Des villes hors zone!

La saison des avant-premières bat son plein ; des films inédits se bousculent au portillon. Cela a commencé en automne et continue de plus bel en hiver. Faut-il rappeler en effet que sur les modiques statistiques du cinéma marocain, 1.500.000 entrées en 2018, les meilleurs scores du box office sont réalisés au mois de janvier.

C’est ainsi qu’en 2018 toujours, ce mois frileux a enregistré 230 000 entrées contre par exemple 54 000 au mois de juin ! (l’effet ramadan ? les examens ?)…

On comprend alors que beaucoup de producteurs cherchent à placer leur film dans ce segment porteur qui va d’octobre à avril, le premier mois de l’année étant le point paroxystique de la fréquentation. Des projections spéciales sont ainsi organisées pour annoncer ces sorties.  Les avant-premières sont, en effet, un outil de promotion qui, normalement, va dans ce sens. Dans une société où la tradition orale est ancrée dans les mœurs médiatiques et où le bouche à oreille fonctionne comme une «arme de destruction massive», le «qu’en dira-t-on» du lendemain de la sortie du film joue plus que les articles critiques, très rares et presque clandestins par ailleurs.

C’est pour dire qu’une avant-première réussie est plus efficace en termes de retombées commerciales que le dérisoire spot publicitaire télévisé. Sauf que…en la matière aussi la profession fait souvent preuve de manque de professionnalisme. Les avant-premières sont souvent montées à la hâte et ne reflètent pas un réel souci du devenir du film.

En outre,  L’alliance tripartite, producteur-distributeur-exploitant souffre de dysfonctionnements chroniques, les uns et les autres s’accusent mutuellement de manquer aux engagements. Et le bureau du directeur du CCM est encombré  de doléances émanant notamment des producteurs qui en veulent aux distributeurs…Et ces derniers qui crient aux diktats des exploitants.

Or, la vie d’un film dépend en grande partie des soins que l’on apporte à ses premiers contacts avec le grand air. D’autant plus que le rayon d’intervention d’un film marocain se réduit d’année en année. Le dernier bilan établi par les services du Centre cinématographique marocain est révélateur de la carte couverte par la sortie d’un nouveau film.

Si l’on se focalise souvent sur les nombre de salles dans le pays (une trentaine en 2018), le chiffre le plus révélateur concerne l’espace géographique touché  par ce parc restreint :  le cinéma comme pratique sociale urbaine est tout simplement en train de disparaître; des villes entières sont hors zone et ne voient plus arriver des films dans des conditions cinématographiques. Elles sont encore huit villes où le spectacle cinématographique fait de la résistance: Marrakech, Casablanca, Rabat-Salé, Meknès, Fès, Oujda, Tétouan, Tanger. Avec une précision de taille, sur l’ensemble des entrées, les deux tiers sont enregistrées à Casablanca !!!

La lecture de la carte de l’exploitation cinématographique révèle un autre paradoxe marocain ; notamment quand il s’agit de croiser les chiffres de la fréquentation des salles et la carte des festivals et manifestations cinématographiques.  Si ces derniers se multiplient d’année en année, leur progression ne signifie nullement un développement de la cinéphilie et la création d’une demande cinématographique.

L’impression qui se dégage est que les festivals sont perçus comme un palliatif à la disparition des salles alors qu’en principe, ils doivent doper le désir du cinéma, favoriser le retour à la salle de cinéma. Nous avons ainsi des régions qui abritent une dizaine de manifestations cinématographiques sans aucun retour bénéfique pour l’activité cinématographique durant le reste de l’année : par exemple, aucun nouveau film marocain ne bénéficie d’une sortie dans ses régions.   De quoi interpeller la commission de subventions des festivals.

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