Contribution à la réflexion sur la fiscalité
Par Nadira Barkallil
- Y mettre fin au nom de la justice fiscale et sociale
- Y mettre fin au nom de l’égalité des citoyens face à l’impôt
- Y mettre fin au nom de la rationalité économique
- Y mettre fin au nom de la solidarité en cette période post-coronavirus
L’agriculture marocaine a bénéficié d’avantages immenses, surtout dans sa frange de grands propriétaires. Ses bénéfices ne se sont pas limités à son exonération fiscale ; bien au-delà de celle-ci, on peut considérer que la politique agricole du Maroc indépendant, jusqu’à aujourd’hui avec le Plan Maroc Vert, a tendu à privilégier une agriculture de gros propriétaires fonciers au détriment de la masse de la paysannerie qui vit dans les zones d’agriculture bour. L’agriculture bour a reçu peu d’attention de la part de l’Etat alors qu’elle compte la plus grande partie de la population rurale.
L’exonération fiscale, une atteinte à la justice fiscale et sociale
Depuis 1984, l’agriculture marocaine est exonérée de l’impôt sur les revenus. Ce n’est pas le seul cadeau dont elle a bénéficié sachant que l’exonération profite, avant tout aux plus riches, la masse des exploitants restant au niveau de la subsistance.
L’exonération des riches exploitants agricoles est, sur le plan du droit fiscal mais aussi de l’éthique, une décision qui porte atteinte au principe d’égalité fiscale entendu comme l’égalité des contribuables devant l’impôt. C’est le fondement de la justice fiscale. Tout le monde doit payer ses impôts, chacun suivant ses capacités, en admettant que l’Etat social peut exonérer les plus pauvres.
Le principe d’égalité fiscale consiste donc en l’égalité des contribuables devant la loi fiscale et, de ce fait, un même régime fiscal doit alors s’appliquer à tous les contribuables placés dans la même situation. Les agriculteurs d’une certaine tranche de revenus doivent payer les mêmes impôts que les industriels ou les commerçants et autres professions relevant de la même tranche d’impôt.
La politique agricole au bénéfice des plus riches
1956. Reprenant les rennes de son avenir, le Maroc fut réunifié à la suite de quarante quatre années de partition entre le Protectorat français et le protectorat espagnol. Si l’Indépendance politique a été le but suprême de la mobilisation nationaliste, sa conjugaison économique a été très peu approfondie. C’est ainsi, qu’a posteriori, on peut observer que ni le mouvement
national conduit par l’Istiqlal (qui comprenait alors une forte frange de gauche qui allait plus tard se détacher sous la bannière de l’UNFP) ni la monarchie n’avaient une vision et ou un programme concret des orientations et contenus des programmes gouvernementaux.
La récupération des terres de la colonisation
En matière d’agriculture, en résumé, on constate que la politique agricole fut, globalement, la continuité de la politique coloniale en ce qui concerne la politique des barrages et des périmètres irrigués ; par contre, s’est posée la question de «que faire ?» des plus d’un million d’hectares des terres de la colonisation, que ce soit la colonisation dite «officielle» que celle dite privée. La réponse a fait l’objet de tensions politiques très fortes liés à des visions très divergentes.
Alors que le gouvernement Abdallah Ibrahim a édicté, en 1959, le principe que les transferts de ces exploitations coloniales devaient se faire sous le contrôle de l’Etat, il n’en fut rien du tout puisque plus de 400.000 ha passèrent entre les mains «des nouveaux colons», à des conditions financières certainement favorables à ces repreneurs qui furent en quasi majorité liés aux cercles du pouvoir.
Un autre principe édicté était celui de la Réforme agraire c’est-à-dire la récupération des terres coloniales et leur redistribution aux petits paysans et aux paysans sans terre. La monarchie n’était pas favorable à cette conception des choses dessinée par le mouvement national, surtout lors de la préparation du premier Plan Quinquennal. Dans un climat de tensions politiques, le plan ne fut réalisé que partiellement et l’Office National de l’Irrigation ONI qui parrainait le développement de l’agriculture à ce moment-là fut suspendu. Ces tensions politiques ont commencé après les élections de 1962 puis continuèrent jusqu’au début des années soixante dix. Suite à la mobilisation populaire de Casablanca, l’Etat d’exception fut instauré dans le pays.
