Abdelahed Fassi Fihri : « l’ESS est profondément ancrée dans la culture marocaine »

Journée d’études autour du modèle marocain de l’économie sociale et solidaire

M’Barek Tafsi

Nadia Touhami renouvelle l’engagement du GPS de poursuivre le plaidoyer pour le renforcement de l’ESS

Organisée à l’initiative du groupe du progrès et du socialisme (GPS/PPS) à la Chambre des représentants en collaboration avec ses partenaires du projet TAGHYIR et le Réseau marocain de l’économie sociale et solidaire (ESS), une journée d’études à réuni, mercredi 10 juillet au siège du Parlement à Rabat, une panoplie d’actrices et d’acteurs impliqués dans le secteur avec des représentantes du ministère concerné et de l’Office du développement de la coopération (ODCO) pour débattre de l’avenir du « modèle marocain de l’économie sociale et solidaire »  

Ouvrant les débats au nom du GPS, la députée Nadia Touhami, vice-présidente de la Chambre des représentants, a affirmé que le groupe du progrès et du socialisme n’a pas hésité un instant à donner son accord pour l’organisation de cette rencontre, tout en rendant hommage à M. Mounir Al-Ghazoui et à Mme Firdaous Tazi pour leurs efforts visant à la réussite de ce rendez-vous, qui s’inscrit dans le cadre de la politique d’ouverture du groupe parlementaire du PPS.

Elle a rappelé de même que l’organisation de cette rencontre entre dans le cadre de la commémoration de la journée internationale des coopératives, célébrée chaque année le premier samedi du mois de juillet.

Pour le groupe du progrès et du socialisme, a-t-elle dit, cette rencontre offre l’occasion de débattre de l’itinéraire du mouvement coopératif marocain et des moyens de le développer davantage, tout en émettant l’espoir que l’actuel débat permette de dégager un ensemble d’idées à même de dépasser les obstacles qui entravent l’édification d’un modèle marocain de l’économie sociale et solidaire performant et sur des bases plus solides.

Et la vice-présidente de la Chambre des représentants d’exprimer aussi l’espoir que le débat porte sur les projets de réformes juridiques et réglementaires attendues que son groupe parlementaire ne manquera pas porter dans le but ultime de faire de l’économie sociale et solidaire un des leviers du développement national au lieu d’être considéré comme une simple activité à la disposition de toute personne sans emploi. Selon elle, il s’agit aussi de corriger la fausse idée répandue que l’ESS et « l’économie des misérables » et « des pauvres ».

Et en tant que défenseure des droits humains et militante de longue date pour la promotion de l’économie sociale et solidaire, elle a renouvelé l’engagement de son groupe parlementaire de redoubler d’efforts pour poursuivre le plaidoyer de l’ESS et la réussite des quelque 53.000 coopératives que compte le pays, pour leur permettre de jouer pleinement leur rôle dans la création de la richesse et de contribuer à réduire les niches de précarité et de pauvreté et les taux de chômage élevés en particulier en milieu rural.

Pour y parvenir, a-t-elle estimé, l’Etat est appelé à accorder davantage d’intérêt au secteur, œuvrer pour la protection des droits de ceux qui s’y activent et innover en avançant de nouvelles idées à même de renforcer le rôle de ce secteur dans le tissu économique et social du pays.

Abdelahed Fassi Fihri :

Prenant la parole, Abdelahed Fassi Fihri, membre du bureau politique du Parti du Progrès et du Socialisme a indiqué qu’au-delà de la diversité de ses appellations dans l’histoire du pays, (Touiza, Nouba, Jamaâ, Kheima pour la gestion des ressources en eau et autres pratiques pour l’exploitation des pâturages), l’économie sociale et solidaire est profondément ancrée dans la culture marocaine et dans les traditions ancestrales du pays. Il s’agit donc, selon lui, d’un ensemble de modes qui se distinguent par la libre adhésion, une gestion démocratique et participative et qui sont au service de l’utilité sociale, étant donné qu’ils n’obéissent pas à la logique du marché.

Ils trouvent leurs fondements dans des principes progressistes et humains avant tout en adéquation avec les traditions et la religion musulmane qui sont au service de l’utilité sociale et collective.

Il a également indiqué qu’il est totalement faux de taxer de tels modèles d’ESS d’économie des misérables et des pauvres, puisqu’ils sont au service de la communauté et des groupes. Peut-être parce que de tels modèles sont souvent cités ensemble avec les programmes de lutte contre la pauvreté et l’aide veuves, a-t-il estimé.

Heureusement pour le secteur, ce dernier a été retenu dans le nouveau modèle de développement (NMD) comme étant productif et générateur de revenu et de valeur ajoutée, a-t-il dit, estimant qu’il mérite pour ce faire qu’on lui accorde un intérêt plus important.

En chiffres, la contribution du secteur dans le PIB est estimée par le Haut Commissariat au Plan à 2 ou 3%.

Oui, il est difficile d’évaluer de manière précise les composantes du secteur, mais il est vrai aussi que personne ne peut nier la contribution du secteur à l’œuvre du développement du pays, comme l’avait souligné Aziz Belal dans son ouvrage : les facteurs non économiques dans le développement.

