Demain ne sera-t-il fait que d’incertitudes?

L’espoir suscité par l’avènement proche d’un nouveau modèle économique en conformité avec les déclarations solennelles de «répondre aux impératifs de bonne gouvernance… alliant croissance économique pérenne, développement durable et solidarité́ sociale» va-t-il être contrarié par les conditions de la reprise après l’inertie imposée par l’épidémie de la covid-19?

Avant l’attaque du coronavirus 2, l’intégration à la mondialisation imposait le pas avec l’emprise de la marchandisation dans tous les aspects de la vie. Il s’ensuivit que le profit des uns, très minoritaires dans la société, accentuait la détérioration des conditions de vie des autres qui en constitue la plus grande majorité. Les plus fortunés ont plus de chance d’accéder aux services, les meilleurs. L’argent étend sans limites son pouvoir par le forçage de la monnaie sur les activités et les rapports sociaux.

Cela déteint non seulement sur le plan économique mais aussi sur le politique et les conceptions idéologiques. Tout se perd et tout se transforme dans une société, composite et en patchwork, où rien ne va plus pour celles et ceux qui préconisent l’amélioration des relations sociales par l’établissement de la justice et du bienêtre. Dans ce contexte, l’appauvrissement du champ politique accroît la complexité de la consolidation du processus démocratique qui devient une préoccupation majeure. Le populisme, l’obscurantisme, l’identitaire passéiste, le nihilisme, l’affairisme et la pratique de la surenchère  contribuent à la négation des efforts entrepris, favorisent l’opportunisme et rendent l’horizon invisible.

La réponse faite à la crise sanitaire va imposer le débat sur le rôle de l’Etat et sur celui du service public faisant face à l’épidémie et affrontant ses conséquences sociales, suite au confinement. Des voix se sont exprimées alors pour clamer l’opportunité d’une refondation de l’action publique en mettant la personne humaine au centre des intérêts ; d’autres, moins préoccupées par les réclamations de la vox populi, ne perçoivent en cela qu’une «illusion» car «des paramètres majeurs ne sont pas encore prévisibles».

L’indigence du débat public, voire son absence, empêche la clarification sur ces «paramètres majeurs» qui relèvent aussi bien des contraintes de la situation intérieure que de celles qui prévalent à l’échelle régionale et mondiale. Toutefois et au-delà de cette «incertitude», on peut s’interroger sur la volonté réelle de vouloir se libérer de l’emprise débridée du marché  et de ses principes dictés «libéralisation, dérèglementation, équilibre budgétaire, privatisation et fiscalité», et revenir à une pratique du marché moins prégnante et plus maitrisée par L’Etat. Un Etat fort par sa démocratie et par sa politique sociale; un Etat stratège et régulateur, souverain, autonome et résilient.

Quoiqu’il en soit de cette voie de reprise, entre la persévérance néolibérale et la   refondation, il s’agit, dés ce jour où le confinement s’allège, de réfléchir et d’agir au dépassement des dysfonctionnements apparus. Les déficits de notre société, dans sa gouvernance actuelle, révélés par la crise sanitaire et les décisions nécessaires à la prophylaxie, vont-ils être comblés ?

Sans prétendre à l’exhaustivité, ces déficits et ces dysfonctionnements sont en relation avec la partie de notre société immergée dans l’informel pour subvenir à ses besoins. Les disparités spatiales ont contribué au retard apporté à la distribution de l’aide sociale. La fracture numérique a constitué un handicap pour l’usage du digital dans le respect du confinement. Le non respect du code du travail et des mesures de sécurité sanitaire dans certaines entreprises ont été à l’origine d’apparition de foyers de contamination… La reprise socioéconomique mettra à nu les insuffisances cumulées par des gouvernances qui ferment l’œil sur l’application de la loi sous la pression et les tentations occultes.

La mise à niveau demandera un effort de l’ensemble des administrations publiques pour assainir la situation et permettre à tout un chacun de répondre à ses devoirs et de bénéficier de ses droits. Cet effort, multiforme et nécessaire à plus d’un titre, ne peut se faire par le « marché». C’est ce dernier par ses pseudopodes nombreux et diversifiés qui crée le «bidonville» et maintient sa population dans une marginalisation socioéconomique et civique qui sert son expansion. L’Etat ne peut être conçu comme l’éboueur de service du «marché» et la société ne peut devenir schizophrène dans son ensemble : une partie de la société qui tient la façade  et une autre qui est cachée.

Il reste aussi à répondre sur le devenir de la dette publique et sa soutenabilité. Comment la dette enregistrée lors de la gestion de la covid-19, acceptée par tous, l’endettement qui sera nécessaire à contracter pour la relance et celui antérieur à la crise covidienne seront-ils réglés et selon quelles procédures ?

Les difficultés inhérentes à la relance de l’activité socioéconomique et le besoin de booster «la machine» nécessitent de disposer des moyens financiers pour le faire. «Le marché» ne peut que pousser vers l’usage du crédit, à l’international ou auprès des banques. Sa contribution dans un effort qui lui permettra de se reprendre et d’assumer sa responsabilité sociale lui fait horreur. Pire, il cherche même à profiter des subsides du «Fonds spécial pour la gestion de la pandémie du Coronavirus».

La réforme fiscale, envisagée depuis fort longtemps, sera-t-elle mise en application pour affecter l’ensemble des contributeurs potentiels d’une manière juste et équilibrée ? Et la monnaie dans tout cela. Son rôle est primordial dans le maintien d’une ligne souveraine apte au développement durable du pays et à l’épanouissement de ses forces productives. Sa circulation, comme celle du sang dans le corps, ne peut souffrir d’une mauvaise distribution ou d’un surpoids qui aggraverait les souffrances de notre peuple…

Si les réponses doivent exister dans l’esprit des responsables gouvernementaux et autres membres du Comité de Veille Economique, les marocaines et les marocaines restent dans l’attente, dans un manque de communication officielle et dans le besoin de la clarification par le débat qui font qu’ils s’interrogent si demain ne sera-t-il fait que d’incertitudes?

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