La Faculté des Lettres et des Sciences Humaines Dhar El Mehraz de Fès a inauguré l’illustre écrivain et chercheur émérite Bernoussi Saltani, lors de deux journées d’études coordonnées par le Professeur et critique d’art Abderrahim Kamal. Les deux journées d’études ont été consacrées d’une part à la présentation du n° 35 de la Revue semestrielle sur les Cultures et les Littératures nationales d’expression française «Interculturel francophonies», publiée en juin-juillet 2019 par l’Alliance française de Lecce en Italie, et d’autre part, à la réception critique de l’œuvre littéraire de Bernoussi Saltani.
La première journée a permis aux enseignants et aux étudiants chercheurs de participer activement au débat d’idées ouvert autour du dénier numéro de «Interculturel francophonies» dédié à l’écrivain marocain Mohamed Khair-Eddine, enfant terrible et guérillero littéraire. Ont collaboré à ce numéro spécial des chercheurs, des intellectuels et des écrivains (dont Marc Gontard et Fouad Laroui) appartenant à des géographies différentes mais animés par le souci de revisiter l’œuvre de Khaïr-Eddine, une œuvre colossale et singulière dans le paysage des lettres marocaines et magrébines.
Dans la présentation du numéro, Bernoussi Saltani écrit : «Mohammed Khaïr-Eddine appartient à cette tribu d’écrivains exceptionnels qui n’ont pas atteint le baccalauréat comme Emile Zola, André Malraux, Jean Cocteau, Guillaume Apollinaire et Jean Giono ou qui ont eu juste le bac tel Claude Simon, pour ne citer qu’une poignée de ces génies. A la fille du Général français dont il fut amoureux et qui lui rappelle que pour devenir poète ou écrivain «il faut faire des études universitaires », il répond : « Tiens ! C’est une chose que je ne savais pas». (Une vie, un rêve, un peuple, toujours errants, p. 153). Il ne fut ni «Docteur d’Ifrane» comme Khatibi ni «Docteur Honoris causa» comme Laâbi ! Il se voulait libre aussi de ces distinctions. Grâce ou à cause de cette singularité, Mohammed Khaïr-Eddine (194…-18 novembre 1995) a semé la terreur dans des textes terriblement beaux et dans les esprits de son pays natal, en y vivant pleinement sa révolte et sa marginalité, puis à partir de son exil visionnaire et non comme, on aime à le dire, volontaire…».
Ce numéro coordonné par le Professeur Bernoussi Saltani nous permet aujourd’hui de renouer avec les moments-phares de notre littérature, et ce, en la revisitant autrement, dans le sillage d’une nouvelle ère où le Maroc a choisi vivement d’aller de l’avant tout en relisant son passé politique, littéraire, philosophique et artistique. La voix de Khaïr-Eddine est de retour, avec force et bonheur dans cette somme qui en fait non seulement l’éloge, mais encore la reconnaissance.
C’est avec Mostafa Nissaboury que Mohamed Khaïr-Eddine «signe en 1964 le manifeste Poésie toute, avance Saltani, et crée la revue Encres vives qui disparaîtra très rapidement pour laisser la place à Souffles. Le manifeste et la revue météorique ouvrent la voix et la voie à la révolution poétique et culturelle au Maroc, rompant définitivement avec la culture coloniale et post-coloniale entretenue par le Cercle des amitiés littéraires et artistiques, soutenu et financé par l’Ambassade et l’Alliance françaises. » Un grand homme des lettres marocaines qu’on n’a pas encore lu et qui mérite plus d’un hommage et plus d’une rencontre scientifique.
La deuxième journée, quant à elle, a été consacrée à l’œuvre du poète et écrivain marocain Bernoussi Saltani. Les chercheurs qui se sont attelés à la lecture active de l’œuvre de Saltani ont pu, à l’unanimité, repérer la profondeur abyssale que recèle cette œuvre qui va de la poésie à la narration. Outre ce, les chercheurs ont montré la singularité esthétique de l’écriture de Saltani, lequel fait de son œuvre un carrefour, un lieu d’enchevêtrement et de dialogue de plusieurs genres littéraires, ce qui fait de lui un rhapsode, un artiste compositeur créant son monde à partir des traces, des images et des voix qui accompagnent son dire mnésique.
«Homère à Bab Ftouh de Fès» (Sagacita, Tanger, 2018) et «Fragments… d’enfance» (Sagacita, Tanger, 2019) sont des textes à lire dans un bonheur inouï. Dans un style raffiné et élégant, Saltani y raconte le Maroc de son enfance, ce Maroc où la «halqa» et le conte populaire contribuaient à la fabrique d’un sujet pensant et écrivant.
Saltani vit actuellement entre le Maroc, la France et l’Allemagne. Il se consacre entièrement à l’écriture.
Atmane Bissani