Pour Abdelahed Fassi Fihri, le mérite de l’ESS au Maroc est de contribuer à atténuer les répercussions de la politique libérale sur les populations pauvres qui ne supportent leurs conditions difficiles de vie que grâce à l’impact de cette histoire d’entraide et de solidarité dans le pays et dans toutes les régions.

Pour le PPS, c’est dans l’économie socialiste que l’ESS trouve toute son expression et est en mesure de jouer pleinement son rôle en tant que pilier d’un tel mode de production.

Selon Abdelahed Fassi Fihri, le modèle de l’ESS a le mérite aussi de favoriser l’intégration économique de la femme et son autonomisation à travers la participation massive des femmes dans des coopératives artisanales ou agricoles et dans l’économie circulaire en général. Et ce en dépit des conditions difficiles qui leur sont imposées.

   Il a également fait savoir que l’ESS est l’espace idoine pour traiter les aspects économiques, sociaux, culturels et écologiques du développement.

C’est dans ce cadre précisément que de nombreuses communautés contribuent à lutter contre la déforestation et la désertification à travers le recours à des pratiques ancestrales, a-t-il dit, citant l’exemple de la localité d’Ait Tamjout où la protection de la forêt est assurée par les habitants. C’est là où la forêt se porte mieux,            a-t-il martelé, grâce à la participation des habitants.

Il a cité aussi le cas de l’arganier, dont l’exploitation est associée à sa protection et à la lutte contre la désertification. Malheureusement, la valeur ajoutée produite dans ce dernier cas, sensée profiter aux coopératives féminines est détournée au profit des intermédiaires, des entreprises et des multinationales qui ont mis la main même sur l’appellation Arganier en l’utilisant comme marque déposée.

Après le séisme d’Al Haouz, a-t-il ajouté, le programme royal de reconstruction lancé avec des moyens conséquents, a transformé cette catastrophe en occasion de développement global de toute la région. Lors du lancement de ce programme, des instructions précises concernant aussi bien l’utilisation des méthodes et des matériaux locaux que le respect de ce qui est patrimonial ont été données. Malheureusement, l’on est en train de s’écarter de ces orientations en se basant surtout sur les constructions en béton, car les responsables agissent selon la logique de dépenses, au lieu de tenir compte des considérations écologiques et environnementales.

Abdelahed Fassi Fihri a cité aussi l’exemple des oasis, qui ont toujours vécu avec les contraintes de la sécheresse et ce à travers le recours à des pratiques ancestrales qui font le consensus de tous les habitants pour gérer les quelque ressources en eau disponibles et faire face à la poussée du désert.

Malheureusement, les oasis et les communautés qui y vivent sont aujourd’hui menacés par certaines monocultures (variété de dattes du Majhoule), pratiquées par des investisseurs venus d’ailleurs et qui épuisent les ressources existantes.

Pour Fassi Fihri, il est indispensable pour les pouvoirs publics de soutenir l’ESS à travers notamment la formation et le renforcement des capacités pour permettre notamment aux coopératives de jouer pleinement un rôle hautement positif dans la lutte contre l’analphabétisme (Zagora), la promotion de l’agriculture bio etc….

Il a enfin proposé de ne pas imposer de nouvelles charges au secteur lors de son passage dans le secteur formel, recommandant de faire preuve de souplesse pour lui permettre par exemple de bénéficier de la couverture sociale et médicale.

Salwa Tazi : « L’ESS doit jouer véritablement son rôle en tant qu’économie complémentaire »

Pour sa part, Mme Salwa Tazi, directrice de la promotion de l’économie sociale au ministère du Tourisme, de l’Artisanat et de l’Economie sociale et solidaire, a exposé les grandes lignes de la stratégie gouvernementale pour le développement de l’économie sociale et solidaire et le renforcement du cadre juridique, à travers l’adoption d’une loi cadre et des décrets de son application.

Pour elle, il s’agit de faire en sorte que l’ESS joue véritablement son rôle en tant qu’économie complémentaire des secteurs économiques public et privé. 

Après avoir rappelé l’importance accordée au secteur, elle a indiqué qu’une nouvelle stratégie a été mise en place pour la promotion de l’ESS à l’horizon 2035 et lui permettre de créer de l’emploi et de la richesse et d’augmenter sa contribution au PIB.

Selon cette nouvelle stratégie, a-t-elle dit, il importe d’abord de doter le secteur d’un cadre juridique unifié, de faire en sorte qu’il ne soit plus considéré comme étant une activité vivrière, de le restructurer et de passer à la logique d’entreprise pour lui permettre de créer de l’emploi, de la richesse et de jouer un rôle plus important dans l’œuvre de développement du pays. 

Pour ce faire, a-t-elle dit, l’effort déployé est actuellement concentré sur l’élaboration d’une loi-cadre plus étoffée tout en tenant du contexte national et international hautement favorable au renforcement des activités de l’ESS.

