Mohamed Nait Youssef
L’enfant terrible de la littérature marocaine. Rebelle, anarchiste, bon vivant, prolifique, Mohammed Khaïr-Eddine est un poète et romancier qui échappe à toutes classifications. Son style est inimitable, sa culture et son imaginaire sont très vastes et ouverts sur d’autres horizons de pensée et de créativité. Fils prodige d’Agadir à laquelle il consacra un premier roman éponyme, une œuvre romanesque qui a été chaleureusement accueillie par le monde littéraire et de la critique, Khaïr-Eddine était l’un des fondateurs de la fameuse revue «Souffles», créée en 1966, aux côtés des poètes Abdellatif Laâbi et Mostafa Nissaboury, rejoints par la suite par les peintres Mohamed Melehi, Farid Belkahia et Mohammed Chabaa.
Ecrivain aux semelles de vent
Il fut également l’un des signataires du manifeste «Poésie Toute», en 1964, avec le poète Nissaboury. C’est à la petite ville de Tafraout, au sud du pays, que Mohamed Khair-Eddine a vu le jour, en 1941. Une myriade de rochers de formes diverses couvrant les yeux, des paysages et une vallée fabuleuse coupant les souffles, ont marqué l’enfance du romancier et poète aux semelles de vent. Ses déplacements, nombreux d’ailleurs, entre Agadir (1961-1963), Paris (1965-1979), Casablanca et Rabat, où il s’éteint le 18 novembre 1995, ont enrichi davantage ses expériences personnelles et professionnelles. Le vecu joue parfois son jeu en changeant des destinées. La preuve ? Son nom a marqué la scène littéraire d’ici et d’ailleurs. En effet, ses articles et critiques publiés dans plusieurs revues marocaines et étrangères, entres autres, «Encres» «Vives», «Dialogues», «Lettres nouvelles», «Présence africaine» en témoignent. Une présence permanente. Infatigable. Malgré les vents et marées de la vie, Mohamed Khair-Eddine n’a pas rompu le lien avec l’écriture, sa première passion. Or, il a laissé derrière lui une œuvre romanesque et poétique immense qui dépasse les frontières.
Agadir : un trauma textuel
Mohammed Khaïr-Eddine a été profondément marqué par le tremblement de terre qui a secoué la ville d’Agadir. Son enfance à Tafraout était également l’un des événements marquants de sa vie. Par, Khaïr-Eddine considère qu’un texte, comme celui d’Agadir, est constitué par une théâtralité, mais aussi de tensions quasi sismiques que la relation qui existe entre Agadir et son écriture. D’ailleurs, c’est la raison pour laquelle il fait intervenir dans ses textes un certain théâtre fort et hurlé. A vrai dire, Agadir et le séisme de 1960 ont joué un rôle central dans sa contextualité. Agadir est un trauma textuel, dit-il. Car, ses livres sont traversés et bouleversés par cet événement important de l’histoire contemporaine du Maroc. «Il y a une espèce de multiplication de l’écho dans mes œuvres. Il est un symbole de ce figement social des individus et de cette espèce de méfiance qui les caractérisent, de cette angoisse qui les anime.», a-t-il révélé. L’écriture n’est que ce cri contre le silence déraisonnable du monde. Elle est aussi un écho des souvenirs remontant aux temps lointains, une façon de dire les choses telles qu’elles sont. Khaïr-Eddine n’avait pas la langue dans sa poche. Il ne mâchait pas ses mots. Il était connu par son franc- parler, mais sincère.
Une voix poétique terrible venue du Sud
Mohammed Khaïr-Eddine a été influencé par son entourage et son environnement culturel et social. La nature dure et son vécu ont eu un impact sur ses écrits et ses pensées. Très tôt, il révèle cet amour pour la poésie et la force du verbe. A l’époque, c’est-à-dire dans pendant les années soixante, écrire surtout de la poésie, à travers le monde, est un acte révolutionnaire. Alors, Khaïr-Eddine rêvait devenir poète. Il fut son premier souhait en pénétrant dans le monde de la création et de l’écriture. Très jeune, il découvrait au lycée la voix poétique emblématique du chanteur égyptien, Mohammed Abdelwahhab. Dans cette aventure poétique, il se cherche, il était à la quête permanente de son propre style et sa marque de poète. Au début, il a commencé à envoyer ses premières tentatives d’écriture au journal «La Vigie marocaine».
Khaïr-Eddine a été attaché à sa terre, à sa culture amazighe, à la richesse de sa culture. Ainsi, cet amour de la poésie a été traduit par des titres qui ont été édités par les différentes maisons d’édition, entre autres, «Nausée noire» (Londres, 1964), «Faune détérioré» (Encres vives, Bram, 1966) et «Le roi» (Jean-Paul Michel, Brive, 1966). Il a également publié chez les éditions du Seuil à Paris, des œuvres importantes et marquantes, telles que «Légende et vie d’Agounchich» (Le Seuil, 1984), «Résurrection des fleurs sauvages» (Editions Stouky, Rabat, 1981), «L’Odeur de Mantèque», «le Déterreur» et «Il était une fois un vieux couple heureux.» Et ce n’est pas tout. L’écrivain a enrichi la bibliothèque nationale et internationale avec des livres, entre autres, «Corps négatif, suivi de Histoire d’un Bon Dieu», «Soleil arachnide», «Moi l’aigre», «Ce Maroc», «Une vie», «un rêve», «un peuple» ou encore «Toujours errants». Ces écrits ont été derrière le succès de Mohammed Khaïr-Eddine dont la plume a été appréciée par le philosophe, romancier et penseur français, Jean Paul Sartre.