Les terres récupérées clandestinement par une minorité, à l’exclusion de la majorité de la paysannerie, ne sont pas absentes des motivations des leaders des deux coups d’Etat militaires de 1970 et 1971. C’est après ces deux coups d’Etat, que les terres récupérées passées aux mains de l’Etat vont, de nouveau, être redistribuées. Au total, seuls 380.000 ha de terres récupérées ont été finalement distribuées aux petits paysans et paysans sans terre, de 1956 à 1976.
Les terres récupérées et leur valorisation par l’action de l’Etat
Ce petit rappel historique n’a de sens que pour mettre en évidence deux ou trois choses :
- Le détournement du «butin» récupéré sur les deux protectorats au profit de quelques centaines de familles, contre les promesses faites auparavant au peuple marocain
- Le choix de la politique de barrages, qui allait se perpétuer jusqu’à aujourd’hui, allait déverser des centaines de milliards de dirhams sur les terres des nouveaux propriétaires dont la valeur va se démultiplier d’une façon inouïe, sans que cela ne leur coûte un seul dirham. Très peu de ressources sont accordées à l’agriculture bour et ses millions de paysans.
- La carte des périmètres à irriguer fut, selon certains, très fortement calquée sur la carte des exploitations des nouveaux colons marocains.
- Le Code des Investissements agricoles de 1969 imposait une contribution importante des exploitants des périmètres irrigués aux frais des aménagements réalisés par l’Etat, sous deux formes principales, à savoir une participation directe à la valorisation des terres irriguées de 1500 DH par hectare irrigué (à l’exception des petites exploitations de moins de cinq ha) et une redevance annuelle proportionnelle à l’utilisation de l’eau d’irrigation. Rien de tout cela ne fut effectivement mis en oeuvre pour la collecte de la participation directe, exonérant de facto les redevables; pour ce qui est de la redevance sur l’utilisation de l’eau, elle reste encore inégalement collectée selon les différents Offices régionaux de mise en valeur agricole ORMVA.
Là il est intéressant de faire un parallèle avec le Protectorat : que ce soit pour la colonisation officielle ou pour la colonisation privée, les terres ont été payées et non pas cédées gratuitement et deuxièmement l’Etat avait instauré le principe de contribution aux frais de mise en valeur. Par ailleurs, les agriculteurs étaient redevables de l’impôt sur les revenus liés à leur exploitation.
Le financement des périmètres irrigués: un fardeau pour la population…des bénéfices pour les grands propriétaires
Revenons à la question du financement de ces investissements sur un endettement international qui atteignit un niveau tel qu’en 1980 le Maroc est soumis par les organisations internationales dont la Banque Mondiale et le FMI à un Programme d’Ajustement Structurel PAS drastique. L’Etat marocain était en manque de ressources financières mais, en inadéquation totale avec cette situation, le Roi Hassan 2 a décidé, en 1984… d’exonérer les agriculteurs de l’impôt sur les revenus des personnes sous le prétexte «de la faible rentabilité de l’impôt sur les revenus agricoles» , bien loin de penser à plutôt mobiliser l’appareil d’Etat pour forcer les mauvais contribuables à payer leur part.
1984/2014 Exonérer une agriculture exportatrice n’est plus concevable et éthiquement acceptable et la petite réforme opérée depuis 2014 est loin d’être suffisante.
Cette exonération fiscale et la non récupération des contributions d’équipement et d’utilisation de l’eau ont, finalement, mis les centaines de milliards de DH de la politique agricole en zone irriguée, à la charge de la population marocaine dans son ensemble mais elle a privatisé les plus values de cette politique au bénéfice de quelques centaines de familles uniquement.