Elle a ensuite passé en revue les efforts et les étapes franchies dans ce cadre et annoncé que le projet sera bientôt lancé dans le pipeline d’adoption en même temps que les décrets d’application probablement en octobre prochain.

Aicha Rifai ; L’ODCO propose des programmes de formation, d’information et d’assistance juridique aux coopératives 

De son côté, la directrice générale de l’Office du développement de la coopération (ODCO) Aicha Rifai a indiqué que l’ESS, un concept aux dimensions plurielles, couvre différentes pratiques en cours depuis longtemps au Maroc en matière d’utilisation des eaux, de Touiza, d’apiculture et d’autres activités et qui sont conformes aux enseignements de l’Islam et aux traditions marocaines.

Elle a fait savoir dans ce cadre que la création des coopératives se caractérise par la liberté d’adhésion, l’ouverture et la gestion démocratique, ajoutant que la pérennité de ces entités est tributaire notamment de la formation et du développement des capacités des adhérents.

Elle a indiqué de même que les adhérents peuvent être soit des personnes physiques soit des coopératives qui décident de mutualiser leurs efforts, rappelant que c’est le Plan Maroc Vert qui a permis la création du plus grand nombre de coopératives (30.000).

Elle a rappelé dans le même ordre d’idées que l’ODCO, placé sous la tutelle du ministère du tourisme, de l’artisanat et de l’économie sociale et solidaire, a pour mission de développer et de promouvoir une politique coopérative en proposant des programmes de formation, d’information et d’assistance juridique aux coopératives. Il compte 12 délégations régionales.  

Elle a fait savoir que le Maroc compte à présent quelque 53.000 coopératives qui s’activent dont divers domaines et en particulier agricole.

Pour l’ODCO, a-t-elle dit, le défi à relever pour les coopératives est de renforcer leurs capacités pour leur permettre de contribuer à hauteur de 8% au PIB à l’horizon 2035.

Elles sont actuellement handicapées par leur structuration défaillante, leur mauvais accompagnement et leur faible accès au financement, a-t-elle dit, ajoutant que l’ODCO aspire à ce que les entreprises soient considérées non pas comme des entités vivant de l’assistanat mais comme des entreprises qui ne comptent que sur leurs propres moyens.

Pour ce faire et agissant conformément à la loi 112.12 relatives aux coopératives, l’ODCO recommande notamment d’accorder des exonérations fiscales aux coopératives, de leur permettre d’accéder facilement aux marchés publics, de développer la recherche scientifique sur leur thématique et de les inscrire dans les programmes d’enseignement.

Il recommande aussi la digitalisation du secteur et la promotion de la bonne gouvernance des activités des coopératives, a-t-elle rappelé.

Yahia Ghomari : TAGHYIR, pour mutualiser les efforts

Quant à M. Yahia Ghomari, représentant du projet TAGHYIR, il en a exposé les grandes lignes, la vision et les objectifs, notant qu’un tel réseautage à grande échelle a pour but de mutualiser les efforts et les capacités du plus grand nombre d’entités pour le bien du secteur de l’ESS.

Ce projet s’inscrit, selon lui, dans le cadre d’une convention financée par l’Agence espagnole de coopération internationale pour le développement (AECID), à travers l’Assemblée de coopération pour la paix (ACPP) sur une durée de 4 ans (février 2023-mars 2027). Il comprend une série d’actions à mener au niveau national et régional dans le but d’améliorer les conditions de vie des personnes.

Sont concernées par le projet les associations : Union de l’action féminine de Tanger, homme et environnement de Berkane et Thissaghnasse de la culture et le développement de Nador.

Asmaa Diani : renforcer les capacités des coopératives

Au cours de la deuxième séance de cette rencontre, Mme Asmaa Diani a passé en revue les réformes à entreprendre pour booster le secteur de l’ESS, à la lumière notamment d’un certain nombre d’expériences internationales, qui considèrent qu’il s’agit d’un secteur productif et créateur de valeur ajoutée et en mesure de constituer un des piliers du développement.

Pour ce faire, a-t-elle dit, il importe notamment de renforcer le secteur et en particulier des capacités des coopératives et autres institutions en activité et d’explorer de nouvelles filières, tout en améliorant les modes de gestion et de gouvernance et en créant in fine une agence nationale sous forme de guichet unique en charge du secteur.

Mounir Ghazoui : renforcer le secteur et en particulier des capacités des coopératives

De son côté, Mounir Ghazoui, président du réseau marocain de l’ESS, a passé les défis auxquels le secteur est confronté tout en suggérant une série de propositions pour les dépasser.

Après avoir rappelé que le secteur compte quelque 259.000 unités, il a recommandé de travailler selon une approche contractuelle pour leur permettre notamment d’accéder aux marchés publics. Il a proposé aussi que le secteur soit doté d’un cadre juridique adapté pour lui permettre de jouer pleinement son rôle dans l’amélioration des conditions de vie des citoyens.

Une série de recommandations ont été exposées, à l’issue de cette journée, dont les travaux ont été marqués par un débat intense avec la participation de nombreux représentants d’associations venus de différentes régions du pays.

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