«Le développement de l’enseignement de l’amazighe connaît un retard notable»

Elle est l’auteure de l’ouvrage «Gender, Literacy and Empowerment in Morocco» paru aux éditions Routledge. Fatima Agnaou est aussi co-auteure d’ouvrages sur l’alphabétisation, de manuels scolaires, de guides pédagogiques, d’études sur l’évaluation des apprentissages en amazighe et de rapports sur la participation de la femme dans la vie active.

Al Bayane : De prime d’abord, qui est Fatima Agnaou?

Fatima Agnaou : Je suis originaire de Doussderm, un village proche de la ville de Tafraout dans la région Souss-Massa. Je suis Directrice de recherche à l’Institut Royal de la Culture Amazighe (IRCAM). Je suis titulaire d’un doctorat d’Etat et mes domaines de recherche concernent la didactique des langues, la formation des formateurs, la littéracie, la confection des manuels scolaires, la littérature de jeunesse et l’autonomisation de la femme.

Je suis auteure de l’ouvrage «Gender, Literacy and Empowerment in Morocco», éditions Routledge, New York, et d’une série de supports pédagogiques (nouvelles, contes, comptines, imagiers et Cd éducatifs) et d’articles scientifiques parus dans des revues nationales et internationales. Je suis co-auteure d’ouvrages sur l’alphabétisation, de manuels scolaires, de guides pédagogiques, d’études sur l’évaluation des apprentissages en amazighe et de rapports sur la participation de la femme dans la vie active.

J’ai été professeure invitée dans de nombreuses universités internationales, en l’occurrence, aux USA à l’université de Pennsylvanie, l’université Georges Washington, l’université Harvard ; en Hollande, l’université de Tilburg, en Grande Bretagne, l’université d’Edinburgh et en France, l’IREMAM à Aix-en-Provence.

Sur le plan national, j’ai été membre de commissions d’expertise et de consultation auprès du Ministère de l’Education Nationale, du Conseil Supérieur de l’Enseignement et auprès de la Fondation BMCE. J’ai aussi assuré l’encadrement des étudiants relevant des universités nationales.

Par ailleurs, j’ai été secrétaire générale de l’Association des femmes pour le mentoring et le networking (RFMN). En outre, j’ai été Master facilitatrice en monitoring féminin et en citoyenneté active.

Quel bilan dressez-vous de l’enseignement de l’amazighe au Maroc?

L’IRCAM a été le laboratoire de la recherche. Dans ce cadre, des efforts ont été fournis pour doter la langue amazighe de fondements essentiels pour son enseignement, à savoir une graphie normée, une orthographe stabilisée, une grammaire et conjugaison de référence, une anthologie de textes, des modules de formation, des manuels scolaires, des guides de l’enseignant et des supports didactiques (contes, comptines, histoires illustrées, imagiers, cd éducatifs, lexique scolaire, etc.).

Sur le plan de la mise en place de cet enseignement, le Ministère de l’éducation nationale a édité des circulaires ministérielles organisant sa généralisation, la formation et le recrutement de ses enseignants et la gestion de son enveloppe horaire.

Toutefois, le développement de cet enseignement connaît un retard notable quant aux objectifs tracés par rapport à sa généralisation dans l’enseignement primaire et à son introduction dans l’enseignement collégial et secondaire. Ce retard s’explique, à mon avis, par l’incohérence et la discontinuité en matière de politique éducative dans les décisions des différents gouvernements qui se succèdent. En outre, depuis sa reconnaissance en tant que langue officielle aux côtés de l’arabe à partir de juillet 2011, le développement de l’enseignement de l’amazighe connaît un stand-by provoqué par l’attente de la loi organique devant fixer la fonction de cette langue au sein du système d’éducation et de formation.

Cette situation a donné lieu à des conséquences fâcheuses sur la continuité de l’enseignement de cette langue, sa généralisation et sur sa maitrise. Par ailleurs, on note qu’il n’y a pas eu une évolution significative de l’enseignement de l’amazighe dans la vision stratégique (2015-2030) du Conseil Supérieur de l’Education, de la Formation et de la Recherche Scientifique (CSEFRS) en comparaison avec les choix et les orientations du Livre blanc du Ministère de l’Education Nationale (2002). On relève, plutôt, un recul par rapport aux fonctions de cette langue dans le préscolaire où seuls l’arabe et le français sont dispensés, et dans le primaire où son enseignement est limité au développement de la compétence orale en premier cycle du primaire.

Comment évaluez-vous la contribution de l’IRCAM à cet enseignement?

L’IRCAM est considéré comme étant un espace de recherche scientifique et de recherche action pour la promotion de langue et la culture amazighes dans divers secteurs sur le plan local, national et régional. Grâce aux efforts déployés par les centres de recherche affiliés à cette institution dans les domaines de la didactique, la linguistique, la littérature, l’histoire, l’anthropologie et la technologie, l’amazighe est devenue une langue de littéracie et dispose d’un arsenal pédagogique qui lui permet d’être non seulement une langue enseignée mais aussi une langue d’enseignement dans les Filières et Master de langue et de culture amazighes.

