Essaouira en profondeur colorée

Ruggero Ginagiacomi

M’barek Housni

Essaouira peut être peinte autrement. Dans la lignée de la différence de taille, essentielle et tranchante avec ce qu’elle a inspiré et inspire toujours comme possibilités pour l’exécution d’œuvres artistiques majeures.

Le peintre italien Ruggero Ginagiacomi à la renommée internationale l’a installée dans cette peinture différente. En entier, sans aucune omission de l’un de ses éléments dont la caractéristique est avérée. Pas étonnant, il y a vécu lui-même en entier et a choisi d’y être enterré à sa mort en 2006, après  soixante-seize ans d’une vie commencée Ancona en Italie et vouée à l’art jusqu’à son dernier souffle qui s’est mêlé aux souffles éternels des vents alizéens.

C’est dire que le lien tissé avec les mailles de la ville, est un lien en profondeur, une intégration collant à l’âme perfusée par des ondes spirituelles indépassables et accaparantes. Et cela s’est fait en couleur puisée dans la luminosité flagrante qui éclaire l’intérieur de l’âme d’une géographie élue et rassérène le penchant artistique. La rencontre comme l’établit la contemplation des œuvres du peintre fait ressortir à la lumière une série considérable d’approches à la facture familière et pourtant singulière.

Familière en tant que son œuvre est figurative, avec des points de départ d’ancrage facilement reconnaissables. Ils sont tout ce compte Essaouira d’attributs distinctifs, ceux par lesquels on la place dans un espace de reconnaissance. R. Giangiacomi n’en délaisse aucun, les dessinant « à plein les bras ». Les remparts imposants,  les barques oscillantes sur les eaux du port, les chats sommeillant dans les ombres, l’île dans la majesté de son indépendance, les ruelles déambulantes, le ciel proche,  les champs fuyants,  les poissons volants, les chanteurs et danseurs gnawas en transe aérée… en somme la vie en action, restreinte, immobile ou étendue.

R. Giangiacomi s’est placé, dans sa «Essaouira» créée en dehors tout en étant au-dedans. Il a peint comme il a vu. C’est-à-dire suivant les sensations déversées en lui, en répondant aux sentiments éprouvés. Mais aussi, il a vu que cette cité intemporelle en une certaine mesure comme est un parfait sujet pour l’adéquation artistique.

Singulière par le chemin suivi afin de parvenir à un résultat des plus surprenants mais de manière fluide. Une fluidité issue des couleurs usitées comme des mots d’un langage qui coule paisiblement sans détour. Des couleurs claires prises dans le sens de ce qui est compréhensible où le besoin de chercher un quelconque fait caché ne se fait pas sentir. Car ce travail trouve sa singularité dans l’invention des formes, reconstruites et déconstruites à la fois via la création d’une perspective fictive. Prenons les tableaux des fenêtres.

Elles sont peintes dans un bleu clair et ouvertes sur un beau spectacle marin et une partie de la ville au milieu. Ceci dans le plan de fond qui est le pendant du plan d’avant rendant compte de l’intérieur. Il s’agit d’une maison donnant sur la mer. Or ces deux plans affichent leur contenu d’une manière comme pris dans une sorte de vue avec bordures puisque la forme rendue est plutôt plane en tout dans un cas, et ronde dans un autre. La table dressée à l’intérieur plus grosse selon cette vision de la perspective montre soit un décor : vase et pot, dans un cas qu’on pourrait qualifier de réel et normal, ou un amas de poissons et de grenades qui débordent les contours de la table.

Dans les deux tableaux, le bleu répond au jaune du fond en s’ouvrant d’abord sur des tons vifs ou sombres des objets et les éléments qui y sont dessus sur un plancher en carreaux blancs, et en passant par des nuances effacées de bleu et de vert dans les alentours. C’est toute une composition de couleurs dans des formes réorganisées différemment à dessein. Ainsi la forme invente la couleur ou celle-ci invente celle-là sous le contrôle avisé de l’artiste tout en privilégiant la liberté qui paraît comme innée. C’est un style propre qui est en œuvre dans les tableaux à thème exclusif comme ceux des barques au port où les cordes et les structures courbées fournissent un foisonnement de lignes et de courbes striant l’univers en mouvement de l’échouage tanguant aux digues portuaires.

Mais l’attribut le plus à même d’émerveiller l’œil de façon particulière est celui des gnawas. Dans un tableau, les contorsions de deux artistes gnaouis sont rendues «en gros plans», toute la surface occupée en verticale, l’un d’eux tête en bas appuyé de la main au sol, faisant face à l’autre l’observant ou attendant son tour pour le remplacer. Étrangement, ce qui appuie cette interprétation réside dans le contraste des couleurs qui lui sont attribuées.  Le rouge face au jaune des habits traditionnels, encadrés du bleu du ciel en haut et du marron brun des remparts en bas et bizarrement joint à un bleu de la mer.

On trouve cette même technique mais inversement avec des aménagements différents en nombre et en forme tout en gardant le même thème. L’univers gnaoui étant un domaine de rythme, de voix fortes,  d’invocations vers l’au-delà de mystères et de saluts, d’aspects bariolés, il ne peut qu’être un univers pictural de couleurs vives et très contrastées.

Ce travail est visible avec la même brillance dans son œuvre en céramique. En direct lignée de la tradition sud méditerranéenne. Ruggero Giangaicomi a donné à Essaouira un autre élan international, un de plus. Elle le lui rend bien avec cette vaste place qui porte son nom près du port. Or il faut penser à repasser au noir son nom dont les lettres commencent à disparaître.

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