d’endurance, réduite au folklore et à une carte postale dont la face n’a qu’un objectif, c’est de charmer ou plutôt camoufler le vrai visage d’un pays meurtri.

Mouha, n’est-il pas un être humai? N’a-t-il pas le droit d’aimer et de rêver. Son admiration à la voix de Titrit  émane de l’art et la manière. Une voix qui déchire car il provient du fin fond de l’Atlas. Une voix affinée par l’accent que seule la langue Amazigh est capable de couver puisqu’elle sort d’une générosité approuvée par la colline et le soir. Une voix à la quelle Mouha ne peut résister. Cette voix est sa rêverie qui traduit un sérieux auquel s’ajoute l’expression humaine, c’est-à-dire le doute, lequel ne peut être dissipé que par la peau et le feu. Hélas, Titrit, son amour jamais déclaré, est la proie préférée de rapaces nocturnes privés de sens humain.

Et puis arrive la misère que représente Hatta, dans laquelle sombre la frustration d’un fantasme qui devait se construire en pleine conscience. Marx avait raison de dire que seule la réalité sociale détermine la conscience. Hatta est l’insulte de l’avenir et le dos de la carte postale. Si non, est-il raisonnable de vivre sur le dos d’une ignominie que ceux qu’ils l’ont commise baignent dans l’impunité totale. Quand est ce que nous allons nous débarrasser de cette question qui taraude l’impuissance? Nous n’avons, tout compte fait, que de la compassion à fournir à Hatta du moment que notre incapacité de changer nous oblige à reposer la même question métaphysique : Quand est-ce que ça va changer?

Abdelkhaleq Jayed est l’un des écrivains qui respectent l’éthique de l’écriture. Ses récits joignent la créativité à l’engagement dans la mesure où la langue avec laquelle il véhicule ses idées charme l’adhésion de par ses tournures de style et son attachement à la réalité, en l’occurrence les patelins qui souffrent de la marginalisation. C’est pour cela que la transmission de messages dans sa trilogie, notamment Bu Allun se consolide par une profondeur intellectuelle. Ce récit qu’est Bu Allun, outre sa portée littéraire, est riche en maximes .Il ose transcender le conte en questionnant nos consciences.

Abdelmajid Baroud

Related posts

Top