Par ailleurs, l’IRCAM a contribué aux projets de réforme qu’a connus le système d’éducation et de formation de 2002 à 2017, en l’occurrence, le Livre Blanc, le Plan décennal des langues (PDL), Le Plan d’urgence (PU), la Pédagogie d’intégration (la PI), la révision des programmes scolaires et la Vision stratégique de la réforme lancée par le Conseil Supérieur de l’Education, la Formation et la recherche Scientifique (CSEFRS).

Le travail accompli par l’IRCAM a permis d’assurer à l’amazighe une place dans le système d’éducation et de formation et à l’université. Ainsi, des filières et des masters au sein des facultés et des centres de formation de cadres pédagogiques spécialisés ont été créés. En outre, les acquis enregistrés dans le domaine de son aménagement et sa réhabilitation ont abouti à son officialisation.

Il conviendrait de préciser que la contribution de l’IRCAM à l’enseignement de l’amazighe a été rendue possible suite au discours du Trône (juillet 2001) de Sa Majesté Mohammed VI qui appelle à l’introduction de l’amazighe à l’école et grâce à son soutien à cette institution depuis la promulgation du Dahir portant création et organisation de l’IRCAM en octobre de la même année.

Qu’apporte le CRDPP à cet enseignement?

Le travail entrepris par le Centre de la recherche didactique et les programmes pédagogiques de l’IRCAM consiste essentiellement en la construction d’une didactique selon le courant praxéologique dont le mode de recherche fondamental est la recherche action.

Les problèmes posés sur le terrain sont observés et traités dans le cadre de fondements théoriques inspirés de la linguistique appliquée, la sociolinguistique, la psycholinguistique, la sociologie, les neurosciences et l’histoire de l’enseignement des langues.

Ce travail a donné lieu à la préparation de la langue amazighe à devenir une langue enseignée dans l’enseignement scolaire (formel et non-formel), dans les instituts supérieurs de formation de cadres, pour les étudiants en stage académique au sein du CRDPP et pour toute personne désireuse d’apprendre cette langue en délimitant les compétences et les savoirs à développer et en élaborant des programmes et des supports pédagogiques adaptés aux besoins de chaque catégorie de ces bénéficiaires.

En outre, la recherche entreprise par le CRDPP a permis la production de modules et de guides en vue d’accompagner les formateurs, les inspecteurs et les enseignants permettant de construire un savoir didactique susceptible de les aider à faire face à la diversité des situations rencontrées sur le terrain et d’agir en professionnels dans tous les contextes d’enseignement auxquels ils seront confrontés.

Par ailleurs, les acquis des apprenants et les pratiques enseignantes ont fait l’objet d’études et d’évaluations entreprises par le CRDPP. L’objectif de ces travaux de recherche est de combler un vide dans le domaine de la didactique de l’amazighe.  Leur finalité est de contribuer à la qualification de l’enseignement de cette langue selon une démarche qui vise le développement, la capitalisation des acquis et le dépassement des dysfonctionnements dans un contexte marqué par des réformes éducatives qui visent la maitrise des langues.

Sur quels projets vous penchez-vous en tant que chercheure?

Les projets sur lesquels je me suis penchée, depuis mon détachement à l’IRCAM en juillet 2002, s’inscrivent dans les axes stratégiques de cette institution à savoir, la recherche action, l’éducation et la formation, le rayonnement et la communication et l’édition. Dans la mesure où je suis didacticienne de formation, et tenant compte de mon itinéraire  de professeure de langue anglaise et de formatrice, ce sont les travaux à vocation didactique et pédagogique qui constituent la pièce maîtresse de mon travail au sein de cette institution. Mon objectif est de contribuer à la préparation de la langue amazighe à devenir une langue de littéracie tout en respectant son génie sur le plan linguistique, culturel et communicationnel.

Mes activités de recherche, de communication et mes publications appréhendent plus particulièrement le développement d’une didactique adaptée à l’amazighe en développant des programmes d’étude, des supports pédagogiques, des approches et méthodes pour l’enseignement-apprentissage de cette langue tout en analysant ses fonctions et les conditions de son introduction dans le système d’éducation et de formation et en évaluant le rendement des apprenants. Mes activités d’éducation et de formation ont pour objectif majeur le développement de l’enseignement de l’amazighe et sa qualification par la formation et l’encadrement des acteurs pédagogiques (enseignants, inspecteurs, directeurs d’écoles et formateurs).

Votre dernier mot

Comme on peut le constater, plusieurs défis ont été relevés pour que l’amazighe soit introduit dans l’éducation. Certes, c’est une tâche difficile, mais elle n’est pas impossible. Il suffit de disposer de la volonté de réunir les conditions pour sa réalisation.

Propos recueillis par Moha Moukhlis

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