Tayssir, «Initiative 1 million de cartables», RAMED, «villes sans bidonvilles»… ces programmes destinés à réduire les inégalités sociales au Maroc ne seraient qu’une goutte d’eau dans l’océan. Si ces programmes parmi tant d’autres (139) ont contribué à réduire «de manière significative la pauvreté et atténuer la précarité», ils ne les ont pour autant pas endiguer complètement, fait savoir la direction des études et prévisions financières (DEPF), rattachée au ministère de l’économie et des finances, dans une récente étude. Bien au contraire, les inégalités sociales au Maroc se creusent davantage, alimentées principalement par trois domaines, notamment l’éducation, la santé, l’emploi, note l’étude. Le DEPF appelle à déployer une action vigoureuse dans ces secteurs névralgiques, pour réduire les écarts sociaux.
Les chiffres en termes de réduction de la pauvreté s’inscrivent dans une tendance évolutive : 4,8% de pauvreté monétaire en 2014 contre 15,3% en 2001; un taux de vulnérabilité de 12,5% en 2014 contre 22,8% en 2001, relève l’étude. Toutefois, malgré ces progrès, les inégalités sociales continuent d’avoir la peau dure et donnent du fil à retordre aux politiques et acteurs sociaux. En termes de répartition spatiale, elles sont plus intenses en milieu urbain, notamment dans les deux régions que sont Rabat-Salé-Kenitra et Casablanca-Settat. Selon l’étude, le triptyque éducation, santé, emploi apparait comme la principale cause de creusement d’écart social entre les citoyens. En d’autres termes, ils détermineraient dès le départ les conditions sociales des individus.
L’éducation au Maroc serait donc l’un des principaux terreaux qui perpétue les inégalités sociales. Le système éducatif serait tout sauf un ascenseur social. Les inégalités au niveau éducatif seraient visibles au niveau des dépenses publiques dédiées à l’éducation par classe de niveau de vie. Ainsi, les dépenses publiques allouées au secteur de l’enseignement secondaire et supérieur profitent davantage aux couches sociales aisées qu’aux défavorisées. 29% des élèves et étudiants scolarisées appartiennent aux 20% des foyers les plus aisés, contre 10% pour les 20% les moins aisés. Bien plus, l’origine sociale et les conditions socio-économiques de l’élève et l’étudiant impacteraient sa réussite scolaire. Un rapport du Conseil supérieur de l’Education, de la Formation et de la Recherche Scientifique (CESEFRS) fait ainsi ressortir que le niveau éducatif et culturel des parents a un effet sur les résultats des élèves.
En matière de santé, il apparait que les indicateurs de santé sont fortement corrélés au niveau de revenus du ménage. Ainsi, le taux de mortalité est de 33,9 pour 1000 naissances vivantes dans les milieux pauvres contre 18,7 vivantes dans les milieux aisés. L’étude indique par ailleurs, que le RAMED n’a pas permis d’endiguer complètement les inégalités en termes d’accès aux soins de santé. En cause : l’offre sanitaire faible au niveau national et régional, ainsi que l’effectif limité du personnel médical et l’insuffisance des infrastructures de santé.
En termes d’emploi, les inégalités apparaissent au niveau de l’accès des femmes et des hommes au marché du travail. Ainsi, le taux d’activités des femmes est largement en dessous de celui des hommes, soit 23,6% pour les femmes et 70,8% pour les hommes en 2016. Actives, elles sont plus touchées par le chômage que les hommes, soit 10,9% contre 8,9% en 2015. Les inégalités en termes d’emploi sont fonction du niveau d’instruction et de la tranche d’âge. Ainsi, plus on est diplômé, plus on est au chômage. Le taux de chômage des diplômés moyens et supérieurs (jeunes) est respectivement de 22% et 14,1% en 2016 contre 3,7% pour ceux qui sont sans diplômes. Bien plus, on relève une prédominance de l’emploi non rémunéré, surtout en milieu rural (38,5% en 2016), l’emploi peu qualifié et la prépondérance du secteur informel.
Pour répondre de manière efficace aux inégalités sociales au Royaume, l’étude recommande d’agir sur certains leviers prioritaires. Il s’agit premièrement d’agir à l’amont des inégalités sociales, à travers la «transformation structurelle de l’économie marocaine», en promouvant les secteurs créateurs d’emploi et en favorisant la «modernisation compétitive des PME-PMI pour libérer leur potentiel ». Le département des études et prévisions financières recommande en outre de lutter de manière vigoureuse contre les inégalités de chance et de capacités, en corrigeant les déficiences qui favorisent l’exclusion sociale et la marginalisation. Il appelle également à renforcer la cohérence entre les programmes et dispositifs mis en place pour combattre les inégalités et à prioriser certaines catégories sensibles de la société. Pour résorber le chômage, l’étude propose de placer la question de l’«inclusivité du genre et l’intégration des jeunes au cœur des politiques publiques de lutte contre les inégalités». Sans oublier d’inscrire la lutte contre les inégalités dans le cadre d’un chantier social qui implique tous les acteurs. Enfin, il est primordial de déployer des instruments sophistiqués pour faire le suivi et l’évaluation des inégalités.
Danielle Engolo