Abdelhak Najib*
Une chose est certaine, ce gouvernement marocain, depuis le début de la pandémie du Covid 19, est en adéquation avec lui-même. Après une très bonne gestion durant les premières semaines du confinement, la suite a été un cafouillage tous azimuts.
Après les épisodes incompréhensibles et aberrants qui ont émaillé tout l’été : entre la nuit de la fuite, la célébration de la fête du mouton alors que l’on savait que c’est là qu’il y a le plus gros risque de contamination de masse, l’ouverture-fermeture des plages et autres lieux publics… Nous y voilà avec la rentrée scolaire tant attendue, et qui constitue un test grandeur nature pour l’exécutif. S’il y a un point sur lequel, il faut être irréprochable, c’est bien celui-ci. Pourtant, c’est face à un problème aussi épineux que vital pour des millions de Marocains, que le ministère de tutelle et le gouvernement ont failli. C’est finalement aux parents de choisir entre envoyer leurs enfants à l’école ou leur faire suivre un enseignement à distance.
C’est ce qu’on appelle jeter la balle à l’autre. Dans ce cas de figure, toutes les patates chaudes sont pour les populations marocaines. Quand ça brûle, il faut bien se débarrasser de ce qui risque de nous être reproché, après. Citoyen, débrouille-toi, c’est la nouvelle formule qui a droit de cité. Non seulement, la décision sur la rentrée scolaire est une pâle copie de ce qui a été décidé à Paris, mais les arrangements à la Marocaine sont pour le moins édifiants. D’abord, on se pose la question comment un ministère s’arrange-t-il pour demander aux parents d’assumer des responsabilités qui sont les siennes.
On veut bien que les citoyens s’impliquent davantage dans l’éducation de leurs enfants, mais encore faut-il qu’ils en aient les moyens, les compétences et le temps. Évidemment, à situation exceptionnelles, mesures exceptionnelles. Mais de là, à obliger les parents à prendre les décisions à la place du gouvernement en leur donnant, de surcroît, une date butoir, cela relève du dédouanement pur et simple. Cela revient à dire, si vos enfants tombent malades et contractent le virus, c’est de votre faute. Aucun responsable ne peut dire cela à ses concitoyens. Un gouvernement, cela assume jusqu’au bout ses responsabilités et va au bout de sa vision (encore faut-il en avoir).
On entend bien là aussi que les responsables appellent à une solidarité complète de tous les efforts pour lutter contre la pandémie, tous ensemble, comme une seule main, mais mettre sur la table une batterie de mesures inapplicables, cela démontre une précipitation dans la prise de décision, toujours à la dernière minute. Et il ne faut surtout pas nous brandir en exemple le cas d’autres pays. Ce qui se passe en France et en Europe est tout bonnement catastrophique et il ne faut pas le prendre comme référence. Sans insister sur le fait qu’en termes d’école et d’éducation, les spécificités marocaines sont pour le moins très éloignées de celles appliquées en France. Avec plus de 30 % d’analphabètes, il est totalement exclu de prendre à la légère une année blanche et une autre qui se profile quand on connait le niveau de nos écoles, le manque de formation des enseignants, le manque des moyens et l’archaïsme de très nombreux établissements scolaires. Sans parler du milieu rural qui accuse un retard effarant à tous les étages.
S’ajoute à cela l’invasion du privé qui prend 1 élève sur 7 au Maroc. Serait-ce là une décision qui va dans le sens du tout privé sonnant le glas de l’école publique au Maroc ? Il est très hasardeux de miser sur une école payante à la carte. Jamais l’école marocaine publique n’a été appelée à remplir son rôle premier : éduquer, élever, préparer une jeunesse solide et consciente des urgences nationales et sociales. Franchir le pas pour rater un tel virage peut avoir de graves conséquences sur les générations futures.
Ceci pour le futur lointain. Dans l’immédiat, risquer de faire rater encore une année scolaire aux élèves- parce que nous nous y acheminons à pas certains- c’est balayer d’un revers de la main le peu qu’ils ont pu apprendre durant les dernières années, surtout quand on sait que juste trois mois de vacances sont équivalents à une perte de connaissances d’au moins plus de la moitié tant nos méthodes d’enseignement sont caduques et sans rigueur. Dans une école où il faut juste apprendre par cœur pour passer un examen, risquer une autre année en jonglant entre présentiel et scolarisation à distance, est un non-sens. Ici il faut se pencher un peu sur les équations proposées par le ministère de l’éducation nationale qui nous propose une arithmétique des plus contradictoires. Le 100 % présentiel est exclu.
Ok. Et si tous les parents décident de prendre leur destin en main et envoient leurs enfants à l’école, comment sera fait la sélection pour ceux qui doivent être présents et ceux qui ne le peuvent pas ? Et sur quels critères ? Quand on connait le clientélisme et le diktat du piston qui sévit dans ce cher Maroc, les pauvres peuvent aller prier tous les saints pour l’avenir déjà incertain de leur progéniture. Dans la foulée des chiffres, le ministère table sur 30 minutes de cours distanciel ! Cela se passe de commentaire. 30 minutes, pour apprendre quoi ? Le ministère parle d’un total de 30 heures par semaine, avec 50% présentiel et 50% distanciel, avec un quota de 5 heures par jour, ce qui nous fait 10 cours en tout…
Ceci en excluant d’équiper les élèves les plus pauvres de tablettes pour étudier. Elle est où l’égalité des chances à l’école ? Comment un gouvernement peut-il se permettre d’exclure des millions d’élèves en prenant des décisions aussi lourdes de conséquences ? Nous savions déjà toute la fragilité du système éducatif national, avec la pandémie, le voile est levé sur le pourquoi d’une telle situation qui perdure et qui va vers le pire. Dans la même optique, il ne faut pas oublier de poser la question de la disponibilité des professeurs pour assurer le présentiel et le distanciel.
Qui fera quoi ? Comment ? Dans quelle fourchette horaire ? Malin qui saura nous expliquer toutes ces équations. Nous avons beau repasser la sortie du ministre de tutelle en boucle, on n’y comprend rien du tout. Trop de chiffres qui s’annulent de facto quand on les confronte à leur faisabilité.
Ce qui revient à mettre en place un casse-tête chinois pour les parents, qui ne savent plus à quel saint se vouer depuis janvier 2020. Et ce n’est pas fini. A toute cette géométrie variable, il faut ajouter la peur, l’incertitude, les risques sanitaires, le spectre de la mort qui plane sur nos têtes à tous. Quand on voit ce qui s’est passé dans des pays dits très développés, avec des écoles High-Tech, quand on prend en compte l’incapacité de contrôler les contaminations, comment pouvons-nous prendre le moindre risque ? Il ne s’agit pas que de l’éducation des enfants marocains, il est aussi et surtout question de leurs vies et de leur salut face à un virus mortel. Demander aux parents marocains d’assumer l’inconnu, c’est tout bonnement irresponsable.
*(Écrivain-journaliste)