Conseil national de la presse: un nouveau palier franchi pour le parachèvement de la réforme

Durant toute son Histoire, le champ médiatique national a souvent été le théâtre de tensions,de conflits idéologiques, politiques et économiques, avec des velléités de domination entre ses principaux acteurs.  Ainsi, la mainmise sur ce secteur relevait d’un enjeu politique de première importance.

La presse, figurant parmi les médias chauds, si l’on permet de paraphraser l’heureuse expression du penseur canadien, Marshall Macluhan, n’a pas dérogé à cette règle sociologique. La censure et l’interdiction des supports ont été des armes de dernier recours du pouvoir politique pour assurer son hégémonie souvent contestée. Autrement dit, la régulation du secteur, qui pour l’essentiel concerne les programmes et l’information, s’opérait dans un jeu d’acteurs qui relevait plus de la société de cour, décrite par Norbert Elias. En fait, la liberté d’expression et la démocratisation du champ journalistique et son indépendance, visant à garantir une information de qualité, ont figuré continuellement sur l’agenda des revendications des forces vives et progressistes du pays. On se souvient encore du mémorandum présenté par les Partis du bloc démocratique (USFP, PI, PPS, PI) soumis à feu Hassan II en juin 1992 pour la réforme constitutionnelle, contenant un point d’une importance cruciale pour entamer la transition démocratique, celui de la mise en place d’un Conseil supérieur de l’information. Il fallait donc attendre l’année 1998 et plus précisément le gouvernement d’alternance dirigé par Abderrahmane El -Youssoufi, pour qu’enfin, le département de communication soit attribué à un politique issu du PI, en l’occurrence Mohamed Larbi Messari.

La réforme…une volonté royale

Encore plus, lors du discours royal prononcé à l’occasion de la fête du trône en juillet 2005, SM le Roi Mohammed VI a même appelé à ce que «les médias constituent…un partenaire clé pour ancrer et consacrer les valeurs de citoyenneté positive» et «s’acquitter au mieux de leur noble mission en matière d’information et de sensibilisation de l’opinion publique et d’affermissement de la démocratie».  La volonté royale a été concrétisée en 2005 par l’adoption de la loi n° 77-03 portant sur la communication audio-visuelle. Pour certains analystes, «en libérant» le secteur des médias du joug du ministère de l’Intérieur, cela constitue un nouveau palier franchi dans la consécration du processus de transition démocratique. Depuis, d’autres mesures ont été prises afin de donner un nouvel élan à la réforme… dont la dernière relative à l’approbation de la loi 90-13 portant création du Conseil national de la presse.

Guerre des déclarations

Ce conseil avant même de voir le jour suscite de la part des candidats des listes en lice, des actions et des réactions, parfois des critiques acerbes quant à son élection. D’ailleurs, les candidats des listes «Le Changement» et «Fidélité et responsabilité», conduites respectivement par Ali Bouzarda et Abdessamad Bencherif ont mis en cause le processus des préparatifs des élections prévues le 22 juin prochain, apprend-on dans un communiqué rendu public. La même source ajoute que la réforme des médias devrait se faire en dehors de toute polarisation idéologique, des calculs politiciens ou agendas syndicaux.

De son côté, le Syndicat national de la presse marocaine (SNPM) a dénoncé avec insistance les comportements du directeur général de l’agence Maghreb arabe de presse, qui a procédé, à la généralisation dela distribution d’un formulaire sur les journalistes de ladite Agence pour le signer et mandater un avocat pour mener une action devant la justice visant à décrédibiliser le travail de la commission de supervision des élections du CNP, lit-on dans un communiqué rendu public.

La même personne a chargé des journalistes pour déposer  plainte devant la justice, mettant en cause l’action de la commission de supervision des élections, sachant que cette dernière est présidée par un panel composé d’un magistrat mandaté par le Conseil supérieur du pouvoir judiciaire et des représentants du ministère de la communication, du Conseil national des droits de l’Homme, de l’association de l’ordre des avocats et des instances les plus représentatives du corps des  journalistes et celui des éditeurs», souligne le communiqué. Dans le même ordre d’idées, le SNPM considère que ces comportements constituent une grave ingérence, non fondée juridiquement, de la part d’un fonctionnaire d’Etat, censé faire preuve de neutralité et a appelé le gouvernement à faire face à ce genre d’attitude visant à saper le processus des élections du CNP.

Des attributions importantes

En dépit des critiques et des guéguerres des parties en lice, cela n’enlève rien au fait que l’adoption de la loi 90-13 portant création du CNP s’inscrit dans un vaste chantier visant à parachever la réforme du secteur. De l’avis quasi-unanime des candidats en lice, ledit texte confie des attributions importantes aux membres devant siéger au Conseil. En termes plus clairs, on assiste à un passage de la régulation exercée par l’Etat à une autorégulation du secteur effectuée par les journalistes et professionnels eux-mêmes.  Démocratie oblige!

D’ailleurs, le premier article a été on ne peut plus clair et dispose que le Conseil veille à la promotion de la liberté de la presse et de l’édition, l’autogouvernance en toute indépendance et ce, sur des bases démocratiques. Dans un premier temps, les membres du CNP auront ainsi la lourde tâche d’élaborer son règlement intérieur et celui du Code de déontologie de la profession dans un délai n’excédant pas six mois. S’inscrivant dans l’ère du temps, le texte de loi a, en outre, instauré des mécanismes de médiation et d’arbitrage en cas de contentieux, tout en dotant le conseil d’un pouvoir disciplinaire. Il faut dire, d’un point de vue juridique, que ce texte ambitionne de donner un nouvel élan au secteur de la presse, du moins en ce qui concerne la valorisation du métier mais aussi l’établissement de nouvelles relations basées sur la confiance.

Mais, il faut dire que la mise en place de ces objectifs requiert, avant tout, une détermination de la part des membres du Conseil pour faire aboutir ce chantier. Des membres à l’écoute des acteurs du secteur, faisant preuve de cohérence et de professionnalisme, loin des polarisations idéologiques et politiques.

Khalid Darfaf

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